Alors que le mois d’avril a généré 4168 visites et que vous avez été 603 à ce jour à vous rendre sur le dernier article de Félix Foy, je profite de la sortie d’une anthologie de la poésie haïtienne contemporaine présentée par James Noël (Collection Points P4217 – novembre 2015) pour vous proposer quelques-uns des textes de ce beau recueil. Cette anthologie a pris le parti de ne s’intéresser qu’aux poètes vivants de ce pays Haïti, terreau fertile d’artistes en tout genre aussi bien en littérature (poésie et roman), qu’en peinture et musique. Voici un extrait de ce qu’écrit James Noël dans sa préface : » À l’heure où la planète cherche à tout prix sa fiction, dans un contexte de changement et de tremblement, il ne serait pas exagéré de se demander si Haïti ne se trouve pas à l’épicentre d’une poétique nouvelle du monde. Soixante-treize poètes présentés dans cette anthologie de poésie haïtienne contemporaine. Un brassage de tempéraments passionnants qui rassemble quatre générations ouvertes et poreuses aux grands flux de l’Histoire, de l’amour, du pays, du jeu, de la colère, du monde, du sexe, de la mer, de la joie… »
René DEPESTRE
Souvenirs d’enfance
Quand il était adolescent
il vivait dans une ville
qui était une légende
au bord de la mer caraïbe.
Si on voulait on pouvait
se changer en n’importe quoi,
on pouvait être un arbre
qui marche et boit du rhum,
un bœuf qui joue de l’orgue
le dimanche à l’église,
un lion qui rend cocus
tous les notaires de la ville.
Lui, un soir de son adolescence
il était devenu un cheval de course,
il traversait au galop Jacmel
il hennissait et invitait les gens
à venir gambader avec lui dans la rue.
Mais portes et fenêtres étaient fermées.
Soudain une jeune fille est sortie
d’une maison de la place d’Armes :
c’était l’un des trésors de la ville,
elle était en chemise de nuit
et sourit à l’adolescent-cheval.
Quand il arriva près d’elle
la jeune fille quitta sa chemise
et sauta sur son dos : il galopa
galopa sans fin dans la nuit
en faisant plusieurs fois le tour de Jamel.
Il sentait Hadriana toute nue sur son dos
comme le ciel nocturne sent les étoffes
ou comme la terre sent l’herbe du matin
il sentait sa saveur de jeune fille.
Il galopa galopa dans la nuit
avec l’étoile de Jamel sur son dos,
avec la joie de la ville et toute la douleur
de la ville sur son dos…
Avec ses peurs et
ses haines sur son dos,
il galopa galopa dans la nuit
avec les baisers
et tous les rêves de Jamel sur son dos.
Au petit matin il allèrent à la mer
où ils se rafraîchirent longuement
ensuite ils allèrent à la rivière
pour se quitter le sel du corps.
Plus tard il la déposa chez elle
sous les arbres éberlués de la place.
Quand il reprit sa forme de garçon
il avait les flancs ensanglantés,
il avait d’atroces douleurs aux épaules,
il avait très mal au cuir chevelu,
il resta deux semaines au lit
à regarder s’éloigner son adolescence
avec la plus belle fille de sa vie !
Jean ARMOCE DUGÉ
Le soleil est trop seul
Il y a
la mer à consoler
les grains de sable à comptabiliser
l’avenir à apprivoiser
Il y a
les sources à recréer
les rivières à ressusciter
les enfants à qui demander pardon
la vérité à leur apprendre
les souffrances à dissiper
les hommes à réconcilier
les richesses à rendre utiles
le bonheur à propager
la paix à construire
l’amour à réhabiliter
la mort à mettre à pied
il y a l’île et la vie à rendre belles.
André FOUAD
Quand la poésie m’emporte
Quand la poésie m’emporte
le soleil se jette dans les bras de la mer
étend ses draps sur les toits de la ville
Quand la poésie m’emporte
je pense à toi
je pense à toi
je pense à toi mon amour
ce soir
plus fort que jamais
quand la poésie m’emporte
je parle et déparle
parle et déparle
quand la poésie m’emporte
je monte et descends
remonte et redescends
quand la poésie m’emporte
je ne sais plus où me mettre
m’asseoir ou me lever
me lever ou m’asseoir
je ne sais pas
je ne sais plus
Quand la poésie m’emporte
je n’ai plus peur
des monstres du mardi gras
toutes les pluies se lèvent et saluent mon passage
quand la poésie m’emporte
je perds mes boussoles
le nord et le sud se confondent
l’est et l’ouest se rejoignent
quand la poésie m’emporte
toutes les fleurs se font femmes
femme bûcheuses de vie
quand la poésie m’emporte
toutes les fleurs se font belles
belles femmes de mon pays…
Kerline DEVISE
Ma nudité
On me dit qu’on la voit parfois assise
Au pied d’un arbre fredonnant un air étrange
On me dit qu’on la voit parfois assise
Au pied d’un arbre portant une grande fissure
D’où coule un marécage de serpents et de cris
Elle ne reconnaît plus les maisons et les villes
Ne se souvient ni de noms ni d’adresses
Elle coule
Elle s’en va sans retour vers cette porte toujours ouverte
Cette porte qui, elle aussi, ne fait que couler
Elle coule
Elle s’en va sans retour vers ces fleurs cueillies pour toi
Ces fleurs poussées sur ma langue
Ma nudité
Mes yeux
On me dit qu’on les voit éternellement
Sur la route qui mène à ton amour
Gary KLANG
Me manquent
Les bruits du soir et les senteurs
Le coq qui chante à la mi-nuit
Les chiens en rut sous la fenêtre
Me hantent
Le bruit sourd
Du tambour
Au creux du soir
Et cet homme
Qui fait rire les petits
En portant sur sa tête un amas de bouteilles
Il y avait aussi
Tous ces bruits des tropiques
Les lucioles ou que sais-je
Aux cris ponctuant la nuit
Comme en un concert d’ombres
Il y avait
Mais faudra-t-il que j’énumère
Tout ce qu’il y avait
C’était à n’y pas croire
C’était
L’âme de l’île
Qui vit et bouge
Avec
L’odeur pour moi unique
D’ilang-ilang
Il y avait des soirs et des matins de rêve
Il y avait il y avait il y avait
Mais il n’y a plus
Que le souvenir
James NOËL
Un jour les muses poseront nues
pour les poètes
Un jour la poésie sortira du marché de la poésie
la poésie sortira de sa tanière
et prendra la route toute seule
comme une grande
ce sera un jour de fresque
un jour peint
sans chevalet
avec des nuances hautes en couleur
ce jour se boira clair comme une source
se mangera par grappes
mûres de fruits
de beaux fruits qui exploseront de rire
dans le jus de la bouche
l’horizon se donne couché
en toute déraison devant la phrase
un jour viendra
où les muses poseront nues pour les poètes
Choix de textes : Raymond Joyeux
Un grand merci à Alain Joyeux pour sa contribution iconographique.
Si vous êtes passionnés de poésie, pour plus d’informations sur les auteurs choisis et sur les autres poètes et leurs textes présentés dans l’anthologie de James NOËL, je ne saurais trop vous conseiller de faire l’acquisition de cet ouvrage, présent dans toutes les librairies et paru dans la collection Poésie Points. N° P4217
Concernant Alain JOYEUX vous pouvez consulter son site en cliquant sur :
http://alainjoyeux.blogspot.fr
Merci Raymond!!
http://lucfedermeyer.free.fr
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Merci, et également pour les acryliques…
Merci Raymond pour ce moment d évasion…
Excellent !
Il doit y avoir un problème avec le compteur de votre blog car votre dernier article sur Félix FOY a été lu par 3094 personnes via notre page Facebook.
Merci TDI pour cette info qui me réjouit et merci également pour le partage régulier que vous faites de mes chroniques sur votre page Facebook. Nous n’avons certainement pas la même audience. Et en ce domaine vous me battez largement, ce dont je vous félicite. La différence de vues vient du fait que certainement mon compteur ne comptabilise que les visites effectuées sur ma page et non celles effectuées sur les partages. Votre chiffre montre en tout cas, ajouté à ceux des autres, que Félix FOY n’était pas n’importe qui et que son aura continue de briller à travers votre vaste auditoire et au-delà. Une grande fierté, pour nous Saintois dont Féfé savait si bien mettre en valeur le passé, et pour tout dire d’écrire notre Histoire !
Pour ce que j’en ai lu, je crois que je vais vite me procurer ce livre. Dans toutes les librairies dites-vous ?… J’en fais mon affaire.