Rodolphe FOY, maître charbonnier
Rodolphe FOY est né à Terre-de-Haut en 1952. Titulaire d’un CAP de maçonnerie et de carrelage, obtenu lors d’un séjour en Métropole, il regagne les Saintes en 1994 pour y exercer son métier et bâtir sa maison sur les hauteurs dominant la plage mythique de Grande-Anse. Une vue imprenable sur le large et les rouleaux de l’Atlantique. Vue grandiose balayée par les alizés et qu’il faut mériter car le morne est bien haut qui mène à sa demeure. Très jeune, alors qu’il est écolier, son beau-père Julien, lui enseigne les rudiments de la fabrication du charbon de bois. (Petit clin d’œil en passant : vous aurez sans doute observé l’occurrence des deux prénoms, héros célèbres de la littérature française : Rodolphe l’amant de Mme Bovary ; Julien, l’amoureux de Mme de Rénal. Flaubert et Stendhal pour une fois réunis aux Saintes!) Bref, Rodolphe perfectionne au cours des ans les rudiments enseignés par Julien et devient à l’instar de son mentor un maître charbonnier incontesté…
Il est actuellement, l’un des seuls à pratiquer cet art à Terre de-Haut, mais pas aux Saintes car beaucoup de ses compatriotes de Terre-de-Bas possèdent des fours à charbon artisanaux et alimentent régulièrement restaurateurs et particuliers de l’archipel. Certes, les Saintois ne cuisent plus depuis belle lurette leurs aliments au réchaud à charbon ou sur trois pierres comme autrefois. Mais, sans que les collines saintoises soient dévastées comme en Haïti, les amateurs de barbecues traditionnels sont demandeurs, laissant l’emploi du gril électrique aux citadins quelque peu snobs, indifférents à la saveur de leurs grillades et peu enclins à se noircir les mains…
Le bois
Qui dit charbon de bois, dit bois, évidemment, vous l’aurez deviné. À raison de deux fournées seulement par an, Rodolphe doit néanmoins s’approvisionner régulièrement en matière première. Mais rassurez-vous. Fini le temps où il fallait courir les mornes armé de sa machette. En réalité ce n’est pas Rodolphe qui va au bois, c’est le bois, pourrait-on dire, qui vient à lui. Un ami, un particulier, s’apprête à élaguer ou à abattre un arbre, quel qu’il soit, notre charbonnier en est le premier informé. Il n’aura que les frais de transport jusqu’au pied de son domaine, à charge pour lui de le tronçonner (le bois, pas le domaine !) encore vert aux dimensions adéquates et de le laisser sécher le temps nécessaire, (autour de 6 mois), avant de le conditionner dans le four suivant une technique éprouvée, acquise au fil de l’expérience. Il convient en effet d’alterner gros et petits tronçons, en tenant compte de la noblesse de leur essence. Mahogany, raisinier de mer, quénettier, savonnette, tous, bois noble naturellement, n’auront pas le même traitement que le mancenillier, par exemple, bois traitre par excellence qui pourrait vous anéantir toute une fournée s’il est mal positionné dans l’agencement. De la qualité du bois et de sa place dépend la qualité de la combustion et du charbon. En plus d’être un art, c’est une évidence.
Le four et la préparation à la combustion
Les producteurs de charbon de bois d’autrefois se contentaient de creuser le sol et d’y agencer leur bois, ménageant sur le sommet du four une cheminée centrale, ce qui ne les empêchait pas de faire du très bon charbon. Rodolphe a perfectionné le système en bétonnant le fond de sa fosse (6 mètres sur 1 mètre 25 et 0 m 80 de hauteur), la délimitant latéralement par un assemblage de quatre rangs de parpaings. L’ensemble est protégé par un petit toit de tôles soutenu par des madriers servant supports. La cheminée se trouve au sol, à l’opposée de l’entrée du four.
Mais si le système de base est différent du modèle traditionnel, la technique de préparation n’a pas évolué. Lorsque le bois est bien agencé dans le four, selon la grosseur et l’essence des tronçons, les premières traverses reposant sur deux barres de fer disposées horizontalement à 20 centimètres du sol, le tout est recouvert d’une épaisse couche d’herbe verte, elle-même recouverte de terre puis de carton et de tôles. Autant de précautions pour prévenir toute entrée d’air extérieur au cours de la combustion et permettre ainsi une pyrolyse parfaite, condition indispensable à la carbonisation du bois.
Mise à feu et temps de cuisson
Avant de fermer hermétiquement la gueule du four, le charbonnier procède à la mise à feu. Surtout pas de pétrole ou de papier. Quelques copeaux ou brindilles bien sèches de bois du Nord suffisent. S’étant assuré que le feu a pris, Rodolphe peut maintenant fermer le four par une triple protection : plaque de tôle, herbe et planches alternées, solidement maintenues par des étais métalliques enfoncés dans le sol. La lente et mystérieuse combustion peut alors commencer et se poursuivre entre 4 et 5 jours, nécessitant une surveillance de jour comme de nuit. Et c’est là que réside la poésie de la fabrication du charbon. Car si la combustion se fait toute seule, dans le silence et le secret de la fosse, la fournée, elle, a besoin de compagnie. Pour ne pas s’embraser toute et réduire à néant les efforts du charbonnier, elle exige de lui une présence quasi permanente. L’obligeant à se lever plusieurs fois la nuit, elle lui permet ainsi non seulement d’imaginer et d’observer en surface la progression souterraine du feu qui couve, mais de contempler au passage le ciel étoilé, de suivre le défilé des nuages sur la lune, d’apprécier la musique nocturne du vent dans les palmes, mêlée à la voix sourde et continue des rouleaux océaniques. En parlant de lune, foi de charbonnier, il faut savoir qu’il n’est pas recommandé d’allumer son four à la pleine lune. En effet, le feu, attisé par l’attraction lunaire, peut embraser toute la fournée, la réduisant en cendre, sans profit aucun, bien évidemment, pour le malheureux charbonnier.
Défournage et tri du charbon
Si le travail de préparation du four est exigeant et méticuleux, celui du défournage n’est pas moins astreignant. Lorsqu’il se rend compte que la combustion est complète car toute la fournée s’est effondrée sur la totalité de sa longueur comme un soufflé qui s’est affaissé, le charbonnier peut procéder au défournage. Il enlève successivement les différentes couches de protection et s’active de ses outils à sortir le charbon de la fosse. Les morceaux mêlés à la terre sont tamisés, les autres, plus nombreux et de grosse taille sont étalés sur des tôles pour éviter toute reprise du feu au sol. Mais attention, une braise non repérée et qui continue d’être active sous l’effet de l’air, peut faire repartir spontanément la combustion et c’est tout le charbon encore au four ou déjà sorti, laissé sans surveillance, qui s’enflamme et part en cendre. C’est pour éviter ce danger que Rodolphe est attentif à tout filet de fumée suspecte, à la moindre odeur caractéristique de « brûlé ». Muni d’un seau d’eau, il prend soin d’éteindre toutes les braises repérées et les met de côté, car il a déjà perdu par le passé une fournée entière et ne souhaiterait pas connaître pareille mésaventure.
L’opération de défournage est donc particulièrement délicate et difficile sous l’action combinée de la chaleur et de la poussière. Mais notre ami Rodolphe n’en a cure. Si ce n’est pas avec son charbon qu’il gagne sa vie, c’est un passionné qui tient à respecter ses engagements auprès des restaurateurs et des particuliers qui ont passé commande. Aussi, malgré les contraintes – souvent nocives – du défournage, prend-il toutes les précautions pour fournir en temps voulu un combustible de qualité que les amateurs ont d’ores et déjà labellisé comme étant le meilleur des Saintes, sans aucune comparaison avec ce qui s’achète dans le commerce.
Refroidissement et mise en sacs
Le charbon sorti du four et protégé de la pluie reste deux jours à refroidir à l’air libre. Si aucun départ de feu n’est survenu avant ou après le défournage, la partie est gagnée pour Rodolphe et il peut procéder à la mise en sacs. Autrefois, le charbon se vendait en « barrique » qui était la mesure officielle aux Saintes pour ce combustible, utilisé dans tous les foyers (c’est le cas de le dire), à l’époque où ni le gaz ni l’électricité n’étaient parvenus jusqu’à nous. Aujourd’hui, à l’instar de ce qui se vend en plus petit volume dans le commerce, c’est en sacs de 100 à 150 litres que sont conditionnées toutes les fournées de charbon de Rodolphe.
Mais si vous avez besoin d’une plus petite quantité, Rodolphe, conciliant et ami de tous, peut vous en conditionner à votre demande, modulant son prix au volume souhaité. Et, au vu du travail et de l’investissement personnel requis pour cet art exigeant qu’est la fabrication du charbon de bois, un sac, quelle que soit sa contenance, n’est jamais trop cher. Sauf pour ceux qui sont inconscients des efforts fournis par le charbonnier et des contraintes qu’il doit subir pour satisfaire sa passion et la nôtre, amateurs de viande et de poisson grillés, en toute convivialité.
Pour finir, une anecdote piquante
C’est Rodolphe lui-même qui me l’a racontée, en toute naïveté et sans aucune acrimonie, mais tout le monde la connaît à Terre-de-Haut. J’ai dit de notre charbonnier de Grande-Anse qu’il était l’ami de tous. Pas si sûr. Voilà déjà plusieurs mois, la commune de Terre-de-Haut disposait d’une plantation embarrassante de quénettiers située dans l’arrière cour de la mairie. Le maire ordonne donc l’abattage d’un ou de plusieurs de ces arbres fruitiers, laissant les employés disposer à leur guise du bois ainsi récupéré. Le chauffeur du camion communal, en toute naïveté lui aussi, ne sachant où entreposer son chargement, sollicite Rodolphe, qu’il sait à la recherche de bois pour son charbon. Rendez-vous est pris et le bois municipal est déversé à Grande-Anse, non loin de la propriété de Rodolphe. Que croyez-vous qu’il arriva ? Furieux de la « trahison » de son employé, le maire ordonne illico la récupération de « son » bois et le lendemain, à cinq heures du matin, le chargement réintègre le camion communal et la cour de la mairie où il continue de pourrir. Moralité, pour parodier un adage célèbre, il y a le bois dont on fait… le charbon, comme sur la photo ci-dessous, celui dont on fait les gens normaux, mais il y a aussi, hélas, le bois dont on fait les… (complétez à votre guise ).
Crédit photos : Mimi Gain et Raymond Joyeux
Bonjour Raymond Merci sujet très intéressant rappelle des bons souvenirs d enfant
Merci, Christiane, de ta lointaine Bourgogne de continuer à t’intéresser à mon blog. À mon prochain passage, je t’apporterai un échantillon du charbon de Rodolphe. Le morceau sera assez gros pour faire un immense bbq pour les Amis des Antilles !
merci de nous faire découvrir les laborieux de terre de haut, ceux qui font des maquettes, du miel, du charbon de bois, et ceux qui restent à découvrir. Ces « mémoires » de l’île ont un point commun: ils ne sont pas considérés comme faisant partie de la cour du roi, ils sont « rebelles » et c’est tant mieux pour nous !! merci à tous et à toi raymond pour l’hommage que tu rends à chacun d’eux.
Lors de mon prochain bbq je porterai un toast à Rodolphe…
merci pour lui c’est une telle passion que son charbon !!