Après la parenthèse des ouragans du début septembre qui ont lourdement touché la Guadeloupe et ses îles, nous voilà revenus à nos chroniques sur la Pologne…
Nous sommes le jeudi 3 août. Depuis notre arrivée le soleil ne nous a pas quittés. Dès le matin, la température extérieure avoisine les 35 degrés. Le ciel est d’un bleu cobalt intense, sans le moindre soupçon de nuage. L’air immobile inciterait plutôt au farniente. Mais si nous sommes venus ici ce n’est pas pour nous endormir en restant tranquillement au frais dans nos chambres d’hôtel. Aujourd’hui, deux visites importantes sont prévues : Auschwitz-Birkenau et la maison natale de Jean-Paul II à Wadowice.
Au cœur de l’inconcevable
1- Auschwitz N° 1 – le Stammlager
Dans un important ouvrage collectif abondamment illustré sur les camps de la mort au cours de la deuxième guerre mondiale, intitulé, en référence à la liturgie nocturne de la semaine Sainte, LEÇONS DE TÉNÈBRES, publié par les Éditions Perrin en 2004, l’ancien déporté André Rogerie écrit : « Contrairement à ce qu’on pense communément, ce qu’on appelle le camp de concentration d’Auschwitz représente en réalité trois camps situés au sud de la Pologne, à 60 kilomètres de Cracovie … Le camp d’Auschwitz N°1, le Stammlager (camp principal) ; le camp d’Auschwitz N°2, Birkenau ; le camp N°3, Buna-Monowitz. C’est cet ensemble de trois camps qu’on appelle AUSCHWITZ. »

Portail d’entrée du camp principal d’Auschwitz. il est écrit en allemand : « Le travail rend libre. »
C’est en début de matinée que notre bus se gare aux emplacements réservés non loin de l’entrée du camp N°1 d’Auschwitz, première étape de nos deux importantes visites d’aujourd’hui. Bien qu’ayant fait par le passé en individuels la visite de ce trop célèbre camp de la mort, c’est toujours avec la plus grande émotion que l’on franchit le seuil de ce « musée » unique, heureusement, dans le monde, et qui perpétue la mémoire d’une partie de ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents, victimes de la « barbarie nazie », comme on dit souvent machinalement, sans penser peut-être, sans imaginer ce que cette expression galvaudée exprime d’insupportable. Et surtout sans comprendre vraiment ce qui s’est déroulé ici, au Sud de la Pologne, durant ces cinq terribles années de la Seconde Guerre mondiale. Sans comprendre, comme le soulignent les mots du déporté feu Edmond Michelet étreignant à sa libération son ami Maurice Schumann venu à sa rencontre : » Tu vas voir, tu vas pleurer, mais tu ne comprendras pas. Pour comprendre, il faut avoir été ici avec la mort. »
D’anciens casernements polonais
Lors de l’invasion de la Pologne par les Allemands en 1939, c’est naturellement que ces derniers occupèrent une ancienne caserne polonaise qu’ils transformèrent en avril 1940 en camp de concentration. « C’est là que furent incarcérés et souvent exterminés, lit-on dans Leçons de Ténèbres, de nombreux Polonais, des Russes et des Juifs de toutes nationalités ». Au début, le camp comportait 20 bâtiments dont 14 pavillons et 6 blocs indépendants d’un étage. Par la suite les prisonniers furent chargés de travailler à l’agrandissement des bâtiments et à ajouter un étage aux pavillons. Au total le camp comporta 28 bâtiments pour recevoir jusqu’à 20 000 prisonniers, avant l’arrivée en masse des déportés voués à l’extermination. Bureaux, cachots, chambres à gaz et fours crématoires y furent en effet aménagés en vue de leur funeste destination et, aujourd’hui, ce sont ces mêmes tristes locaux et ces installations – celles qui n’ont pas été détruites par les Allemands en tout cas – qui servent de salles au musée. Salles que notre guide, maîtrisant parfaitement le français, nous fait successivement découvrir, apportant toutes les explications nécessaires dans une écoute respectueuse, malgré l’affluence des autres groupes de visiteurs se succédant dans un ordre relativement fluide.
Des témoignages plus qu’émouvants
Sans entrer dans des détails indécents que, par respect pour le million et demi estimé de victimes assassinées ici par les nazis, j’ai évité personnellement de photographier, nous avons pu voir, au rez-de-chaussée des différents Blocs, les salles où ont été recueillis les effets personnels des déportés à qui l’on faisait croire qu’ils n’étaient que de passage : valises, chaussures, lunettes, affaires de toilette, ustensiles de cuisine… Mais les plus émouvantes de ces reliques sont sans conteste les amas des cheveux entremêlés et les photographies aux murs des bustes, face et profil, des prisonniers en habit rayé, le N° de matricule inscrit sur la poche. Ce qui nous marqua aussi fortement ce sont les explications du guide concernant la virtuosité cynique des nazis à inventer supplices et tortures aussi bien physiques que morales infligées aux prisonniers avant leur extermination. Et c’est ici que prend toute sa terrible confirmation l’adage qui dit que : « Ce que l’homme a fait subir à son semblable, aucun animal ne l’a jamais fait. »

Entrée d’un four crématoire illuminée à l’occasion d’une cérémonie du souvenir à Auschwitz.
2- Auschwitz N°2 – Birkenau
Une terrible impression de malaise et de compassion
Au sortir de ce musée, c’est un sentiment mêlé de malaise et de compassion qui domine chez nous tous. Malaise quant à ce qui pousse les hommes à tant de haine et de créativité dans l’accomplissement de tels actes gratuits de barbarie ; compassion pour les victimes de cette barbarie touchant de si nombreuses personnes, sans distinction d’âge, de nationalité, d’origine, de religion, jusqu’à la solution finale visant exclusivement les Juifs. Sentiment de malaise que nous continuerons à éprouver lors de notre arrivée à Birkenau. Ce camp N°2, situé à 3 Km d’Auschwitz comprenait 300 bâtiments qui ont été construits sur 175 ha, lorsque le camp principal était devenu trop petit pour les projets criminels des nazis d’élimination massive. Sur la totalité de ces 300 bâtiments, seuls 42 baraquements en briques et 22 en bois sont restés intacts. Ils constituent un témoignage poignant des atrocités et de la mort cruelle infligées à plusieurs centaines de milliers de détenus innocents. L’entrée principale avec les voies ferrées de sinistre usage sont également en parfait état. C’est le seul vestige de cette folie humaine, avec le mirador et les barbelés ci-dessous que j’ai osé photographier.

Entrée principale de Birkenau
Que dire après cela ?
Que dire, au-delà de la grande émotion éprouvée, sinon que, malgré une dérive un peu trop touristique de notre point de vue, mais sans doute inévitable, une visite à ces hauts lieux de mémoire est indispensable et nécessaire à qui veut se rendre compte d’une triste et tragique réalité pas si lointaine qui a marqué de façon indélébile notre humanité. Que dire encore, sinon notre incompréhension face à ceux qui s’obstinent à mettre en doute cette réalité. Que dire enfin sinon que la lecture des récits de ceux qui ont survécu à cet enfer ne pourrait que renforcer notre prise de conscience de ce que des hommes ont fait méthodiquement subir à leurs semblables : je veux parler, parmi d’autres, du livre de Primo Levi : Si c’est un homme, de celui de Robert Antelme : L’espèce humaine et de celui de Jorge Semprun : l’Écriture ou la vie.

Fragment du Camp de Birkenau en hiver
Texte de Raymond Joyeux
Crédit photos :
1 – Portail du camp d’Auschwitz : ouvrage collectif en polonais : Auschwitz- Birkenau
2 – Barbelés : ibidem
3 – Entrée d’un four crématoire : Auschwitz Les Voix des ténèbres -2001 – Adam Bujak
4 et 5 – Raymond Joyeux
6 – Fragment du camp de Birkenau : Auschwitz Les Voix des ténèbres -2001 – Adam Bujak
- Prochaine chronique : visite de la maison natale de Jean-Paul II à Wadowice
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