Chronique d’une croisière ordinaire

1ere de couverture      4eme chronique doc

shapeimage_2Chronique d’une croisière ordinaire

de Raymond Joyeux
En lisant Chronique d’une croisière ordinaire, neuvième publication aux Ateliers de la Lucarne de Raymond Joyeux, on retrouve avec grand plaisir la prose légère et enjouée derrière laquelle affleure la concision du maître de la forme poétique (comme le délicieux passage de l’entraînement sportif de l’auteur en coureur de fond d’appartement).
Ce petit livre (120 pages) a pour moi une grande qualité, c’est qu’il n’est pas juste un récit « ordinaire » d’une croisière annoncée comme telle. Le décalage du point de vue, jamais surplombant mais plutôt à côté, en retrait, sauve le récit dans ses moments pourtant les plus prosaïques, qui deviennent les points forts du livre. Puisque justement, l’auteur y apparaît en coureur de fond contrarié, il en conserve la solitude et le point de vue distant. L’original se détache alors de l’ordinaire, le solitaire de la multitude, et la figure du coureur-poète dévoile toute la vanité d’un voyage qui n’en est pas vraiment un, d’une croisière dont la nature est de tourner en rond, comme le sportif dans son stade.
Du coup, le temps y est comme arrêté (comme en ce village factice de Altos de Chavon où rien ne semble changer, ou bien encore cet original qui réclame 10 dollars pour la photographie de son âne!) et le mouvement artificiel du navire est le moment privilégié d’une introspection-rétrospection où l’on retrouve des éléments qui eux aussi semblent ne jamais vouloir disparaître de l’imaginaire de l’auteur : la poésie avant tout, de ses origines homériques  à ses incarnations les plus modernes ; mais aussi une conscience sociale (on se délecte de la peinture des touristes, de l’évocation des repas, de l’esquisse du balayeur…) qui parfois se fait politique (un passé anti-LKispte qui ne passe pas), ou critique (les dauphins malades donnés en pâture aux croisiéristes). Tout cela pour dire que ce livre reconduit finalement la logique de la poétique « insulaire » dont le défaut, qui est en même temps la qualité, est d’être tournée sur elle-même, comme emprisonnée, nichée au creux de la voile qui dit aussi bien son mouvement que son repli.
Bref, ce petit livre se lit avec une vraie délectation, entravée parfois par des considérations un peu longues sur des écrivains qui ne le méritent pas (l’auteur aurait pu troquer les pages sur Houellebecq par d’autres inspirations venues de Cendrars), passages qu’on sauvera néanmoins en les voyant comme des effets incontournables du réel.
En clair, j’aime bien la manière dont Raymond Joyeux arrive à se mettre en marge tout en restant au cœur de l’agitation (et c’était là le vrai défi de cette chronique), même si cela implique qu’il perde parfois de vue le monde pour revenir dans « son » monde, certes confortable mais déjà bien connu de ceux qui fréquentent avec assiduité ses publications.
                                Alexandre Joyeux
PS Toutes les publications de Raymond Joyeux sont disponibles chez l’auteur : raymondjoyeux@yahoo.fr

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