Une escale aux Saintes en 1935 -3/5

Logée chez les Saint-Félix, Marthe Oulié poursuit ses pérégrinations à Terre-de-Haut. Elle rencontre tour à tour le maire Georges Cassin et le brigadier de gendarmerie qui, chacun à sa manière lui raconte ses préoccupations du moment. Puis c’est l’arrivée de la Jeanne d’Arc…

Rencontre avec le maire et un brigadier

Georges Cassin : un descendant de Jean Calo

« Si vous voulez parler au maire, m’a-t-on dit, il faut longer ce petit sentier jusqu’à une savane où vous verrez des bœufs. C’est celle du maire, un homme riche ! » J’ai fini par trouver la savane, à l’herbe sèche, les bœufs qui se grattaient au tronc de deux pommiers sauvages. Un homme coiffé d’un « salako », vêtu d’un pantalon de toile bleue déchirée, pieds nus, était appuyé à une palissade. Il tenait encore à la main la faucille dont il avait coupé quelques arbustes.

« C’est bien moi, Cassin, le maire, répondit-il avec une lueur très bonne dans le regard. Je ne sais pour combien de temps encore ! J’ai soixante-neuf ans. — Breton? — Oui. C’est mon aïeul, Jean Calot dont on vous a peut-être raconté l’histoire. Un héros à sa manière. Il a sauvé trois navires français qui étaient ici au Mouillage. Toute une escadre anglaise arrivait pour s’en emparer. Il faisait grosse mer. « Jean Calot qui était un habile pilote les a guidés hors des îlets. On lui a offert de rester à bord, de se laisser emmener en France, de le couvrir d’or. Mais il n’a pas voulu abandonner les siens. Il n’a voulu accepter qu’une petite embarcation pour regagner la côte. « C’est folie, lui disaient les marins. Vous ne pourrez doubler ces courants, ces vagues. » Mais il était têtu, mon aïeul, comme tous les Bretons et il a pris la mer, et il est rentré chez lui! »

Georges Benoît Cassin – Maire de Terre-de-Haut 1929-1935 – Archives P. Péron

Dernièrement encore un vieux qui est mort à cent ans se rappelait le temps où les Anglais ont pris l’île. Les habitants ne les aimaient pas. Ils refusaient de leur vendre de la nourriture. Les Anglais devaient prendre les animaux qu’ils trouvaient paissant dans la savane et ils accrochaient à un arbre une bourse contenant le prix de la bête. Ils s’en acquittaient d’ailleurs honnêtement. « Voyez-vous, me dit-il encore, ce serait ici un paradis s’il n’y avait pas tant de sécheresse. On ne sait de quoi nourrir les bêtes. »

En effet, les mornes qui de loin paraissaient boisées, ne sont couverts que d’arbrisseaux maigrichons. Terre de Bas est plus boisée, plus humide donc. On y cultive la canne et le café. « J’ai vu, dit-il, un temps où on allait chercher de l’herbe à la Guadeloupe en canot et malgré cela les bêtes crevaient. » Cassin, pur Breton aux yeux bleus, a pour femme une mulâtresse dominicaine, et dix enfants. La plus petite a tout juste cinq ou six ans. « Il n’y a eu pendant longtemps que des Blancs ici. Vous voyez ces forts sur les hauteurs. Ils avaient des garnisons de soldats venus de France. Certains sont restés ici, ont fait souche. Dans ma jeunesse, il y avait un seul Noir : Saintal, tandis qu’en face, à Terre de Bas, toute la population était noire. Mais le chef des Douanes a envoyé six douaniers noirs au Mouillage et cela a fait du café au lait! »

Le gendarme : second des notables du village

Nous revenons à pas lents, salués d’un sourire par tout le monde. Le second des notables du village vient à nous. Le gendarme, en vareuse de coutil kaki déboutonnée sous le casque colonial. C’est un brave homme pénétré de son importance qui dit volontiers : « le Gouverneur et moi nous avons décidé… » Il pousse souvent l’obligeance jusqu’à se transformer en hôtelier pour les touristes de marque. « Y a-t-il beaucoup de crimes, de délits, dans votre île? » lui ai-je demandé. Il a longuement réfléchi, puis : « La première année où j’étais ici, je n’ai eu à dresser qu’un seul procès-verbal. C’était pour un chien sans collier. »

Quand je suis partie à la recherche du maire, c’était l’heure de la sieste. Persiennes closes, le village dormait, sans un bruit de mouches. Le vent était seul à se promener en secouant des feuilles, le long de la rue. Mais maintenant, on s’est réveillé, des femmes au pas des portes, leurs cheveux crépus bien roulés en tortillons sur le front et les tempes, s’étirent en faisant saillir leurs seins et leurs hanches. Les hommes, bras ballants, sont groupés sur la jetée, car le vapeur hebdomadaire « Le Trois-Ilets » vient d’y accoster et on débarque quelques tonneaux, de quoi enivrer en imagination tous les assistants.

Arrivée d’une barge au port de Terre-de-Haut

Arrivée de la Jeanne d’Arc

Les fenêtres jettent par poignées, comme des confetti, des notes criardes d’accordéon. C’est que toutes les maisons de la Grand’Rue sont transformées momentanément en débits. Elles ont pris licence pour un mois, et elles arborent de petites enseignes peinturlurées : Au sans- pareil. Au Café de la Marine. Au cœur marin (celle-ci a un cœur en peinture traversé d’une flèche d’argent). — Et pourquoi tout ce remue-ménage? — Ah! C’est que le Bateau est là. » Quand on parle du « bateau » aux Saintes, tout le monde sait qu’il s’agit de la « Jeanne », c’est-à-dire du croiseur-école Jeanne d’Arc. Il mouille en rade environ trois semaines et débarque quotidiennement ses midships et ses matelots pour les travaux hydrographiques et autres, et pour les exercices de tir. Pas moyen de s’approvisionner: tout est gardé pour le bateau, le lait, le poisson et le cœur des femmes. On prétend que neuf mois après le passage de la Jeanne, il y a dans l’île toute une portée de moussaillons. Ainsi se perpétue la tradition bretonne, qui en vaut bien une autre.

La Jeanne aux Saintes – Collection Catan

La Jeanne se profile, toute claire, sur le sombre îlet à cabris. Elle évite lentement. On voit tantôt son avant aigu, tantôt sa coque dans toute la longueur, et son frêle hydravion qui sautille sur la mer suspendu par une amarre à un tangon comme un jouet au bout d’un élastique. Le D’Entrecasteaux qui est mis provisoirement à la disposition de la Jeanne apparaît, lui, et disparait comme un blanc fantôme, dans cette baie d’Along en miniature que forment les découpures des Saintes et les bosses saillantes de leurs îlets.

Texte de Marthe Oulié 1935
Publié par Raymond Joyeux 3 décembre 2020

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10 commentaires pour Une escale aux Saintes en 1935 -3/5

  1. ALAIN THOURET dit :

    Toute une époque Raymond. Petite question généalogique, les Cassin d’aujourd’hui descendent ils du maire Georges Benoit Cassin (il avait 10 enfants…) ?

  2. Bernard MOLINIE dit :

    Bonjour à Tous,
    Pour répondre à cette question sur la généalogie, j’ai, sur la base de mes recherches personnelles, qui se limitent à ma famille MOLINIÉ-LOGNOS recenser les éléments suivants :
    Les familles les plus importantes des Saintes sont BRIDE, FOY, CASSIN, RUART, MELSE, DEHER, LORGÉ, JOYEUX
    Si certains patronymes RUART, MELSE sont moins représentés (actuellement selon mon analyse), les autres se sont toujours très présents.
    Si l’on revient sur le personnage de Georges Benoit CASSIN. Son nom de naissance est Benoit Léonce CASSIN dit Georges le 21 mars 1865 dans la maison de Mr REIMONET sise au Fond Curé. Il est la 4 eme génération après l’arrivée de son aïeul Etienne CASSIN marié à DUFET ou DUFAY Catherine Geneviève en 1764. Etienne est dit être né à San Rémo province de Gènes. Mais selon certains écrits le nom CASSIN est originaire de la région de Aix en Provence et certains écrivent que le nom est d’origine judaïque. Breton il le devait certainement à l’origine de CALO mais pas de CASSIN. Pour moi j’ai relevé que 9 enfants dont le dernier est Georges Alexandre né en 1905. Les archives numérisées sur Terre de Haut s’arrêtent à cette date. le 10eme enfant qui serait une fille, est né après 1905. Tous les enfants sont nés EDRODE et légitimé par le mariage des parents le 22 Aout 1925.
    Patrick PERON fait une analyse très précise du nom CASSIN dans son ouvrage COLONS ET ENGAGÉS AUX SAINTES du XVII ème au XIX ème siècle. (je conseille de lire ce passage pour en savoir plus)
    Bien cordialement à tous

    Bernard MOLINIÉ

    • raymondjoyeux dit :

      Merci Bernard pour cet intéressant éclairage. Je pense qu’il satisfera les nombreux lecteurs concernés et au-delà. Donc, les Cassin ont bien pour ancêtre le sieur Jean Calo, comme le démontre Péron dans un autre livre : Petite Histoire de Terre-de-Haut. Je précise que ce même Patrick Péron vient de publier un dernier ouvrage, lui aussi fort intéressant : Une histoire des Saintes 1648-1948, aux éditions Nestor.

    • ALAIN THOURET dit :

      Merci pour ces précisions.

  3. Bernard MOLINIE dit :

    Bonsoir Raymond,
    Pour être précis et selon les recherches que j’ai effectuées, les CASSIN ayant comme ancêtre Jean CALO sont, pour moi, issus de la lignée Pierre Léonce CASSIN marié à Marie Julienne Lucette CALO. Ce sont les parents de Benoit Léonce CASSIN (personnage de l’article). J’ai relevé 7 enfants issus de ce mariage (2 garçons, 5 filles). Je n’ai pas suivi la lignée CALO dans son ensemble.
    Bonne réception
    Bernard

    • raymondjoyeux dit :

      Merci Bernard, tu es irremplaçable. Pourrais-tu sur ta lancée faire une petite recherche sur ma grand-mère paternelle Edith Desbonnes, épouse de Jean-Marie Joyeux le père de Joubert ? Pour le moment je ne peux te fournir aucune date, mais je dois avoir ça quelque part. Par la même occasion je vous souhaite à tous les deux un très Joyeux NOËL !…
      Raymond

    • Cassin dit :

      Bonsoir , je suis Catherine, arrière petite fille de Benoit CASSIN. Eudrosia et lui ont bien eu 10’enfants: Joseph nė en 1885, Gabrielle (Mme ISMAEL)en 1887, Laurence ( Mme. CASSiN Maurice) en 1889, Georgina (Mme Quintard)en 1891, Léon Pierre en 1894,Cécilia (MmeDABRIOU) née en 1896, Anatole en 1899, Théophile en 1902,Georges en 1905(mon grand père) et la dernière Edwige en 1908,

      • raymondjoyeux dit :

        Merci Catherine pour ces précisions. Les dates aussi sont intéressantes. Par ailleurs, j’ai appris par Michel, également petit-fils de Benoît Cassin, qu’ Eudrosia a eu des enfants avec un autre homme et idem Benoit Cassin avec une autre femme. Il faut que je le revoie pour noter le nom de ces enfants hors concubinage. Je dis concubinage pcq ton arrière-grand-père s’est marié avec Eudrosia sur le lit de mort de cette dernière. C’est Théodore Samson qui procéda au mariage civil et le père Magloire au mariage religieux. Benoit décéda quelque temps après, en 1935, avec l’extrême onction, lui qui ne voulait pas mettre les pieds à l’église. À sa mort, Théodore Samson qui était premier adjoint devient maire.

  4. Gilles Samson dit :

    Bonjour M. Joyeux. Pensez-vous publier bientôt les passages 4/5 et 5/5 de ce texte de Marthe Oulié ? Merci. Gilles Samson

    • raymondjoyeux dit :

      Bonjour Gilles. Rassurez-vous, ces chroniques sont déjà prêtes, elle seront mises en ligne d’ici quelques jours, dans le courant de janvier.
      Meilleurs vœux à vous et bonne soirée.
      Cordialement

      R. Joyeux

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