Michel Tournier
Michel Tournier est un écrivain français né à Paris en décembre 1924. Âgé aujourd’hui de 90 ans, il obtint le Prix Goncourt en 1970 pour son roman Le Roi des aulnes. Il est connu de tous les collégiens de France (et d’ailleurs) pour Vendredi ou la vie sauvage, réécriture à leur intention d’un premier roman plus complexe, Vendredi ou les limbes du Pacifique, dans lequel il revisite à sa façon les aventures et le mythe de Robinson Crusoë. Auteur prolixe de romans, de contes, de nouvelles et d’essais à caractère philosophique, Michel Tournier, est un admirateur de l’œuvre de Flaubert qu’il considère comme « le sommet de la littérature française ». Germaniste de formation, il reconnaît néanmoins et revendique l’influence thématique et stylistique de la littérature allemande sur sa création littéraire. Dans son ouvrage autobiographique Le Vent Paraclet, publié en 1978, il propose une réflexion sur la littérature et apporte un éclairage instructif sur son œuvre personnelle.
Petites proses
Si tous les livres de Michel Tournier, des romans aux essais, présentent chacun un intérêt majeur pour le lecteur passionné de littérature, il en est un d’assez court, qui se lit sans ordre et qui s’intitule petites proses. Pour employer la formule habituelle qui n’enlève rien à ma sincérité, je ne saurais que trop vous conseiller la lecture de ce petit livre qui n’est pas sans rappeler l’esprit et la démarche de la dernière publication – beaucoup plus volumineuse – de l’écrivain franco-québécois-haïtien Dany Laferrière : L’art presque perdu de ne rien faire – (Éditions Grasset). Dans petites proses, Tournier, bien avant notre ami Laferrière, nous propose toute une série de succulentes réflexions sur les faits, gestes et thèmes de la vie quotidienne où l’impertinence et l’humour sont loin d’être absents. Vous vous régalerez avec : Des clés et des serrures – L’esprit de l’escalier – Téléphone – Bas-fonds – Mains – Mon œuf et moi – Célébration des fesses… etc. Autant de petits bijoux que vous ne manquerez sûrement pas d’apprécier et qui vous donneront peut-être l’envie de vous mettre à votre tour au clavier de votre ordinateur et de vous essayer, pourquoi pas ? comme Laferrière, à » l’art presque perdu de ne rien faire ».
Le test de l’arbre
Parmi les textes de petites proses, j’ai choisi Le test de l’arbre. Sans aucune raison particulière, sinon celle de vous mettre l’eau à la bouche et peut-être aussi parce qu’il entre dans le cadre de ce Blog, qui souvent fait, modestement, la synthèse de la philosophie, de l’action et de la poésie, comme le précise la conclusion de Michel Tournier. Le problème c’est que dès que vous l’aurez lu, connaissant la signification, selon l’auteur, de la représentation des différentes parties de l’arbre, vous ne pourrez plus innocemment dessiner le vôtre sans être influencé. Je vous propose donc de suspendre un instant votre lecture, de prendre un crayon et un papier et de vous mettre à l’ouvrage. Votre arbre dessiné, vous reprendrez la lecture et vous saurez ainsi dans quelle catégorie vous vous situez. C’est parti. Mettez de côté pour un instant votre ordinateur.
Le texte de Michel Tournier
« Pour déceler la psychologie du « sujet », on lui demande de dessiner un arbre. C’est là que commence le suspens, car il n’y a pas deux arbres identiques, aussi bien dans la nature que sur le papier.
Commençons par les racines. Certains « sujets » omettent purement et simplement de les dessiner. Si on leur fait remarquer leur oubli, ils répondent que l’arbre cache ses racines dans la terre et qu’il ne faut pas faire comme l’enfant qui n’oublie pas de dessiner le nombril du bonhomme habillé qu’il dessine. On peut se satisfaire de cette explication. Mais on peut également définir la nature de la racine, élément nocturne, tellurique, qui assure obscurément à l’arbre à la fois sa nourriture et sa stabilité. Gaston Bachelard allait encore plus loin et voyait dans la racine une étrange synthèse de la vie et de la mort, parce que, inhumée comme un défunt, elle n’en poursuit pas moins sa puissante et secrète croissance.
On comprend dès lors que s’il y a des hommes-racines, qui dans leur dessin privilégient le niveau souterrain de l’arbre, d’autres s’en détournent au contraire instinctivement.
Sans doute accorderont-ils leur préférence au tronc. C’est l’élément vertical de l’arbre, celui qui symbolise l’élan, l’essor, la flèche dressée vers le ciel, la colonne du temple. L’homme d’action doué d’une dimension spirituelle se reconnaît dans cette partie de l’arbre. Il y a autre chose. Le tronc ne fournit pas seulement le mât du navire. C’est lui qui donne le bois, matériau de la planche, de la poutre, du billot. Sa couleur, ses lignes, ses nœuds et même son odeur parlent puissamment à l’imagination.
Mais toute une catégorie d’hommes et de femmes ne se reconnaissent que dans les branches horizontales et leur feuillage. C’est le poumon de l’arbre, les mille et mille ailes qui battent comme pour s’envoler, les mille et mille langues qui murmurent toutes ensemble quand un souffle de vent passe dans l’arbre. Au demeurant, ramage signifie à la fois chant et entrelacs de rameaux.
Ainsi chaque arbre rassemble les images des trois grandes familles humaines : les métaphysiciens, les hommes d’action et les poètes. Et il nous apprend en même temps qu’ils sont solidaires, car il ne peut y avoir de frondaison sans tronc, ni de tronc sans racine. »
Une réponse attendue ou non
Si vous avez joué le jeu et qu’effectivement vous avez dessiné votre arbre avant d’avoir lu le texte de Michel Tournier, vous pouvez, si vous le souhaitez, laisser un commentaire. À moins que vous préfériez garder pour vous la conclusion de votre test. La liberté d’expression n’est-elle pas devenue par les temps qui courent le maître-mot à l’honneur de tous les médias actuels et de toutes les bouches à l’unisson ? Merci néanmoins pour votre contribution. J’ai toujours privilégié quant à moi les branches et le feuillage. De là à conclure que je suis poète, je ne m’aventurerai que délicatement en ce lumineux chemin, connaissant l’éclat et la puissance du mot poésie !..
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PS : J’ai ajouté un lien pour un tout nouveau blog : zbler.com. Je vous conseille vivement de vous y rendre sans tarder. Des articles passionnants sur l’art vous y attentent, écrits par des étudiants férus de culture.
A la lumière du texte de Tournier, que puis-je dire dire de cet arbre que j’ai peint et que tu as publié pour illustrer le texte ?
Ce tableau est dédié à ma mère. La jeune fille allongée siestant à la base du tronc est une évocation de sa jeunesse normande…. Le tronc est bleu et fin, le ramage est fleuri… Que viens faire ce chat noir ?
Les racines invisibles sont couronnées par une présence féminine. Est-ce à dire que la femme -mère, notre matrice planétaire autant que la mama pourvoyeuse des bienfaits de l’enfance représente cet « élément nocturne, tellurique, qui assure obscurément à l’arbre à la fois sa nourriture et sa stabilité » ? Cela convient joliment …
Le poirier centenaire de la place à TdH m’inspire particulièrement pour lui redonner couleur à travers une peinture. Présence aujourd’hui invisible, qui n’est pourtant pas « absence », pas plus que celle de ma grand mère à présent « invisible » dont la maison de l’époque apparaît dans le prolongement de l’ombre de l’arbre.
Merci de cette belle chronique, encore une fois.
Alain.
Mon arbre ressemble au poirier de la place de la mairie (magnifique !), tronc vertical , 2 branches au lieu d’une et à 45° par rapport au tronc, le feuillage est un cylindre aux bords ondulants…..pas de racine.
Homme d’action ? Je l’ai surement été . En fait si je dessine un arbre aussi naïvement c’est parce que je suis un dessinateur médiocre. Homme d’action surement , dessinateur non , et j’ajouterai malheureusement ! J’en profite pour féliciter Alain Joyeux pour ses tableaux qui ne laissent pas indifférents .
Terre-de-Haut était célèbre pour sa quantité de poiriers-pays plantés sans doute dans le bourg peu après sa colonisation. Nos ancêtres avaient tout de suite compris quel parti ils pouvaient tirer de ce arbre endémique des Saintes et de Guadeloupe, ne serait-ce que de l’ombre qu’il générait dans un pays constamment écrasé de soleil. Ainsi toutes les routes et rues de la commune avaient été bordées continument de ces arbres magnifiques qui ont servi aussi à la construction du fameux canot saintois (toute la membrure ainsi que les pièces maîtresses – étrave, étambot – tableau arrière – étaient construites avec les branches de cet arbre, judicieusement choisies pour leur robustesse et leurs formes naturelles). Je m’empresse d’ajouter que si nous assistons aujourd’hui à une diminution dans le bourg de Terre-de-Haut de cette espèce végétale, les charpentiers de marine n’y sont pour rien. Tout en prélevant ce dont ils avaient besoin, ces professionnels savaient respecter la nature. Ils savaient où et quand « se servir » pour permettre aux arbres de se régénérer et non de dépérir. D’ailleurs les « saintoises » d’aujourd’hui sont toutes construites en résine et plastique. Le modernisme (bétonnage à outrance) et les contraintes de l’habitat (nécessité de plus d’espace) contribuent seuls de nos jours au déboisement et à la destruction du poirier dont la présence est pourtant si nécessaire sous nos latitudes.
De même pour le gommier rouge et les merisiers qui disparaissent également
Merci Dario pour tes commentaires. Ça fait plaisir de constater que des anciens élèves (dont tu étais l’un des plus brillants – cela dit sans faire ombrage aux autres !), lisent et commentent les chroniques de leur vieux professeur. Concernant les merisiers des mornes, voici un petit poème paru dans mon dernier recueil qui va dans ton sens à propos des merisiers dont « on » a interdit la taille et l’exploitation par les pêcheurs, donc la repousse et la re-générescence naturelle :
Mortelle protection
Petits bouquets de merisier
vous mourez le long des sentiers
depuis qu’un décret imbécile
de votre vie brisa le fil.
Adieu merises par milliers
à la treille de nos paniers
adieu liqueur de Noël
de nos veillées traditionnelles.
Adieu solide armure
défiant l’usure
ô baguettes de merisier
de nos casiers.
Plus souple que le liège
adieu nos pièges
aux tourterelles des gommiers
prises à l’hélice du poirier.
Petits bouquets de merisier
qui mourez le long des sentiers
pour avoir été protégés
de barbelés
vous desséchez sous les raziés
depuis qu’une loi imbécile
petits bouquets de merisier
de votre vie brisa le fil.
R. Joyeux
P.S : J’ai conservé un petit livret polycopié sur Terre-de-Haut réalisé en classe de 4ème en 1972 ou 73 et dont tu es l’un des rédacteurs avec quelques autres…