Par un mercredi venteux
Le mercredi 21 février 1990, il y a 25 ans jour pour jour, à trois heures du matin, Michel Bordy, 38 ans, Patrick Bride, 36 ans et son frère François, 29 ans, quittent la baie du Marigot à Terre-de-Haut sur leur saintoise Calou, comme ils le font presque chaque nuit depuis l’ouverture de la pêche à la traîne, au large de l’archipel. Le temps n’est pas très beau en cette période de vacances de Carnaval, mais c’est le lot quotidien des pêcheurs saintois, au risque, hélas, de leur vie, de devoir affronter les éléments d’où ils tirent par tradition et nécessité leur principale subsistance et celle de leur famille, tentant parallèlement d’assumer les lourdes charges financières qui sont les leurs, et qu’alourdit d’année en année l’échéance trimestrielle du rôle d’équipage, leur garantissant la qualité d’inscrits maritimes et de professionnels.
Une communauté maritime solidaire
À terre, ce mercredi, jusque dans l’après-midi, malgré la mauvaise brise qui souffle de l’Est, personne n’est particulièrement inquiet, les familles étant habituées aux retours de pêche tardifs en cette saison. C’est seulement en fin de journée, alors que la nuit commence à tomber, que le retard des trois jeunes pêcheurs est pris au sérieux et que l’angoisse s’installe et grandit dans les cœurs. Après une nuit que l’on imagine sans sommeil pour les parents et amis tourmentés, l’alerte est donnée le jeudi matin 22 février. Sans attendre, la communauté des marins et pêcheurs saintois, solidaire de ceux qui manquent à l’appel, entreprend les premières recherches, conjointement menées par le dispositif départemental de secours et de repérage en mer. Elles vont durer officiellement quatre jours, sans résultat, amenuisant au fil des heures l’espoir de retrouver vivants Michel, Patrick et François.
Un naufrage inexpliqué
Le mardi 27, près d’une semaine après le naufrage présumé, alors que toute la Guadeloupe, indifférente aux soucis de la petite dépendance, se défoule, défile et danse au rythme du Carnaval, une épave est repérée au large de Capesterre Belle-Eau. Sitôt la nouvelle confirmée, les pêcheurs qui, eux, n’ont jamais cessé les recherches, reprennent la mer dans la direction signalée, trouvent le hors-bord partiellement immergé avec ses deux moteurs intacts et tout son attirail, et le ramènent à Terre-de-Haut vers 20 heures. Le cœur serré, la quasi totalité de la population abattue se rend au débarcadère comme pour interroger ce témoin silencieux du drame : nos amis ont dû sombrer le matin même de leur départ car les réserves d’essence sont à peine entamées et les appâts bien rangés dans un thermos enfermé dans le gaillard d’avant. Surpris sans doute par une lame, Calou a dû se trouver tout à coup rempli d’eau, le poids des moteurs ne tardant pas à le faire gîter par l’arrière. Mais sans doute pour éviter la perte de leur bateau, l’équipage a le temps d’arrimer des bouées à l’étrave, de solidariser les réservoirs de carburant et de mettre à l’abri le matériel de pêche. C’est ainsi en tout cas que les sauveteurs retrouvent l’épave, l’avant seul, soutenu par les bouées, émergeant de la surface des flots.
Des recherches perçues à l’époque comme insuffisantes et inadaptées
Ce même soir, on apprend qu’un corps a été retrouvé sur une plage de Marie-Galante. C’est celui de François. De ses camarades, aucune nouvelle. C’est la consternation et la rage, car on sait aujourd’hui que des recherches mieux organisées et mobilisant davantage de moyens, auraient peut-être permis d’éviter le pire, le naufrage ayant probablement eut lieu à quelques encablures de la Grande dépendance.
Il fallait être présent à l’enterrement de François en cet après-midi du 28 février 1990 écrasé de soleil, pour comprendre et partager la douleur des familles pleurant leurs enfants, mais aussi l’émotion de toute une population solidaire, bouleversée par ce drame.
Un mémorial aux marins-pêcheurs disparus en mer
Les deux frères Bride et Michel Bordy ne sont pas, hélas, les seuls pêcheurs saintois ayant payé de leur vie leur tribut à la mer. Avant eux, en 1978, un marin breton, connu sous le nom de Rémy, installé aux Saintes avec sa famille, habitué à sortir seul, disparaissait mystérieusement corps et biens dans des circonstances jamais élucidées. Deux ans plus tard, le 22 février 1980, c’est au tour de Camille et d’André Cassin de faire naufrage au large de Saint-Barthélemy. Seul Camille, dit Lazare, réussit à gagner la terre, son compagnon à quelques mois de la retraite, n’a jamais été retrouvé. En juin-juillet 2013, Jean-Louis Cassin et Daniel Judes, suite au mauvais temps et à une avarie de leur voilier, sont retrouvés au large du Vénézuela après 32 jours d’errance sur l’océan, sans eau ni vivre, alors qu’ils faisaient route vers Saint-Barth. Déshydraté et inanimé, Jean-Louis a pu être ramené à la vie de justesse, mais Daniel Judes a été retrouvé mort sur le voilier. En mémoire de ces marins saintois morts ou disparus en mer, la municipalité de Terre-de-Haut a fait ériger un monument, à l’esthétique improbable, contestée, il est vrai, par beaucoup, et visible place de la mairie. Une plaque de marbre, malheureusement non nominative et mal entretenue, rappelle le souvenir de ces hommes qui ont tragiquement perdu leur vie en mer, élément qui leur est pourtant familier et qui depuis des générations est leur raison d’être et les fait vivre. En ce jour du 25 ème anniversaire de la mort et de la disparition de Patrick, François et Michel, associons les noms de Rémy, André, Daniel et, bien qu’il fût un enfant, celui de Jeoffrey, le fils de Fernand Samson, pour affirmer notre solidarité avec leurs familles et leurs proches et rendre hommage à leur mémoire.
PS : Les photos de Patrick et François Bride m’ont été aimablement communiquées par leur sœur Fanny. Celle de Michel Bordy par sa sœur Elza. Un grand merci à toutes deux.
Oui, c’est un souvenir bouleversant qui m’a profondément marqué… C’est important de se le remémorer et de rendre ainsi hommage à tous les marins qui exercent un métier périlleux, de rendre hommage aux îliens ou côtiers qui regardent la mer avec un grand respect.
Pensées aux familles touchées par ces événements tragiques.
Merci Raymond pour toute l’attention que tu portes à l’archipel des Saintes y compris à ses « choses » oubliées…
Marie-Jo, j’aurais aimé associer les disparus de Terre-de-Bas à cette chronique, mais les éléments m’ont manqué pour le faire. Notre voisine a en effet perdu tragiquement, elle aussi, des marins dans l’exercice de leur dur métier. Et il aurait été juste de leur rendre hommage. J’imagine que chaque année, le 16 août, fête des marins, une cérémonie officielle a lieu au « monument » de Terre-de-Haut. Autrefois, une couronne mortuaire était jetée à la mer. Le célébrant montait dans un canot avec ses servants, il bénissait la mer au chant liturgique du Libera et lançait la couronne. Enfant de chœur, j’ai maintes fois participé à cette cérémonie. Je trouve qu’en ces jours d’anniversaire, (étrangement à la même date : 21-22 février ), 30 ans pour André Cassin, 25 ans pour le drame de CALOU, un geste aurait pu être fait par la municipalité, ne serait-ce qu’un dépôt de gerbe. Quant au monument lui-même, sans polémiquer sur sa conception – que je trouve pour ma part grotesque – il méritait un coup de peinture et la plaque aurait pu être rénovée, comme je le signale dans la chronique. Mais sans doute les « autorités » ont elles d’autres préoccupations… Espérons qu’en lisant cet hommage elles se réveilleront et donneront plus d’éclat cette année, au 16 août, à la célébration en mémoire de nos disparus.
En feuilletant le journal L’IGUANE N° 4 de mars 1990, où la disparition du 21 février a été relatée, j’ai trouvé ce poème naïf de Pierre Dabriou, publié dans le même numéro. En dépit de sa simplicité et de ses répétitions, ce petit texte décrit très bien le quotidien du pêcheur. À vous de l’apprécier :
Le pêcheur
Le mauvais temps parfois l’empêche
De pratiquer son rude métier, la pêche.
Il se réveille très tôt chaque jour
Pour gagner son pain de tous les jours.
Par mer d’huile ou par grand vent
Il est debout à l’aube, souvent
Attendant ses compagnons.
Enfin est arrivée la décision
De prendre le cap à l’horizon
Pour chercher le pain de ses enfants
Par mer démontée et difficile
Ou parfois calme et facile
Il supplie le fond
En tirant sur le filet ou les casiers
Il regarde quelquefois le soleil
Ne sachant pas à quelle heure
Se fera le retour à la maison.
Les populations sont toujours très touchées et marquées lorsqu’un ou plusieurs de leurs concitoyens perdent dramatiquement la vie en œuvrant pour le bien de la communauté et pour assurer le quotidien de ceux qui leurs sont chers. Les pécheurs aussi disparaissent en bretagne, et à chaque fois c’est toute une région qui est meurtrie. Etant gamin j’ai été marqué par « les coups de grisou » dans nos mines lorraines . Même drame pour les familles, les proches, une région. A la différence prêt que les corps étaient généralement rendus aux familles…..Je me sens donc proche de toutes ces familles dans la détresse même si pour moi le destin a été clément, mon papa est toujours rentré de la mine….
Je me rappelle de Patrick et François Bride. Des garçons très courageux et très gentils!
Je suis le fils aîné de Michel BORDY, en revoyant cette article je dois reconnaitre même plus de 20 ans me touche encore.
Pour ma part, j’étais un adolescent de 13 ans. Je l’ai vu pour la dernière fois à Noël et nous devions passer les vacances de pâques ensemble. Dieu en a voulu autrement.
Que toutes les familles de ces marins pêcheurs professionnels et amateurs reçoivent également mes sincères condoléances.
Hubert Bordy