Circulation : l’arrêté municipal oublié

Un problème récurrent plus que jamais d’actualité

Cliché 1Depuis que les premiers véhicules automobiles, les minibus et autres scooters ont fait leur apparition à Terre-de-Haut au début des années 1970, et se sont anarchiquement multipliés suite au développement touristique et à un habitat de plus en plus excentré, maîtriser l’afflux des véhicules et la circulation urbaine est devenu un véritable casse-tête pour les autorités locales. Pas moins de cinq arrêtés municipaux successifs règlementant l’entrée et la circulation des véhicules à moteurs sur le territoire de la commune ont été pris. Si certains à ce jour ont été abrogés, le dernier, en date du 31 janvier 2003, est à notre connaissance, toujours théoriquement en application.

 Deux premiers arrêtés inapplicables de Robert Joyeux

 C’est le 4 avril 1991, que le maire alors en place, M. Robert Joyeux, s’attelait au problème d’une circulation, devenue déjà aux yeux de beaucoup inextricable, et signait, sans concertation avec les intéressés, deux arrêtés qualifiés d’ubuesques par le journal local de l’époque, mais que le préfet avait néanmoins légalisés. Le premier interdisait toute circulation de véhicules à moteur terrestres sur le territoire central de la commune. Son article 1er était ainsi libellé : « À compter de la date du présent arrêté, la circulation des véhicules à moteur terrestres (voitures, cyclomoteurs, scooters, motos) est formellement interdite dans le périmètre du bourg de la commune. » Les rues n’ayant pas encore de nom, le périmètre du bourg était délimité comme suit : entre la Maison Blanche et le Morne Rouge, les chemins du Marigot, ceux de La Rabès, de la Geôle et de la Savane. Autrement dit, étaient concernés, outre la voie principale RD 214 qui traverse le bourg, la totalité des rues et chemins vicinaux de la commune. Bien entendu, ça allait de soi, l’arrêté n’était pas applicable « aux riverains du périmètre défini. » Ce qui, en fait, permettait à tout un chacun de circuler librement, mais interdisait aux loueurs de scooters et propriétaires de bus de pratiquer leur profession.

Journal L'IGUANE , mai 1991

Journal L’IGUANE, mai 1991

Le deuxième arrêté s’attaquait à la fois à la limitation du nombre de loueurs de cyclomoteurs, de scooters et de motos, et du nombre de véhicules par loueur. Était ainsi fixé à 6 le nombre d’entreprises de location (article 1) et à 10 celui des véhicules que ces entreprises pouvaient posséder, (article 4). Rien n’était spécifié pour les propriétaires de minibus, attendu que le premier arrêté réglait radicalement leur sort. En même temps d’ailleurs que celui des loueurs de scooters, puisque leur circulation était interdite sur la totalité du bourg ! Le caractère absurde et inapplicable de ces deux arrêtés que personne d’ailleurs n’a jamais respectés, c’était tout simplement l’histoire du serpent qui se mord la queue !… On se demande encore aujourd’hui par quel miracle ils ont été légalisés.

L’arrêté du 31 janvier 2003 de Louis Molinié

mobalpaAbrogeant les arrêtés de son prédécesseur relatifs à la règlementation de la circulation et à l’entrée des véhicules dans sa commune, ainsi que ceux du 28 août 2001 et du 24 janvier 2003, qu’il avait lui-même signés, le nouveau maire, Louis Molinié, décidé à prendre une fois pour toutes le taureau  par les cornes, publiait le 31 janvier 2003 une nouvel arrêté, plus élaboré, plus restrictif, mais aussi plus assorti de larges exceptions qui l’ont rendu dès le départ inopérant. S’appuyant sur pas moins de 17 textes officiels, lois, décrets, arrêtés antérieurs, rapports, aussi bien ceux concernant la circulation proprement dite que ceux s’appliquant à la protection de la nature et à la sécurité publique, il élargissait la portée de sa règlementation, pour mieux, selon lui, la légitimer et la faire appliquer. La démarche en soi n’était pas inintéressante, mais à vouloir trop en faire, il condamnait d’entrée son texte, comme les précédents, à l’inefficacité, à la non-application, et pour finir à l’oubli pur et simple. Était en effet interdite, aux termes des 3 premiers articles dûment détaillés, cette fois-ci non plus dans un périmètre limité mais « sur l’ensemble de la commune la circulation des véhicules motorisés à quatre roues, à deux roues, à trois roues, qu’ils soient propulsés par les techniques de déplacement existantes ou à venir, notamment les véhicules à chenilles. » 

Dispositions dérogatoires exorbitantes

scooters 1Trois articles explicites que venait contrecarrer immédiatement par dérogation spéciale l’article 4. Celui-ci  autorisait en effet  à circuler, sous certaines conditions, dont  » l’inscription sur le rôle de la commune et sur le registre du parc des véhicules terrestres à moteur », toute une série de véhicules, anéantissant du même coup l’interdiction formelle abusive, selon nous, précédemment édictée. Une lettre officielle du maire, datée du 18 février 2003, adressée aux armateurs leur interdisait tout transport maritime de véhicules nouveaux à destination de Terre-de-Haut, si leurs propriétaires n’étaient pas munis d’une « autorisation de rentrée sur l’île de leurs véhicules, délivrée par la mairie. » Il va sans dire que cette dernière disposition, qui ouvrait la porte à l’arbitraire, pas plus que les précédents articles de l’arrêté, n’a pas été longtemps respectée. Les contraintes multiples, les subtilités inapplicables, les dérogations et autres passe-droits ont tué dans l’œuf toute velléité sérieuse de règlementation et, aujourd’hui, alors même que l’arrêté du 31 janvier n’a pas été abrogé, c’est quasiment tous les jours que nous voyons arriver sur l’île, sans contrôle ni restriction, de nouveaux véhicules, aussi bien destinés aux particuliers qu’à la location. Quant à la stricte interdiction de circuler « sur l’ensemble de la commune », impossible à mettre en œuvre, elle est depuis longtemps bel et bien enterrée.

Des attendus pourtant amplement justifiés

Arrêté municipal 2Pour légitimer sa règlementation du 31 janvier 2003, aujourd’hui reléguée aux oubliettes, le maire avait pourtant pris toutes ses précautions. Ses attendus, logiques et pertinents, restent valables et pourraient servir de base à d’autres dispositions qui pourraient nous sauver de la catastrophe. Les voici tels qu’ils ont été évoqués en 2003 :

1° Considérant que le territoire de la commune abrite des espèces fragiles protégées d’intérêt national (cactacées, orchidacées, oiseaux, iguanes, tortues), ainsi que des sites archéologiques précolombiens (!), et qu’il est nécessaire de règlementer la circulation afin d’assurer leur protection;
2° Considérant la nécessité de protéger l’environnement et la tranquillité publique dans une commune à vocation touristique;
3° Considérant que les voies carrossables de l’île se caractérisent par leur étroitesse, leur déclivité, leur sinuosité, et partant par leur dangerosité;
4° Considérant que la multiplication des véhicules à moteur est incompatible avec le réseau routier de la commune, nuit à la commodité de passage dans les rues, et qu’elle porte par conséquent atteinte à la sécurité des citoyens;
5° Considérant par ailleurs que l’exiguïté et la topographie de l’île font obstacle à la construction de trottoirs, la création de parcs de stationnement et l’élargissement du réseau routier;
6° Considérant que l’affluence touristique constatée le week-end et pendant la haute saison (Décembre à Mai) aggrave davantage encore les dangers de la circulation, et que l’augmentation de la fréquentation touristique depuis dix ans (170 000 visiteurs par an en 2002 contre 85 000 en 1990) laisse craindre une dégradation de la situation.
7° Considérant que la tranquillité des citoyens est troublée par les nuisances sonores inhérentes à la circulation des véhicules à moteur…

voiture bleue
Autant d’attendus qui restent plus que jamais valables aujourd’hui et qui pourtant, vu l’inefficacité et la non application de l’arrêté municipal qu’ils ont induits, ne sont plus pris en compte comme ils le méritent. Peut-être faudrait-il les réactiver pour une règlementation acceptable par tous, avant que la situation ne se dégrade de façon irréversible, comme le laissait prévoir hélas le considérant n° 6 d’il y a 12 ans. C’est un enjeu primordial pour le présent et l’avenir de notre commune avant qu’il ne soit trop tard.

Véhicules électriques de location ayant fait récemment leur apparition. Ph Terre-de-Haut Indiscrétions

Véhicules électriques de location ayant fait récemment leur apparition. Ph Terre-de-Haut Indiscrétions

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6 commentaires pour Circulation : l’arrêté municipal oublié

  1. Luc Federmeyer dit :

    Belle recherche M. Joyeux! Pourvu que ce dossier bien étayé aboutisse à des changements, c’est urgent!
    Vu d’un point de vue d’amoureux des Saintes cette question de la circulation est Le véritable problème de Terre de haut! Ce qui choque le plus les touristes, aussi!
    Lors de mon premier passage, il y a 6 ans, je filmais des témoignages d’anciens Saintois et c’est ce qui ressortit tout de suite: « Les Saintes ne sont plus ce qu’elles étaient depuis que les scooters nous ont envahit, impossible de faire la sieste!! »
    Qui n’a pas vécu ça: marchant sur l’une des belles voies de Terre de Haut, dans le bourg ou au delà, admirant les paysages, la végétation, saluant des amis… quelle plaie, quel stress d’entendre derrière soi un moteur deux temps pétaradant bruyamment arriver, te frôler dangereusement puis te laisser respirer dans son sillage son nuage puant et bleuté …
    Ah oui, ça crée du lien… juste envie d’un ball-trap sur le chauffard!
    Et dites moi, où est le plaisir d’infliger cela à ses contemporains en tant que conducteur ?
    Quel bonheur jouissif de réveiller 657 personnes, qui vont te maudire, en démarrant l’huileux et polluant engin?
    Combien de personnes à la mobilité difficile renoncent-elles à l’idée de se déplacer à pieds à cause de cette circulation dangereuse et omniprésente? Alors, effet boule de neige, on va prendre aussi son scooter!
    Aucun encouragement n’est fait aux jeunes pour aller se baigner à pieds plutôt qu’à scooter! Aller se baigner à Crawen -ou même au pain de sucre- à pieds depuis le bourg passe pour un exploit sportif!!!
    Ce qui m’étonne le plus c’est l’indifférence totale des gendarmes à ce sujet pour faire appliquer ne serait-ce que le code de la route, il est pourtant clair en terme de limite sonore, polluante, de vitesse et d’espace à respecter ! Cette « Tolérance Zéro » inversée aura pour résultat, sans doute et au grand malheur, un accident mortel qui marquera bien trop tard la limite de cet ubuesque et criminel laxisme. Si des élus ont fait voter des textes et qu’on ne se donne pas les moyens coercitifs de les appliquer… que vaut cette démocratie?
    Debout Saintois (e) ! Marche à pieds, prends ton vélo -même électrique- ta trottinette… dès que possible et travaille ta santé! Et limite l’usage du moteur à des urgences ou de réelles nécessités.

  2. vonvon dit :

    il faut aussi rajouter les avertisseurs dont les touristes et certains chauffeurs de camion font un usage abusif comme si ça les amusait de corner les piétons alors que ceux-ci n’ont pas de trottoirs où se réfugier pour leur céder le passage. Les voitures électriques ? une bonne centaine et on en attend encore mais le plus dangereux ce sont les véhicules que l’on peut conduire SANS PERMIS, avec la circulation actuelle il faut s’attendre au pire, quant aux gendarmes il semblerait qu’ils ne soient pas sur la commune pour faire respecter le code de la route, vérification des véhicules bruyants et polluants, vitesse excessive dans le bourg, klaxon, stationnement gênant sur le peu de trottoirs existants, pour l’instant on cherche à quoi sert ce service « d’ordre ».

  3. Alain Thouret dit :

    La première fois que je suis allé à Terre de Haut c’était en 1986 . Les scooters et voitures étaient inexistants, ou pratiquement. 15 ans plus tard j’y suis retourné et le changement était frappant : les scoots étaient légion. Les voitures existaient, mais n’étaient pas vraiment envahissantes. Depuis je me rend chaque année sur ce que j’appelle mon caillou du bonheur, et les voitures pullulent….je dirai (un peu d’humour) qu’elles se sont reproduites à une vitesse fulgurante. Alors je me dis « soit, le tourisme, étant ce qu’il est, est bénéfique pour mes amis saintois, mais le côté négatif est bien ce qui nous préoccupe ici…. » D’un côté l’épanouissement des gens qui veulent travailler sur leur île et qui n’ont pas tous l’étoffe d’un pécheur, de l’autre le modernisme galopant, même sur ce petit caillou perdu dans l’arc antillais. J’aurai préféré que 1986 s’éternise…..Il aurait fallu maîtriser dès le départ les loueurs de scoot, les guides touristiques..etc . Moins d’engins à moteur aurait moins tenté les non professionnels pétaradeurs. Moi même, j’avoue, je ne suis pas mécontent de me déplacer sur ce 2 roues bruyant, mais je n’en fais pas une priorité dans mes déplacements et je l’utilise avec parcimonie. Mais aujourd’hui les saintois sont dans une course folle, scoots,motos,voitures, voitures électriques et sans permis etc…Ils ne savent plus qu’ils sont sur une île, qu’ils défigurent ce bijou qui leur appartient, je crois qu’on ne les arrêtera malheureusement pas !!!! Quant à un accident mortel, il a déjà eu lieu, une plaque commémorative le signale sur le muret devant la mairie. Dessus il y a marqué une phrase du genre « nous ne t’oublierons jamais… » et bien si amis saintoises et saintois, vous êtes dans l’oublie ! Dans l’oublie que ces engins à explosion sont justement des petites bombes, pour l’environnement et pour vous, nous…pour mon caillou du bonheur.

  4. ALAIN JOYEUX dit :

    en 1972 ou 73, alors que j’avais 4 ou 5 ans j’ai fait une fugue avec mon tricycle … depuis l’école où habitaient mes parents jusqu’à la place de la mairie où habitaient mes grands parents. J’étais très fier de cette prouesse (je vous passe la réaction des adultes en émoi qui étaient à ma recherche) !
    Cet exploit sportif est sans doute impossible aujourd’hui et depuis longtemps déjà pour les gamins de l’île. Comme le souligne un commentaire précédent, c’est sans doute trop tard pour faire « machine » arrière d’une façon volontaire et citoyenne: trop d’habitudes prises et d’intérêts commerciaux en dépendent .

    Ce type de problème peut sans doute être évité s’il est anticipé et réglé avant qu’il ne survienne. Cela aurait pu être le cas si, à la fin des années 1970, nos élus avaient été visionnaires en la matière. Ce ne fut pas le cas.

    Cela dit, avec une réelle volonté politique et citoyenne, il n’est peut-être pas trop tard pour créer sur la commune un espace publique, dans des jardins ombragés où tous pourraient se promener, sans engins à moteur, où l’on pourrait palabrer tranquille sur des bancs, où les gamins pourraient apprendre à faire du vélo sans danger….: L’aérodrome actuel, avec près de 4 hectares de domaine public (interdit au public !) est quasi inutile et pourrait sans doute être réaffecté pour le bien-être de la population: cocoteraie, sentier de promenade ventilé, espace de jeux pour la jeunesse…. naturellement, un héliport pourrait être conservé pour les urgences. Tout cet espace « perdu » de l’actuelle piste serait sans doute avec joie récupéré pour le bénéfice de tous… Je transmets cette idée à nos élus actuels ou futurs afin d’étudier la fiabilité d’un tel projet : rendre au public un espace publique qui ne profite aujourd’hui qu’à quelques rares privés financièrement privilégiés (sans parler du danger que génère cet aérodrome pour les riverains).
    A bon entendeur.

  5. ALAIN JOYEUX dit :

    Je vous transmets le lien d’une liste d’îles sans voitures:
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27%C3%AEles_sans_voiture

  6. Rossignol dit :

    Superbe idée d’Alain Joyeux concernant les quatre hectares!Cela fait rêver …

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