En ce 28ème anniversaire de la disparition en mer de Michel Bordy, Patrick et François Bride, le 21 février 1990, je vous propose la chronique que j’avais publiée en 2015 rappelant ce tragique événement. Puisse la population de Terre-de-Haut avoir une pensée pour ces marins-pêcheurs et leur famille alors que le temps venteux qui sévit actuellement sur nos îles rappelle étrangement les conditions météorologiques de l’époque.
Par un mercredi venteux
Le mercredi 21 février 1990, il y a 25 ans jour pour jour, à trois heures du matin, Michel Bordy, 38 ans, Patrick Bride, 36 ans et son frère François, 29 ans, quittent la baie du Marigot à Terre-de-Haut sur leur saintoise Calou, comme ils le font presque chaque nuit depuis l’ouverture de la pêche à la traîne, au large de l’archipel. Le temps n’est pas très beau en cette période de vacances de Carnaval, mais c’est le lot quotidien des pêcheurs saintois, au risque, hélas, de leur vie, de devoir affronter les éléments d’où ils tirent par tradition et nécessité leur principale subsistance et celle de leur famille, tentant parallèlement d’assumer les lourdes charges financières qui sont les leurs, et qu’alourdit d’année en année l’échéance trimestrielle du rôle d’équipage, leur garantissant la qualité d’inscrits maritimes et de professionnels.
Une communauté maritime solidaire
À terre, ce mercredi, jusque dans l’après-midi, malgré la mauvaise brise qui souffle de l’Est, personne n’est particulièrement inquiet, les familles étant habituées aux retours de pêche tardifs en cette saison. C’est seulement en fin de journée, alors que la nuit commence à tomber, que le retard des trois jeunes pêcheurs est pris au sérieux et que l’angoisse s’installe et grandit dans les cœurs. Après une nuit que l’on imagine sans sommeil pour les parents et amis tourmentés, l’alerte est donnée le jeudi matin 22 février. Sans attendre, la communauté des marins et pêcheurs saintois, solidaire de ceux qui manquent à l’appel, entreprend les premières recherches, conjointement menées par le dispositif départemental de secours et de repérage en mer. Elles vont durer officiellement quatre jours, sans résultat, amenuisant au fil des heures l’espoir de retrouver vivants Michel, Patrick et François.
Un naufrage inexpliqué
Le mardi 27, près d’une semaine après le naufrage présumé, alors que toute la Guadeloupe, indifférente aux soucis de la petite dépendance, se défoule, défile et danse au rythme du Carnaval, une épave est repérée au large de Capesterre Belle-Eau. Sitôt la nouvelle confirmée, les pêcheurs qui, eux, n’ont jamais cessé les recherches, reprennent la mer dans la direction signalée, trouvent le hors-bord partiellement immergé avec ses deux moteurs intacts et tout son attirail, et le ramènent à Terre-de-Haut vers 20 heures. Le cœur serré, la quasi totalité de la population abattue se rend au débarcadère comme pour interroger ce témoin silencieux du drame : nos amis ont dû sombrer le matin même de leur départ car les réserves d’essence sont à peine entamées et les appâts bien rangés dans un thermos enfermé dans le gaillard d’avant. Surpris sans doute par une lame, Calou a dû se trouver tout à coup rempli d’eau, le poids des moteurs ne tardant pas à le faire gîter par l’arrière. Mais sans doute pour éviter la perte de leur bateau, l’équipage a le temps d’arrimer des bouées à l’étrave, de solidariser les réservoirs de carburant et de mettre à l’abri le matériel de pêche. C’est ainsi en tout cas que les sauveteurs retrouvent l’épave, l’avant seul, soutenu par les bouées, émergeant de la surface des flots.
Des recherches perçues à l’époque comme insuffisantes et inadaptées
Ce même soir, on apprend qu’un corps a été retrouvé sur une plage de Marie-Galante. C’est celui de François. De ses camarades, aucune nouvelle. C’est la consternation et la rage, car on sait aujourd’hui que des recherches mieux organisées et mobilisant davantage de moyens, auraient peut-être permis d’éviter le pire, le naufrage ayant probablement eut lieu à quelques encablures de la Grande dépendance.
Il fallait être présent à l’enterrement de François en cet après-midi du 28 février 1990 écrasé de soleil, pour comprendre et partager la douleur des familles pleurant leurs enfants, mais aussi l’émotion de toute une population solidaire, bouleversée par ce drame.
Un mémorial aux marins-pêcheurs disparus en mer
Les deux frères Bride et Michel Bordy ne sont pas, hélas, les seuls pêcheurs saintois ayant payé de leur vie leur tribut à la mer. Avant eux, en 1978, un marin breton, connu sous le nom de Rémy, installé aux Saintes avec sa famille, habitué à sortir seul, disparaissait mystérieusement corps et biens dans des circonstances jamais élucidées. Deux ans plus tard, le 22 février 1980, c’est au tour de Camille et d’André Cassin de faire naufrage au large de Saint-Barthélemy. Seul Camille, dit Lazare, réussit à gagner la terre, son compagnon à quelques mois de la retraite, n’a jamais été retrouvé. En juin-juillet 2013, Jean-Louis Cassin et Daniel Judes, suite au mauvais temps et à une avarie de leur voilier, sont retrouvés au large du Vénézuela après 32 jours d’errance sur l’océan, sans eau ni vivre, alors qu’ils faisaient route vers Saint-Barth. Déshydraté et inanimé, Jean-Louis a pu être ramené à la vie de justesse, mais Daniel Judes a été retrouvé mort sur le voilier. En mémoire de ces marins saintois morts ou disparus en mer, la municipalité de Terre-de-Haut a fait ériger un monument, à l’esthétique improbable, contestée, il est vrai, par beaucoup, et visible place de la mairie. Une plaque de marbre, malheureusement non nominative et mal entretenue, rappelle le souvenir de ces hommes qui ont tragiquement perdu leur vie en mer, élément qui leur est pourtant familier et qui depuis des générations est leur raison d’être et les fait vivre. En ce jour du 25 ème anniversaire de la mort et de la disparition de Patrick, François et Michel, associons les noms de Rémy, André, Daniel et, bien qu’il fût un enfant, celui de Jeoffrey, le fils de Fernand Samson, pour affirmer notre solidarité avec leurs familles et leurs proches et rendre hommage à leur mémoire.
PS : Les photos de Patrick et François Bride m’ont été aimablement communiquées par leur sœur Fanny. Celle de Michel Bordy par sa sœur Elza. Un grand merci à toutes deux pour ce geste qui perpétue le souvenir de leurs frères..
Raymond Joyeux
Bonjour Raymond Merci pour ce souvenir c’était mes voisins et amis d’enfance Lors de ta publication j’avais fait un commentaire sur l’âge des 2 frères Bride Patrick avait 29 ans et non 31 à l’époque j’allais sur mes 31 ans et Patrick avait 2 ans de moins que moi François avait 38 ans et non 29 A bientôt aux saintes Dario
Bonjour Dario. J’avais pris note à l’époque de tes précisions concernant l’âge de nos compatriotes disparus. Dans la précipitation de rappeler ce douloureux souvenir, j’ai oublié de rectifier. Ceux qui liront ton commentaire le feront d’eux mêmes. Merci pour ta fidélité à ce blog et ton amitié.
Ces tragiques accidents sont un sérieux avertissement pour les marins-pêcheurs d’aujourd’hui, de respecter les règles de base de sécurité en mer, tout particulièrement de vérifier avant de partir les conditions météorologiques (vitesse des vents, hauteur des vagues), facilement accessibles aujourd’hui par internet, et ne pas s’aventurer en mer si elles sont dangereuses.
La très grande majorité des marins-pêcheurs Saintois respectent scrupuleusement ces règles. En effet, impossible de trouver du poisson à acheter sur l’île pendant les périodes de forts vents et mer agitée, ou pendant les fêtes bien arrosées sur l’Île (Noël, Carnaval). Dans ces cas, ils restent sagement à terre.
Ceux qui ne respectent pas ces règles risquent leur vie de façon inconsidérée, pour eux-mêmes et leurs familles. Il n’est pas vrai que les accidents mortels en mer sont une fatalité qu’il serait impossible d’éviter, et qui feraient des marins-pêcheurs des héros romantiques modernes sacrifiant volontairement leur vie pour assurer celle de leur famille.
Il en va de même sur terre en Guadeloupe, tristement célèbre pour ses accidents automobiles mortels, de respecter les limites de vitesse et la signalisation routière, et ne pas conduire sous l’effet de l’alcool ou des drogues. Cela reste encore aujourd’hui un vœu pieux, qui fait qu’il y a malheureusement bien plus d’accidents mortels sur terre qu’en mer.