La visite des musées : une pièce en 3 actes

De l’utilité des musées

Musée Scholcher à Pointe-à-Pitre

Musée Schoelcher à Pointe-à-Pitre – Ph R. joyeux

Pour l’amateur d’art, le musée est ce qu’est le zoo à l’aficionado des bêtes sauvages : un mal nécessaire. Le musée a, tout comme son équivalent animalier, son incontestable utilité : concentration des spécimens, préservation, exposition au public… mais de la même manière que les fauves perdent quelque chose de leur nature secrète et effrayante après une vie d’exhibition domestiquée, les œuvres qui se retrouvent au musée y perdent de leur originelle vitalité. Mais il n’empêche que c’est toujours mieux de les avoir là, ces œuvres, amassées pour les yeux de tous, même à moitié mortes, plutôt qu’autre part, où personne sinon quelques privilégiés ne pourrait en profiter. C’est bien là, dans l’abolition du privilège de l’accès à l’art – le prix d’un billet de musée, même s’il n’est pas donné, ne dépasse guère celui d’un billet de cinéma, et est souvent même moins cher qu’une séance 3D, le port de lunettes ridicules en moins – que le musée trouve sa justification.

Memorial Acte de Pointe-à-pitre au lever du jour. Ph R. joyeux

Mémorial Acte de Pointe-à-Pitre au lever du jour (Musée de la traite négrière) – Ph Raymond joyeux

Et même si certains lieux cultivent encore le culte désuet de la collection privée, dans l’écrin restauré des riches hôtels particuliers parisiens, peut-être afin que la bourgeoisie qui les fréquente ait un instant l’illusion que leurs œuvres sont exposées « chez elle » (c’est à toi que je pense Jacquemart-André !), la grande majorité des musées nationaux, même lorsqu’ils investissent les vestiges d’un passé pour le moins royal (Grand Palais, Orangerie, Louvre…) ont réussi, par une muséographie moderne à faire oublier à leurs visiteurs le faste des lieux, pour mieux mettre en lumière la richesse des collections. L’ambition générale est de vouloir abolir le statut du caractère de privilège qui reste encore aujourd’hui associé à l’art : tout le monde doit avoir accès au musée et, à défaut de les comprendre, tout le monde doit pouvoir voir les œuvres qui y sont exposées.

Tiket musée 1 améliorEt cette ambition de démocratisation est saine. Elle est saine car même si ce sont toujours les vieilles mêmes croûtes au mur, au moins ce ne sont pas toujours les mêmes vieux croûtons qui les contemplent. Oui, mais voilà, ce désir d’accessibilité, de libre accès à l’art vaut seulement pour les collections permanentes. Il en est autrement pour ces grand-messes incontournables des hautes sociétés que sont les expositions temporaires. Plus particulièrement, je parlerai ici du comportement d’une certaine classe de visiteurs du Grand Palais où des expositions annuelles, sous forme de rétrospectives (Monet en 2010, Turner en 2011, Hopper en 2012, Braque en 2013, Hokusai en 2014…) de grande ampleur, aussi bien artistique que médiatique, ont attiré les foules. Oui mais quelle foule ! Tout le beau monde se presse pour voir réunis les chefs d’œuvre des grands maîtres, moins pour les admirer quelquefois que pour y avoir été, et obtenir, par un mystérieux phénomène de transfert, une aura particulière, réservée à ceux qui ont pu approcher de près les traces du génie.

Une visite en trois actes

Queue au Grand Palais Paris. Ph Alexandre Joyeux

Queue au Grand Palais Paris. Ph Alexandre Joyeux

La visite de lexpo de l’année est une pièce divisée en trois actes. Acte 1 : la queue. Si possible longue, en extérieur avec un temps bien de Paris, histoire que la pluie et le vent forcent la foule à resserrer les rangs autour des quelques habitués ayant leur parapluie. Voilà pour le décor. Les personnages se divisent en deux groupes : les prévoyants, ayant acheté leur billet à l’avance ; et les opportunistes, ayant naïvement cru le panneau à partir de ce point : 30 minutes d’attente, ces derniers ne rentreront pas dans le musée avant 3 heures de procession. Ils ne sont cependant pas les seuls à faire la queue. Ceux ayant acheté leur billet « coupe file » sont si nombreux, qu’ils doivent bien la faire finalement, la file, et ce malgré leurs protestations incessantes dirigées vers les agents de sécurité responsables du nombre d’entrées. « Mais, monsieur, puisque je vous dis que j’ai un billet coupe-file ! », « Oui monsieur, je sais monsieur, tout comme ces 200 autres personnes ».

Sésame ferme la !

HokusaiArrive enfin la crème de la crème, pour qui il faudrait dérouler le tapis rouge, les détenteurs de la fameuse Carte Sésame. Ceux là semblent être d’une autre espèce que le commun des amateurs d’art, ceux là ont investi, à l’année, dans leur droit d’entrée dans les expos du Grand Palais, et veulent en être récompensés. Il faut les voir arriver avec tout leur aplomb, s’imaginant passer devant tout le monde, se frayer un chemin à grands coups de coudes dans les côtes, dans l’indignation générale, afin d’arriver jusque devant la barrière pour présenter sans un mot leur précieux sésame à l’agent de sécurité. « Je vois bien votre carte monsieur, mais elle ne vous donne pas le droit de passer devant toutes ces personnes ». Surprise, décontenancement, indignation : « Mais enfin, j’ai la Carte Sésame ! ». Au milieu des protestations et des soupirs, exigeant de ces malotrus qu’ils retournent à leur place à la fin de la queue, on comprend que pour certains, posséder une telle carte, c’est être un VIP de la culture, un privilégié avec accès backstage et tout le tintouin, c’est presque à la limite posséder une petite partie du musée, et ainsi obtenir le droit de traiter avec le plus grand mépris les autres qui n’en sont que des visiteurs.

NIKI BONTout le monde rentre peu à peu dans le musée, l’Acte 2 peut commencer. C’est celui de la visite, et c’est finalement le plus court. On y prend plus de temps pour lire les indications biographiques sur les murs que pour regarder les œuvres, on y crie à toute la famille le numéro de l’audioguide correspondant à cette salle, on y engueule les enfants qui veulent passer à la salle suivante, puis on engueule sa femme qui s’attarde un peu trop dans la précédente. Au mépris de tout bon sens, la foule se presse devant les œuvres mises en valeur par la muséographie, puisqu’elles doivent être bonnes, et alors que tous se serrent autour du chef d’œuvre désigné, aucun n’a le recul suffisant pour vraiment le voir, et ceux qui essaient de reculer pour le voir correctement sont rappelés à l’ordre : « Poussez-vous ! On ne peut plus lire la biographie! Il y en a que l’exposition intéresse ! ».

Petits et grands se pressent pour acheter leur bout de l’art

L’acte 3, pourtant conclusif n’est pas plus heureux. Après une éreintante visite aux allures de parcours du combattant, tous ont bien mérité de passer à la boutique. Ah, la boutique ! Pourquoi la boutique ? Pour pouvoir exhiber une preuve de son passage auprès des maîtres ? Oui mais le catalogue de l’expo est trop cher, et les cartes postales on en trouve partout… les magnets feront l’affaire. Comme ça quand Tantine ira se chercher du lait au frigo on pourra se la péter en disant, « vous avez vu, on a pris ça à l’expo Hokusai ! C’était Ma-gni-fique ! ». Le pire c’est que pour pouvoir ramener à la maison un petit bout du maître copié par des petites mains chinoises, il faut faire la queue ! Mais bon, là au moins, on fait la queue pour la bonne cause, on consomme vraiment, on fait pas semblant ; c’est un peu comme au supermarché… La pièce se conclut généralement par une prise de conscience terrible en regardant la couverture du catalogue : « ah mais il était dedans ce tableau !? »

Petits et grands se pressent pour acheter leur petit bout de l'art !

Petits et grands se pressent pour acheter leur petit bout de l’art ! Photo Alexandre Joyeux

Alexandre JOYEUX – Paris – Janvier 2015

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2 commentaires pour La visite des musées : une pièce en 3 actes

  1. alain thouret dit :

    Superbe satire qui reflète bien la réalité !

  2. Duval Michel dit :

    Les rétrospectives présentées au Grand Palais, Pompidou et Ville de Paris (Iéna) sont toujours de très grande qualité. Celles à Orsay, Pinacothèque, Luxembourg et autres sont en général d’un niveau en dessous.

    Aux conseils pratiques déjà fournis par Alexandre, j’ajouterais : venir à l’ouverture, ne rien avoir à laisser au vestiaire, ne pas prendre d’audio-guide, traverser rapidement les 3 premières salles toujours bondées, lire en diagonale les explications sur les murs, changer de salle quand y arrive un guide avec un groupe.

    Bonnes visites !

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