Un document patrimonial indispensable
Dans un somptueux ouvrage, abondamment illustré, publié en décembre 2018, les Éditions HC ont répertorié, avec le concours, du Conservatoire du Littoral, l’ensemble des fortifications qui jalonnent les côtes de Guadeloupe, allant d’Anse-Bertrand à Vieux-Habitants, en passant par la Désirade et naturellement les Saintes, Terre-de-Bas et Terre-de-Haut. Remarquable travail pour la découverte et la connaissance de notre patrimoine, cet ouvrage n’intéressera pas seulement les amateurs passionnés d’histoire militaire, mais aussi toute personne désireuse de s’approprier l’histoire tout court de notre archipel à travers son passé particulièrement riche en événements et monuments souvent miliaires qui ont façonné son visage d’aujourd’hui. Pour vous donner un avant-goût du contenu de ce livre, voici, concernant les Saintes, l’historique succincte des fortifications qui nous sont familières mais dont nous connaissons sans doute très mal quand et pourquoi elles ont été édifiées sur nos côtes.
Terre-de-Bas
Batterie du Fer-à-Cheval.
Très discrète, le plus souvent enfouie sous une abondante végétation, donc peu visible immédiatement, cette batterie surplombe d’une quinzaine de mètres l’entrée du port de l’Anse des Mûriers et était équipée à l’origine de deux canons. Érigée en pierres de taille probablement à la fin du 18ème siècle, à l’aplomb du site dit du Fer-à-Cheval, elle était destinée à protéger l’île d’éventuelles intrusions de navires britanniques ennemis arrivant des îlots voisins de la Coche et des Augustins. Les ruines d’une poudrière de construction plus récente sont visibles en retrait de la plateforme. Il semblerait qu’en face, sur l’autre morne délimitant l’entrée du port, une autre batterie ait existé, renforçant ainsi le dispositif défensif du secteur. Sauf erreur, il n’en reste malheureusement aucune trace.

Emplacement de la batterie du Fer-à-Cheval – Photo Raymond Joyeux

Ilots de la Coche et des Augustins, avec la Dominique en arrière-plan, en ligne de mire des canons de la batterie- Ph. R.Joyeux
Terre-de-Haut
Batterie du Bois-Joli
Morne ou Anse à Cointre, Bois-Joli, Anse-Mire, Morel, La Rabès, Coquelet, Pavillon… beaucoup ne le savent pas, surtout parmi les plus jeunes, le nom des lieux-dits qui nous sont familiers provient pour la plupart de personnalités militaires ou civiles influentes ayant habité notre archipel au début de sa colonisation et au cours des nombreux conflits militaires qui émaillèrent son histoire. Ainsi, patronyme du premier propriétaire des lieux, Mathieu Boisjoly, ce nom n’est pas d’abord l’enseigne d’un hôtel célèbre de Terre-de-Haut, mais celui de la pointe ouest de notre île où domine une batterie presqu’intacte : la batterie dite de Bois-Joli. Édifiée au début du XIXè siècle pour répondre aux risques d’un nouveau conflit avec l’Angleterre, qui finalement n’a jamais eu lieu puisque les Anglais abandonnèrent toute ambition de conquête territoriale dans le secteur à partir de 1816, cette fortification est accessible soit directement par l’hôtel, soit par le sentier qui sépare le Morne à Cointre du Chameau. Un portail métallique s’ouvre sur un tracé balisé par un chemin de croix qui aboutit à la plateforme de tir et à une poudrière transformée en chapelle décorée, parfaitement entretenue. À condition d’être bien chaussé, la balade vaut le détour, pas seulement pour l’intérêt de découvrir un dispositif militaire en excellent état de conservation, mais aussi pour le plaisir de jouir d’une vue imprenable sur les îles du Grand-Îlet, Terre-de-Bas, l’Îlet à Cabris, le Pain de Sucre et toute la partie occidentale de la baie des Saintes… Reste à connaître les circonstances qui ont permis l’implantation au XXème siècle d’une croix monumentale en béton, en plein milieu de la plateforme, transformant étrangement un site militaire voué à la guerre en lieu de pèlerinage pacifique et religieux, propice à la méditation…
Batterie du Morne Morel
Exactement à l’opposé de celle de Bois-Joli, la batterie du Morne Morel, plus connue sous l’appellation de Fort Caroline, du nom du personnage féminin de l’hypothétique histoire d’amour que cette énigmatique créole aurait vécue sur les lieux avec la Chevalier Paulin de La Poix de Fréminville en 1822, (voir à ce sujet notre chronique du 10 avril 2014 en cliquant sur le lien en fin de paragraphe *). Davantage qu’une simple batterie, le Morne Morel, dominant la baie de Pompierre, a connu dès le XVIIIè siècle une succession d’ouvrages militaires destinés à la défense de la baie des Saintes. L’actuelle plateforme protégée de son parapet date de 1780. Selon les rédacteurs de notre livre de référence, page 107 : « Les vestiges visibles aujourd’hui sur le Morne Morel correspondent à ceux d’une redoute militaire (…) regroupant ainsi un magasin à poudre aujourd’hui en ruine, accompagné de batteries dallées en pierre et entourées par des parapets maçonnés Au sol, des dallages en arc de cercle permettent de témoigner de la présence originelle de canons et des fenêtres défensives qu’ils couvraient. » « Ces ouvrages ont été détruits entre 1809 et 1811, lors de l’occupation anglaise de l’archipel » est-il précisé à la page 106.
* https://raymondjoyeux.com/2014/04/10/amour-tragique-aux-saintes-en-1822/
Îlet à Cabris
Vestiges militaires
Pour protéger la baie des Saintes des forces maritimes anglaises, en plus des batteries et redoutes installées sur l’île de Terre-de-Haut, l’Îlet à Cabris fut dès le XVIIIè siècle un point stratégique progressivement fortifié. Une première construction, baptisée d’abord Fort la Reine, puis Fort Joséphine, et composée de plusieurs bâtiments en pierre volcanique est édifiée en 1779 sur les hauteurs de la Pointe-Sable. Parallèlement à cette construction principale, cinq autres batteries voient le jour en 1840, parmi lesquelles celles de la Pointe Bombarde, Cabri et Anse à Chaux.
Ruines des fortifications militaires à l’îlet à Cabris – Ph R. Joyeux -2012
Pénitencier et lazaret
En 1851, profitant de la fin des conflits entre la France et l’Angleterre, l’ensemble des constructions militaires est transformé en pénitencier pour recevoir les condamnés au bagne de Cayenne avant leur transfert aux Îles du Salut. Vingt ans plus tard, en 1871, coexistant avec le pénitencier, c’est au tour d’un lazaret de quarantaine d’être installé sur l’Îlet, à l’écart des bâtiments de la prison. Construit en bois sur des fondations de pierre, ce lazaret était destiné à la mise en quarantaine des engagés volontaires venus principalement de Pondichery pour remplacer les anciens esclaves des plantations après l’abolition de 1848. Endommagé par un incendie en 1889, il n’a jamais été reconstruit. L’ensemble des activités de l’îlet à Cabris dont il ne reste que des ruines, prennent définitivement fin en 1902.
Conclusion
Si une réhabilitation même partielle semble actuellement difficilement réalisable, il est dommage, de notre point de vue, que toute cette richesse patrimoniale de l’archipel des Saintes reste insuffisamment mise en valeur. L’intérêt de l’ouvrage que nous avons cité, et de cette modeste chronique, est de nous sensibiliser au moins à son existence… En attendant que des passionnés d’histoire locale, encouragés par le Conservatoire du Littoral et les instances communales ou régionales, se mettent à l’œuvre en prenant en charge ne serait-ce qu’un entretien minimal des lieux et leur balisage, ce qui serait non seulement un atout touristique et pédagogique non négligeable, mais un moyen efficace de faire connaître notre histoire à nos compatriotes, jeunes et moins jeunes, et à nos nombreux visiteurs…
Ps : Pour éviter les longueurs, nous avons volontairement omis de mentionner la batterie de la Tête Rouge, abondamment décrite et illustrée dans l’ouvrage mentionné.
Signalons que la plupart des informations qui ont nourri cette chronique sont tirées de diverses sources, en particulier justement de l’ouvrage publié aux Éditions HC, intitulé Littoral de Guadeloupe, (entre nature et patrimoine), présenté en début de page et vendu dans toutes les bonnes libraires pour la modique somme de 18, 50 euros.
Les photos et la rédaction du présent texte sont de Raymond Joyeux.
Merci Raymond pour cet article très intéressant et les belles photos… la dernière, magnifique !!!
merci Raymond, je suis immobilisée à mon domicile ; cet article m’a permis de découvrir les îles dont sont originaires mes ancêtres. Passionnée de généalogie, je m’intéresse à tout ce qui touche les Saintes, la Désirade et le Moule, terres de mes ascendants paternels. Un jour peut être je pourrai visiter ces lieux. En attendant je compte sur vous pour me faire rêver des Saintes.
Article très intéressant, j’ai appris des choses merci Raymond