Présentation de l’auteur
par Anne de Floris,
ancienne élève de l’École Normale Supérieure, agrégée d’histoire, doctorante, enseignante à la Sorbonne
Il est particulièrement mal aisé, déplaisant et, sans doute quelque peu prétentieux, de parler de soi et de se mettre publiquement en avant. C’est avant tout sous couvert de modestie et d’une sincère pudeur que Raymond Joyeux repoussait sans cesse l’écriture de ce billet. Une bien noble attitude, certes, mais qui avait le grand inconvénient de priver son lectorat d’une réflexion passionnante sur l’émergence d’un fait nouveau aux Saintes : la lecture et l’étude par les collégiens de l’archipel des écrits d’un auteur saintois, en l’occurrence le rédacteur habituel de ce blog. C’est pour cette raison que nous lui avons proposé, en fin de compte, de rédiger cette présentation à sa place, estimant qu’il était bien dommage de passer sous silence les termes d’une rencontre féconde entre les traces d’une mémoire individuelle mise en prose et le regard d’une jeune génération, si souvent aveugle à l’histoire des lieux qu’elle côtoie chaque jour. Après de longues hésitations l’auteur a finalement accepté notre proposition, convaincu que le récit de cette expérience susciterait de fructueux débats sur les notions liées de lecture et de patrimoine, et saurait rencontrer de nombreux échos tant auprès des collégiens eux-mêmes que des nombreux lecteurs de ce blog. Et pour peu que le dialogue s’établisse par le biais des commentaires, ce serait, selon lui, une occasion supplémentaire de nous enrichir les uns les autres, culturellement parlant…
Des ouvrages édités à compte d’auteur par et pour l’Association Les Ateliers de la Lucarne
À l’origine, nous explique l’auteur, un court récit autobiographique de 160 pages intitulé Fragments d’une enfance saintoise paru en novembre 2009 et postfacé aujourd’hui par Mme Scarlett Jesus, ancienne Inspectrice de l’Éducation nationale, critique d’art et de littérature. Pensant à tort ou à raison que ce modeste ouvrage pourrait intéresser les enseignants du primaire et des collèges, Raymond Joyeux, l’avait transmis à tout hasard aux bibliothécaires des établissements scolaires de Terre-de-Haut et de Terre-de-Bas, sans attendre particulièrement de réponse, ce qui fut le cas, précise-t-il, pendant trois ans. Jusqu’au jour où le gestionnaire du collège des Saintes de l’époque, M. Patrick Giorgi, à la demande d’une nouvelle prof de français, en commande, à sa grande surprise, une vingtaine d’exemplaires pour les classes de sixième.
Et c’est ainsi que, par l’entremise de leur professeur de français, Mme Hélène Rossignol, les collégiens saintois eurent pour la première fois entre leurs mains cet ouvrage et reçurent son auteur dans leur classe. De fil en aiguille, ce premier récit, étudié dès lors en 6ème, aussi bien à Terre-de-Haut qu’à Terre-de-Bas, fut suivi d’un second récit toujours autobiographique de 210 pages, plus spécialement accessible aux élèves de 3ème : Les manguiers du Galion, relatant son expérience de lycéen au séminaire-collège de Blanchet près de Gourbeyre. De son côté, le plus souvent disponible, puisqu’à la retraite, et navigant régulièrement entre Pointe-à-Pitre et les Saintes, Raymond Joyeux s’est proposé pour continuer à passer bénévolement dans les classes à la demande des enseignants intéressés. Aux Saintes, respectivement professeurs de français à Terre-de-Haut et Terre-de-Bas, M. Marbœuf et Mme Rossignol l’ont alors de nouveau sollicité pour rencontrer leurs élèves et répondre à leurs questions. C’est ce qui s’est encore fait cette année scolaire 2017-2018, juste au retour des congés de la Toussaint, aux collèges jumelés des deux îles, avec l’assentiment officiel de leur Principale, Mme Luce Cassin.*
* Rappelons pour mémoire que, voilà quelques années, M. Patrick Péron, professeur des écoles à Terre-de-Haut, aujourd’hui à la retraite, et auteur lui-même de nombreux ouvrages (poésie, roman, histoire), avait invité Raymond Joyeux dans sa classe de CM2 pour une séance de poésie.
Des rencontres enrichissantes
Rencontrer des élèves qui étudient ses textes est toujours pour Raymond Joyeux, ancien professeur lui-même, une grande satisfaction. Cet enthousiasme revêt ici, aux Saintes, une dimension toute particulière, les collégiens trouvant dans les ouvrages étudiés les reflets d’une vie insulaire qu’ils connaissent bien mais dont la patine les surprend, les laissant avec nombre de questions. Pouvoir rencontrer l’auteur et l’interroger directement sur ses souvenirs est une chance incroyable, qui se résout dans un échange d’une grande richesse, intergénérationnel et collectif, passionné et curieux. Au-delà de la recherche avide de l’anecdote et du sympathique exercice de comparaison, il est plaisant de constater que l’intérêt qu’ils manifestent dévie toujours sur le travail d’écriture à proprement parler, permettant ainsi à l’auteur de répondre à leurs nombreuses questions sur sa conception du livre comme objet culturel et patrimonial.
Voici à ce propos les réflexions qu’a développées Raymond Joyeux à l’intention des élèves de 3ème. Réflexions regroupées ici en un bloc unique pour la nécessité de la présente chronique. Laissons donc la parole à l’auteur sur le rôle et l’importance, selon lui, du livre et de la littérature en général pour le grand public et à l’école en particulier.
Anne de Floris, agrégée d’Histoire, enseignante à la Sorbonne.
La parole à l’auteur :
Le livre, objet cultuel doublement patrimonial
1 – L’œuvre littéraire comme objet culturel
En tant que tel, en dehors de son contenu et quel que soit celui-ci, le livre est, par nature, objet du patrimoine. C’est-à-dire que, sitôt publié, il n’appartient plus totalement à son auteur mais à la communauté dont celui-ci est originaire. Au même titre qu’une œuvre picturale, musicale, artisanale ou autre. Ces œuvres qui prennent racines au sein d’une communauté donnée enrichissent, par leur caractère culturel, le patrimoine immatériel de cette communauté, en ce sens qu’elles appartiennent à ses membres qui peuvent dès lors se l’approprier. Il arrive que lorsque leur importance est universellement reconnue, ces œuvres dépassent le cadre de la collectivité originelle restreinte pour faire partie du patrimoine de la communauté humaine en son ensemble : grandes œuvres artistiques de toute nature. (Littérature, musique, peinture, architecture etc.). Ainsi, on peut considérer que le poète guadeloupéen Saint-John Perse, bien qu’originaire d’une petite île, entre dans la catégorie des grands créateurs universels et a enrichi par son génie outre le patrimoine de la Guadeloupe, celui de toute la communauté humaine. De même que la musique de Mozart ou de Beethoven, les grandes œuvres picturales de la Renaissance italienne, la statuaire antique grecque et latine, les peintures rupestres des grottes de Lascaux… pour ne citer que ces exemples-là.
2 – Le livre en tant que support de la mémoire collective
Pour revenir à un aspect plus modeste – mais non moins essentiel – de la notion de patrimoine, celui d’une communauté restreinte comme la Guadeloupe dite continentale et ses îles, tous les écrivains guadeloupéens (pour ne parler que de littérature) l’ont enrichi par leurs talents et leurs écrits, que ceux-ci relèvent du domaine du roman, du théâtre, du conte, de l’histoire ou de la poésie… Si en plus, ces ouvrages sont des œuvres autobiographiques, évoquant des faits et gestes de notre passé en les mettant en valeur dans des situations de vie réelle, leurs auteurs auront contribué à les sortir de l’oubli, leur permettant de s’inscrire dans la mémoire collective. Sans eux, ces modes de vie d’autrefois auraient été, sans doute, définitivement perdus. Maryse Condé avec Le cœur à rire et à pleurer, Ernest Pépin avec Coulée d’or, Max Rippon et Le dernier matin, Daniel Maximin avec Tu, c’est l’enfance, entre autres auteurs connus, font partie de ces écrivains populaires dont les œuvres entrent sans conteste dans le patrimoine culturel de notre région.
Dans cette optique, mais beaucoup plus modestement que les auteurs et œuvres cités, certains de mes propres écrits, qu’on le veuille ou non, toutes proportions gardées et surtout toute vraie ou fausse prétention mise à part, entrent dans cette catégorie. Fragments d’une enfance saintoise d’abord, Les manguiers du Galion ensuite, ces deux récits autobiographiques, en s’inscrivant dans le contexte géographique et historique des années 50-60, contribuent à immortaliser, en quelque sorte, de nombreux aspects passés de la culture saintoise et guadeloupéenne. Ils entrent par conséquent, dans le patrimoine commun régional, pour peu que ce qualificatif se débarrasse de toute connotation péjorative. Les étudier en classe est le moyen le plus sûr de faire connaître aux membres de la jeune génération ce que fut notre passé et les leçons qu’on peut en tirer pour aujourd’hui. Passé vécu qui plus est par un auteur encore à leur portée par l’entremise de professeurs engagés, soutenus dans leur action de perpétuation de la mémoire par une programmation officielle appropriée.
3 – Pour conclure : que penser des journées dites du patrimoine ?
Les journées du patrimoine organisées annuellement sur le plan national, donc également chez nous en Guadeloupe et aux Saintes, permettent le plus souvent au public de ne visiter et découvrir que les grands monuments de la collectivité où ils sont implantés. Malheureusement d’autres aspects du patrimoine ne sont pas, à notre sens, suffisamment mis en valeur et présentés, comme si les arts (littérature, musique, peinture, sculpture…), et encore plus l’artisanat en étaient les parents pauvres et parfois pas parents du tout. Il est certes plus difficile de permettre l’appropriation d’une œuvre littéraire ou musicale en une journée que de visiter une cathédrale ou une fortification. D’où l’importance de l’école comme lieu, moyen et vecteur de cette appropriation. C’est là un des rôles primordiaux de l’Éducation nationale que mettent en œuvre les enseignants, soucieux de perpétuer ainsi, en l’élargissant, cette richesse patrimoniale que sont les livres en particulier et tous les autres arts en général.
Remerciements
Aussi, il ne me reste plus qu’à remercier Anne de Floris pour sa présentation trop aimable à mon égard, mes collègues du collège Archipel des Saintes, Madame Hélène Rossignol et Monsieur Marbœuf ainsi que leur directrice, Mme Luce Cassin, qui ont accepté d’accueillir avec gentillesse et sympathie mes ouvrages dans leur établissement. Comme le font certains professeurs de français d’autres collèges et lycées de la Guadeloupe continentale. En faisant lire et étudier ces ouvrages aux élèves, – les miens comme ceux d’autres auteurs – ces établissements contribuent à promouvoir le patrimoine littéraire de notre région tout en donnant aux jeunes générations le goût et le plaisir indicible de la lecture et de la culture. Raymond Joyeux
beaucoup de plaisir à lire Raymond Joyeux!
Merci Luc, c’est trop d’honneur !
Quelle belle surprise!
Superbe article Raymond.Très bien étayé et assorti de belles photos comme toujours.
Je suis très touchée …Je vous remercie pour cette formidable expérience que nous réitérons
chaque année j’espère.
Les élèves et moi même vous remercions de tout cœur …
Bonjour Raymond, j’ai eu le plaisir de lire certains de tes écrits que tu m’as gentiment donné.
Parmi eux « Fragments d’une enfance saintoise » qui m’a particulièrement laissé rêveur de cet époque pas si lointaine. Ce récit sera un trésor dans les mains des futures générations j’en suis sur. Merci pour elles et bravo à ces profs pour leurs initiatives à promouvoir ce patrimoine.
Alain, saintois de cœur .
Qu’ils ont de la chance les élèves saintois ! Grâce à vous Raymond, ils découvrent qu’on vivait heureux aux Saintes, sans TV, sans smartphone… avant que leur île ne soit « abîmée » par le tourisme …
Plusieurs fois sur ce blog, j’ai mentionné que les œuvres de Raymond devraient être inscrites au programme des lycées et collèges des Saintes et de Guadeloupe, étant donné qu’elles expriment la culture et la sensibilité antillaises, bien mieux que les « grands » classiques de métropole.
Je suis donc très heureux que ce soit maintenant le cas en 2018. Les rencontres avec l’auteur sont également très utiles pour vérifier la concordance avec ses écrits.
Ce sera ensuite aux œuvres elles-mêmes de faire la preuve que les lecteurs peuvent y trouver des réponses à leurs propres questions, et pas seulement à celles de l’auteur à un moment donné de sa vie.
Ce n’est pas gagné d’avance. La concurrence avec les Johnny et rappeurs de ce monde est vive, et la poésie est un genre qui n’attire qu’un faible lectorat, ayant la réputation (souvent à tort mais pas toujours) d’être réservée à une élite intellectuelle plutôt étrangère à l’île et à ses soucis quotidiens.
Les passions sauvages de la politique y ont plus de succès que les finesses de la poésie !