En cette période d’inactivité forcée, certains de nos compatriotes publient avec bonheur sur différents sites Internet des photographies anciennes d’événements, de personnes ou de paysages des Saintes et de Terre-de-Haut en particulier. Nous assistons ainsi grâce à ces images d’un autre temps à l’évolution humaine et environnementale de notre île. La nostalgie s’empare alors de beaucoup de Saintois, résidents ou éloignés, face aux souvenirs attachés à ces personnages et autres sites naturels aujourd’hui disparus ou transformés. Paysages ou personnes que la plupart des plus jeunes d’entre nous n’ont pas connus. Voici pour mémoire et parmi d’autres, quelques-uns de ces paysages emblématiques avant leur transformation et qui furent, pour les plus anciens, des hauts-lieux de leur lointaine enfance… et pour certains source d’inspiration poétique…
1 – La Petite Anse en 1964 avant son comblement

Photo Raymond Joyeux
Les deux personnes sur la plage sont : Debout, Loulou Azincourt – Assis, Raphaël Cassin.
Rappelons que ces deux Saintois étaient partis à la dissidence en 1943 et avaient rejoint via la Dominique et l’Amérique des unités combattantes en Europe.
2 – Comblement de Petite Anse et construction du plan d’eau – 1973

Photo Bernard Hermann in Guadeloupe Éditions du Pacifique
Petite Anse
Fertile plage lagunaire
estran enluminé de spires
et d’ocre
non lieu de sable et d’eau
tantôt l’une tantôt l’autre
mer en sursis
terre en instance
chacune tour à tour
avare de son bien
mille fois donné
mille fois repris
anse nostalgique
de ses geysers engloutis
quand la palourde
y menait paître ses petits
aux champs toujours humides
de l’ulve et de la coralline
quand nos pieds impatients
y sculptaient leurs ornières
en ablutions d’avant le bain
que les sœurs de l’hospice
y confiaient leur voile bistre
aux marches tièdes du bassin
et se vêtaient de blanc
pour l’hippocampe
et pour l’oursin
couchez-vous sur la terre
l’oreille au centre de l’infâme
entendez-vous la voix spoliée
des patelles et de l’ophiure
l’humaine corne brune
de la haine et des servitudes
mêlée au glas de la mouvante borne
comme le fer sur l’enclume
dans le silence des lunes
sans reflets.
(Nautiques – Raymond Joyeux – Éditions Les Ateliers se la Lucarne -2018)
3 – L’Étang Bélénus lors de son comblement en 1964

Photo Raymond Joyeux
4 – Le cimetière avant la disparition progressive des conques décoratives

Photo Raymond Joyeux – Année 70

Source inconnue. Doc R. Joyeux
ÉPITAPHE
Lorsque je serai mort
Qu’en ton sable insulaire
Ma tombe fleurira
Que mon corps en poussière
Entouré de lambis
Pour pierres mortuaires
Silencieusement
Regagnera ma terre
Que sur le courbaril
Dont ma croix sera faite
La main du fossoyeur
Aura gravé ci-gît
Je veux que son stylet
Un court instant s’arrête
Pour qu’il n’inscrive pas
Ces pensées lacrymales
Où le regret se mêle
Au repos éternel
Mais qu’en bleu océan
Il continue de peindre
Ci-gît homme qui fut
Des Saintes de la mer
Du sable des îlets
Des vents dévastateurs.
CIMETIÈRE
Là tes fils sont couchés
On dirait qu’une lame
Immense depuis l’Est
Les a tous alignés
On dirait qu’une étrange
Et pâle solitude
Du profond de la mer
Les a tous enivrés.
Comme un blême linceul
Le sable les recouvre
Et l’ombre de leur croix
À jamais dessinée
S’ouvre éternellement
Impuissante et sublime
Et c’est pour chaque tombe
Un mât déguenillé.
Et les fleurs par instant
Rappellent encor au vent
Que leurs tiges brûlées
Que leurs pétales en deuil
Ont un jour parfumé
Au retour de la pêche
Leurs cheveux aujourd’hui
À la terre mêlés.
Là tes fils sont couchés
Et leurs belles joyeuses
Au bras d’un fiancé
Ne vont plus le dimanche
Sur leur bouche fanée
Recueillir un baiser.
Elles ne pleurent plus
Comme à l’enterrement.
(Poèmes de l’Archipel- Raymond Joyeux -Éditions les Ateliers de la Lucarne -1986)
5- Mare sur la route de Pompierre avant l’arasement du morne
6 – Site de la Batterie et de la Crique avant leur configuration actuelle

Photo Raymond Joyeux – année 2018
7 – Frangipagnier du dispensaire avant sa destruction

Photo Raymond Joyeux – année 2015
Pour un arbre assassiné
Douce ombre envolée
qu’une main guerrière a tranchée
qu’avais-tu fait aux imbéciles
quel crime as-tu commis dis-le.
Dis-moi dis-moi
pourquoi
des lâches
un jour de relâche
au petit matin de la plage
commandités par des sauvages
t’ont mon arbre assassiné
ton bel ombrage saccagé.
Dis-moi
si toutefois
tu le sais
qui tant et tant te haïssait…
Dis-le moi
mon arbre si tu le sais
qui tant et tant te haïssait.
Alors je le saurai, moi,
ô mon arbre innocent
quels forcenés
tant et tant te haïssaient
pour lâchement
au point du jour t’assassiner.
(Saintoises – Raymond Joyeux – Éditions Les Ateliers de la Lucarne – 2019)
8 – Terrasse maison Joyeux avant le restaurant et la poissonnerie

Carte postale Antilles touristiques – Doc Raymond Joyeux- Année 1970
9 – Poirier et vue sur mer avant la construction de la poissonnerie
Abattoir
La fenêtre sur mer
a été cadenassée.
On a dressé des murs, des grillages,
planté des tables de béton.
Serties d’inox et d’écailles
elles reflètent les bons et mauvais jours
des pêcheurs au DCP
promus bateleurs de marée.
Entrailles et ouïes
rougissent le sol
un rostre de marlin
une mâchoire de requin…
Trois bancs de bois
un joli kiosque
des fleurs une fontaine
en auraient fait une oasis.
Un mausolée a supplanté un lieu de vie
une morgue un balcon sur l’infini.
(Saintoises – Raymond Joyeux – Éditions les Ateliers de la Lucarne – 2019)
10 – Plage du Fond Curé fin 19 ème siècle, en blanc la maison Joyeux
11 – Cyclone Inès 1966 sur le littoral devant la poissonnerie actuelle
L’œil du cyclone
Lorsque le vent se lève
au nord de mon pays
S’inscrit la fuite des courants
à la lisière des hauts-fonds
Et le ciel s’écartèle
aux quatre temps de la saison
lorsque septembre en transe
en voile de mariée
gravit les marches du cyclone.
La mer huilée
en tous ses muscles de lutteur
déploie sur toutes rives dévastées
ses grandes rages tapageuses.
Et le soir qui s’essouffle
à cerner l’œil de la tempête
grave l’espoir
au cœur de l’homme.
(Poèmes de l’Archipel – Raymond Joyeux- Éditions Les Ateliers de la Lucarne -1986)
12 – Les Quilles et la passe des Dames – Pointe du Grand Îlet
Les Quilles
(Stalagmites)
Qui se souvient de vous
stalagmites de feu
bornes aériennes du cadastre
millénaires vigies
de la passe des Dames
qui se souvient de vous
aiguilles de la Rose des Vents
doigts striés de Neptune
surgis des profondeurs
et semant aux étoiles
l’or des constellations
innocentes victimes
de l’ange qui pointa
aux ides de février
la mire de ses bombardes
dispersant vos phalanges
aux larmes du crabier
Stalagmites de feu
qui sait vos routes sous-marines.
(Nautiques – Raymond Joyeux – Éditions Les Ateliers de la Lucarne 2018)
13 – Flamboyant de la place de la Mairie

Carte postale Emmanuel Macal – Années 1970 – Doc R. Joyeux
14 – Ancien presbytère route de Grand’Anse
15- Place de la mairie avant sa transformation – Années 1960

Source inconnue – Doc R. Joyeux
16 – Le Marigot avant son aménagement en lotissement, stade et collège

Carte postale Iris – Doc R. Joyeux
Marigot
(Saline)
Genèses contenues
de saumure et d’hysope
oasis huilée à la boue des faluns
éventails tronqués
de racines et d’ajoncs
éparses tours de garde
aux palabres de l’échassier
à fleur d’horizon
l’aber tranquille de la baie
prostrée à l’aura
de la Roche des Mauves
médite à l’à pic des falaises
sa proche livraison de vreig
au pèlerin
nos yeux n’ont pas d’égard
aux ravaudeurs
chasseurs de mailles déroutées
sous l’ombre oblique de leur tègue.
(Nautiques – Raymond Joyeux – Éditions Les Ateliers de la Lucarne – 2018)
17 – Place du débarcadère en 1931
18 – Entrée de l’actuelle poissonnerie sans la location de scooters
SENTINELLES DE MA MÉMOIRE
Mon île mon pays
Aux mornes arasés
Te souviens-tu
De tes collines giboyeuses
Où luisait le crin noir
Des cabris égarés.
Mon île mon pays
Aux mares asséchées
Te souviens-tu aussi
De tes étangs soyeux
Que déchirait le vol
Des alouettes marines.
Mon île mon pays
Aux pistes assoiffées
Te souviens-tu encor
De tes sentiers de glaise
Où l’ombre s’accouplait
Aux flancs embruinés
Des gouffres écumants.
Et des traces secrètes
Des guetteurs de gibiers
À la veille des jours
Où sur les anses bleues
Se refermait le piège
Des sennes pourvoyeuses.
Mon île mon pays
Aux savanes brûlées
Que sont-ils devenus
Tes poiriers centenaires
Que saluaient les vents
Des marées de septembre.
Et que sont devenues
Tes citernes antiques
Celles de la Rabès
Et de la Maison Blanche
Celles du Lazaret
De la Convalescence
De la Prison des femmes
Et du Fort glorieux.
Ô mon pays mon île
À la sève usinée.*
* Allusion à l’usine de désalinisation de l’eau de mer installée
un certain temps sur le site de Morel à l’extrême Nord de l’île.
Cette usine est aujourd’hui désaffectée et l’eau potable provient directement depuis 1994 de la Guadeloupe proche par une canalisation sous-marine.
(Poèmes de l’Archipel – Raymond Joyeux – 1986 –Les Ateliers de la Lucarne)
19 – Citerne de la Caserne

Citerne de la Caserne aujourd’hui – Photo Raymond Joyeux.
20 – Une rue du bourg avant l’invasion des scooters
PS : Les photos paraphées Raymond Joyeux sont propriété de l’auteur. Elles sont libres de droit. On peut donc les utiliser en conservant le nom inscrit. Les autres illustrations proviennent de diverses sources, indiquées lorsqu’elles sont connues.
Les poèmes sont extraits des différents recueils de poèmes de Raymond Joyeux.
La disposition initiale des vers a été modifiée pour la circonstance.
Merci pour votre fidélité et bon courage à toutes et tous
en attendant la fin du confinement.
Publié par Raymond Joyeux,
le 05 avril 2020
merci pour toutes ces belles photos .
Je pense, Jean-Philippe, que ton père, Roméo, et toi, vous devez posséder l’une des plus belles collections de photos anciennes – et d’aujourd’hui – des Saintes. Vous êtes des passionnés qui laisserez aux générations futures des témoignages exceptionnels. Le seul dommage, pour nous Saintois, c’est qu’il n’y ait pas à Terre-de-Haut un lieu dédié à des expos pour que la population d’aujourd’hui profite et apprécie votre trésor.
Merci pour votre précieux travail de mémoire.
C »est magnifique Raymond !
« La pensée d’un homme est avant tout sa nostalgie. » Albert Camus (Le mythe de Sisyphe)
Merci Liliane,
J’ai lu ce matin dans Poésie ininterrompue de Paul Éluard (Poésie/ Gallimard) ces vers de circonstance :
« Je peux vivre entre quatre murs
Sans rien oublier du dehors »
…
« Il nous suffit d’être chacun pour être tous
D’être soi-même pour nous sentir entre nous. »
Bonne journée.
Bonjour Raymond
merci pour ces photos ( Souvenirs) un paysage magnifique
ouf ! que ça fait du bien ce recueil de photo et de poèmes, j’ai un pincement au cœur de ne pas avoir découvert Terre de Haut à ces époques là, le coup de foudre aurait été magique ! merci Raymond de ce ballon d’oxygène