Navigation maritime saintoise : sur une photo de Cécile Samson

Je reçois ce jour, par l’intermédiaire d’un ami, une photo postée sur un site Facebook par Cécile Samson, fille de l’armateur saintois Henri Samson, propriétaire dans les années 1950 du Liberté II. Photo que je me permets d’utiliser pour illustrer cette chronique, en remerciant bien entendu vivement Cécile par anticipation pour ce magnifique cliché qui nous ramène plus de 60 ans en arrière.

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Le Liberté II et le Capella, à quai à Terre-de-Haut – Fin 1950

Un ouvrage indispensable

Outre une immense explosion de souvenirs d’adolescent, comme sans doute pour beaucoup de Saintois, cette photo a été pour moi l’occasion de consulter à votre intention l’ouvrage de l’ancien administrateur des Affaires maritimes, M. Roger Jaffray, intitulé Le transport maritime dans l’archipel guadeloupéen depuis 1930. Dans ce livre abondamment illustré, publié en 2016 aux éditions Scitep, préfacé par M. Denis Brudey et que tout amateur de la question devrait posséder, une part importante est consacrée aux armements des Saintes. Y sont répertoriés les nombreux navires, voiliers, caboteurs, vedettes à passagers qui ont relié notre archipel au «continent» guadeloupéen avant et au cours de la seconde moitié du siècle dernier.

Voici que qu’écrit à ce propos M. Roger Jaffray,
aux pages 66 et suivantes de son livre :

20200330_114624_resized (1)« L’un des premiers voiliers à assurer des voyages entre les Saintes et Basse-Terre est La Biguine, au début des années 30. Peu après, La Belle Saintoise est le premier navire à moteur sur ce trafic. Le voilier Maroc est également exploité au cours des années 30…

Pendant la guerre 1939-1945, le voilier Liberté II est mis en service. Après la guerre, la Combattante et Rêves sont exploités au départ de Basse-Terre.

Dans les années 50, le besoin de transport augmente dans la population de l’archipel : scolarisation des enfants sur le « continent », utilisation des services au chef-lieu et contacts avec l’administration. En 1954, la population saintoise (Terre-de-Haut et Terre-de-Bas réunies. NDLR) est de 2574 personnes. Les liaisons de l’archipel se font surtout avec Basse-Terre. Mais Trois-Rivières présente un intérêt croissant avec le développement du transport routier…

En sept ans, une dizaine de navires est mise en circulation : Trafalgar (1956), Goéland (1958), Surprise (1958), Qui Sait (1958), Laura (1959), Saintoise (1959), Cybèle (1961), Le Présent (1962), France des Antilles (1962). Du voilier de charge transportant des passagers sur le pont, on passe à la vedette à passagers transportant des marchandises. De plus, à partir de 1958, le caboteur Capella dessert les Saintes…

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Le Qui Sait en route vers les Saintes – Doc. R. Jaffray

Au cours des huit années suivantes, des vedettes à passagers, appartenant pour la plupart à des armateurs de l’archipel, entrent en service : Antarès (1966), Margie (1966), Marie des Îles (1966), Caloucera (1968), Fleur de l’Île (1969), Saintois (1970), Saintoise II (1970), Le Zéphyr (1970), Marianne (1970), Lynn D (1971), Princesse Caroline (1972), Damon D (1974)…

Dans les années 80, une nouvelle génération de vedettes, plus rapides, entre en service : Roche Percée (1981), Princesse Caroline II (1984), Régina (1984), Fort Napoléon (1984), Lynndy (1985), Madras (1985), Axelle et Antoinette (1986), Princesse des Îles (1988), Tropic (1988).

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Tropic de la Compagnie Brudey Frères – Doc. R. Jaffray

En 1991 et 1992, deux petites unités sont mises en exploitation à l’intérieur de l’archipel saintois, Inter, puis Inter II, pour réunir Terre-de-Haut et Terre-de-Bas.

De grandes vedettes à capacité plus lointaine sont mises en service par la suite : Maria (1990), Flycat (1992), Atlantica (1995), Acacia (1998), Passion (1999). À la fin du siècle, des vedettes plus petites, Acajou et Cytère sont mises en service pour les lignes de l’archipel.

En 1999, le navire à passagers à grande vitesse Miss Guadeloupe, est mis en service. En 2000, le catamaran à passager Ouyva est mis en service. En 2004, le Compagnie Saintoise de Transport arme le navire de charge La Parisienne. En 2014, la commune de Terre-de-Haut met en exploitation la vedette à passagers Béatrix… »

Le Miss Guadeloupe de la CTM Deher – Doc CTM Deher

Le Capella 1957-1962

Pour revenir à la photo de Cécile Samson et au Capella,
voici les caractéristiques et l’historique de ce navire selon M. Roger Jaffray, pages 190- 192 de son livre :

« Construit par M. Théodore Samson, aux Saintes en 1956-1957,pour le compte de l’armement Guy Jacques ce navire de cabotage est qualifié irrévérencieusement de « vieille casserole » par un membre de la famille Jacques. C’est en effet un navire qui ne possède plus les caractéristiques ni l’esthétique des voiliers saintois classiques. Il doit effectuer au moteur le transport de passagers en plus grand nombre que précédemment, en même temps que celui de marchandises. Il porte le nom d’une étoile.

Caractéristiques techniques et équipage

– Longueur : 23,5m
– Largeur : 6,26m
– Creux : 3m
– jauge brute : 96,98 tx
– Jauge nette : 68,67 tx
– Coque bois
– Passagers : 120 /archipel
– Équipage : 8
– 2 moteurs diesel GM
– Puissance : 2x 90 CV
– Vitesse : 8 nds
– 3 embarcations
– 5 engins flottants
– Radiotéléphone Radio océan.

L’équipage comprend huit hommes : Le capitaine Guy Jacques, le mécanicien Jean Jacques, quatre matelots, un nettoyeur et un cuisinier.

Historique

La mise en service officielle a lieu le 22 février 1957. Les conditions de confort des passagers sont fortement améliorées par rapport aux voiliers. Le Capella est principalement affecté à la desserte des Saintes, mais est amené à fréquenter Marie-Galante, la Martinique, la Dominique et d’autres ports de la région. En 1958, 1959, et 1960, il assure les liaisons entre Basse-Terre, les Saintes, Marie-Galante et Pointe-à-Pitre…

[Après plusieurs modifications effectuées en Martinique, dont un jeu de moteurs plus puissants, le 16 novembre 1961, le navire s’échoue près de la Poterie en baie de Fort de France, alors qu’il s’approche volontairement au plus près de terre pour charger des briques… Il est remis à flot après allègement par le remorqueur Joséphine…

La Belle Saintoise d’après Alain Joyeux

Dans la nuit du 24 au 25 janvier 1962, chargé de ciment, il fait route de Trinidad vers Pointe-à-Pitre. Une voie d’eau est constatée que les pompes ne parviennent pas à franchir. Le capitaine Guy Jacques est à bord mais n’exerce pas les fonctions de capitaine… L’équipage évacue lorsque l’eau arrive à 20 centimètres du pont. Le navire était alors à une vingtaine de milles de Trinidad.

Par la suite, selon des sources divergentes, le Capella ayant été remis à flot, aurait fait un voyage vers les Antilles américaines, transportant des passagers ainsi que des plants d’ananas. Les passagers sont victimes du mal de mer en grand nombre. Une escale est faite à Saint Martin. Certains passagers renoncent au voyage. Le navire poursuit sa route vers les Îles Vierges. Il s’échoue au large de Tortola et devient perte totale. »

État de la flotte saintoise aujourd’hui

Rappelons que :

  • le navire Tropic de l’armement Brudey Frères a été endommagé par le cyclone Hugo en  1989 et que depuis cette date il n’a plus navigué dans les eaux guadeloupéennes.
  • le navire Miss Guadeloupe de la CTM Déher a été lui aussi endommagé par le cyclone Maria en 2017 et qu’il est à ce jour immobilisé en Martinique.
  • hormis les navires assurant les liaisons avec Pointe-à-Pitre et ceux  qui effectuent la desserte inter-îles Terre-de-Haut-Terre-de-Bas, seules en temps normal sont en service passagers entre Les Saintes et la Guadeloupe les unités suivantes : le Béatrix, propriété de la commune de Terre-de-Haut, le Val Ferry de l’armement Vala, l’Antoinette, le Miss Caraïbes et le Miss des Îles de la CTM Deher. (En cette période particulière de confinement, seul le navire Béatrix relie exceptionnellement 2 fois par semaine les Saintes de la Guadeloupe via le port de Trois-Rivières).

Antoinette de la CTM Déher à quai à Terre-de-Haut- Ph R. Joyeux

PS – Rappel  :

– Le texte en bleu est de M. Roger Jaffray, extrait de son livre Le transport maritime dans l’archipel Guadeloupéen depuis 1930 – SCITEP Édition 2016.
– La photo du Liberté II et du Capella en tête de la chronique a été postée par Cécile Samson que je remercie vivement pour m’être permis de  l’utiliser.
– Les illustrations en noir et blanc du Qui Sait et du Tropic sont extraites du livre de
M. Roger Jaffray
– La photo du Miss Guadeloupe est un document de la CTM Déher
– Le tableau La Belle Saintoise est de Alain Joyeux
– La photo du navire Antoinette à quai est de votre serviteur.
– Monsieur Guy Jacques, propriétaire et capitaine du Capella est décédé le 22 juin 1962 dans l’accident d’un Boeing d’Air France à Deshaies qui fit 113 victimes.

Publié par Raymond Joyeux
le 31 mars 2020

En guise de supplément poétique

                                                                             

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2 commentaires pour Navigation maritime saintoise : sur une photo de Cécile Samson

  1. Renée BRIDE BURGER dit :

    Bonjour Raymond, j’ai honte pour avoir lu tant de souvenirs , vu tant de photos et ne pas t’avoir envoyé un petit message d’encouragement. Si je le fait aujourd’hui, c’est que le capella était le seul bateau à nous faire faire le tour des Saintes le dimanche après la messe de 9h. Monsieur Guy JACQUES attendait toujours les retardataires. Bien que chaque fois j’avais ma raclée en arrivant, mais c’était l’occasion de voir la plage de grand’anse, ainsi que longer le grand ilet et la coche. Bravo à toi pour toutes ces émotions, et mille fois MERCI. Renée BRIDE.

    • raymondjoyeux dit :

      Bonjour Renée, et merci pour tes encouragements et ton message qui vient à propos compléter et enrichir les anecdotes sur le Capella. Moi-même, en pension au collège de Blanchet en 57-59, je l’ai pris plusieurs fois de Basse-Terre pour les Saintes et me souviens parfaitement de son confort intérieur, avec banquettes capitonnées, musique douce et climatiseurs – un exploit pour l’époque ! C’est vrai qu’il « roulait » beaucoup par mauvais temps et les passagers avaient souvent le mal de mer. Mais le souvenir le plus fort que j’ai gardé de ces traversées, c’est celui où un jour de grain, ayant quitté Basse-Terre alors qu’on ne voyait pas les Saintes, nous avions dépassé Terre-de-Bas et faisions route à l’aveugle sur la Dominique. C’est seulement au bout de plusieurs heures de navigation que, le temps s’étant éclairci, nous nous sommes rendus compte que les Saintes étaient loin derrière nous ! Le capitaine (je pense que ce n’était pas M. Guy Jacques) n’ayant pas l’habitude de gouverner à la boussole s’était fié à son instinct. Nous avions ainsi pris plus que le double du temps habituel pour accoster sains et saufs aux quais de Terre-de-Haut !

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