Le contexte
Septembre 1989, l’Association saintoise L’Œil de l’Iguane est déclarée à la préfecture de la Guadeloupe.
Décembre 1989, le premier N° du mensuel L’IGUANE, journal de l’Association, voit le jour.
1er Janvier 1990, le maire de Terre-de-Haut, mécontent de cette publication qu’il estime être le porte-parole de l’opposition, la dénigre publiquement dans son discours officiel de présentation des vœux.
Paradoxalement, alors qu’un arrêté municipal, décrétant l’espèce menacée, vient juste d’interdire la chasse aux iguanes et d’instaurer leur protection, l’orateur, se comparant à la frégate, prévoit la disparition rapide du journal et fait cette fracassante déclaration :
« Leur journal L’IGUANE, comme l’animal du même nom, nuisible et dévastateur, ne passera pas le carême. Moi je suis la frégate que rien ne peut atteindre… etc. »
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Pour la petite histoire, la publication de L’IGUANE se poursuivra jusqu’en 1994 avec 28 N° parus sur 2 doubles pages 21 x 30, rendant compte de la vie politique, sociale, sportive et culturelle de la commune de Terre-de-Haut. (Un projet de publication en un seul volume de l’ensemble des numéros est en cours).
La fable qui suit, écrite après le discours du maire, le premier janvier 1990, sur la navette reliant Terre-de-Haut à Trois-Rivières, a été publiée dans le N°2 de janvier 1990 du journal.
L’Iguane et la Frégate
Une frégate un jour avisa un iguane
Qui paisible au soleil se réchauffait le sang.
Du haut de sa superbe et dans la langue idoine
Elle ouvrit grand le bec en ces termes blessants :
Pauvre terrien rampant, vil animal sans ailes,
N’es-tu donc point jaloux de mes exploits célestes ?
S’il t’arrive parfois de regarder le ciel
N’envies-tu pas mon vol et ma grâce et mes gestes ?
Ton espèce est nuisible et dévaste les clos
Tu seras par ma foi bien avant le carême
Dans l’herbe rabougrie qu’un squelette et des os.
Ou bien tu finiras déchéance suprême
La panse emplie de paille et la peau formolée
Dans le salon d’un maire en guise de trophée.
Moi je continuerai voyageur éternel
À planer dans l’azur tel un sphinx incompris,
À mépriser le monde et ses rêves mortels
Car jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
À quelque temps de là comme avait dit l’oiseau
D’une grande sécheresse arriva la saison.
L’iguane déserta les ravines sans eau
Et de vivre de peu se fit une raison.
Mais toujours dans le ciel la frégate orgueilleuse
Traînait sur l’océan sa sinistre envergure
Proférant sans répit des sentences railleuses
Et traitant le requin de vulgaire friture.
Or un matin, la faim, comme à son habitude,
Fit quitter son repaire
Au phénix des airs.
Le fretin était rare,
Il fallait pour le voir
Prendre de l’altitude.
Notre frégate s’envola
Monta tant et si bien qu’elle se saoula
Pour son malheur
D’espace et de hauteur.
Puis tombant de l’azur plus vite que l’éclair
Dans le goitre béant d’un beau monstre marin
Éclaboussé d’écume
S’abîma bec et plumes.
Lorsqu’il apprit
Que c’en était fini
De la frégate altière
Le saurien millénaire
Que des ans la sagesse avait rendu serein
Se contenta prudent de bouger la paupière.
Moralité
Plutôt qu’à croasser sur le destin d’autrui
Mieux vaut fermer le bec quand on manque d’esprit.
R.J. de La Fontaine Municipale
Texte et photographies © Raymond Joyeux
PS : Cette fable a été publiée en 2010 dans un recueil de poèmes intitulé
Au hasard de la nuit, édité aux Ateliers de la Lucarne.
« l’Iguane » était tellement mieux écrit (et sensiblement moins haineux) que ce qui se diffuse actuellement… un plaisir. Et ce poème est magnifique. Bravo et merci de nous régaler avec ces belles chroniques;
Superbe poème, mais le maire de l’époque est il capable d’en deviner la finesse ?
J’ai eu l’opportunité et la chance de collaborer comme illustrateur occasionnel pour l’Iguane. Cette aventure éditoriale que fut l’Iguane, bien que modeste car à l’échelle de notre archipel, fut à mon avis une véritable tentative « d’œuvre sociale », entendue par œuvre au rang d’une œuvre d’art authentique telle que l’énonçait le célèbre artiste Joseph Beuys. Il disait notamment que l’art majeur du futur serait celui de la « sculpture sociale ». L’Iguane, à plus d’un titre (et même s’il est habituellement connu comme chronique « politique »), a permis de tisser des liens entre les lecteurs, a permis l’expression des uns et autres, a permis de publier des chroniques culturelles et historiques…what else ?!! si tout cela n’est pas une « création » et fût-elle de liens sociaux, c’est une véritable création. Bravo l’artiste.
« Petite fantaisie »… Élégance et intelligence de l’écriture… plaisir de lire… Une fable aux authentiques racines saintoises qui sait nous rejoindre et particulièrement en notre période agitée d’élections fédérales canadiennes! Merci!