De Sanvignes à Sivignon
De retour de Métropole, après presque deux mois d’un été particulièrement frisquet, mais requinquant, semble-t-il, pour un Guadeloupéen, je vous propose, chers lecteurs, un aperçu de ma rencontre avec le plasticien Jean-Claude Lavaud, peintre et sculpteur bourguignon, ancien collègue d’Arts Plastiques au collège Jeanne d’Arc de Paray-le-Monial où, comme lui, j’ai sévi moi-même 15 années durant comme prof de lettres avant de regagner la Guadeloupe.
Le peintre halluciné
Ami de longue date, Jean-Claude Lavaud est né en 1953 de parents commerçants, à Sanvignes, petite commune minière de Saône-et-Loire, non loin de la ville de Montceau-les-Mines. Montceau-les-Mines, terre d’accueil de la Martiniquaise Christiane Mathos à laquelle j’ai consacré ma précédente chronique. Diplômé des Beaux Arts de Mâcon, Jean-Claude Lavaud, résidant actuellement à Sivignon, au pied de la Butte de Suin, a donc fait carrière dans l’enseignement (il est aujourd’hui à la veille de la retraite), menant de front deux activités intenses, celles de professeur apprécié et de plasticien reconnu et sollicité. Invité à de nombreuses manifestations culturelles et artistiques, exposant ses tableaux aussi bien dans sa région qu’à Genève, Paris, New-York, Montréal… il a bien voulu répondre, à la fin de cette chronique, à quelques-unes de mes questions sur la signification et la portée de son art.
Démiurge de la dérision
En appréciant l’œuvre de Jean-Claude Lavaud, il me vient à l’esprit cette constatation banale que je vous livre sans honte : ce n’est pas le moindre mérite de la photographie que d’avoir définitivement révélé à la peinture sa véritable ambition. Surréaliste, abstraite, fantastique ou expressionniste, la peinture est d’abord et par essence art de l’imaginaire. Récusant les classiques natures mortes et les paysages flamboyants, essorée de tout académisme déliquescent, l’œuvre de Jean-Claude Lavaud s’inscrit d’emblée dans cette perspective de l’image absolue et ne souffre à cet égard aucune équivoque. La représentation onirique de ses personnages, émergés d’un univers énigmatique, n’est pourtant pas chez lui le résultat d’un mécanisme s’apparentant en littérature à l’écriture automatique. Plus qu’influence de l’inconscient, il y a volonté délibérée de projeter sur la toile, non pas les travers, mais la quintessence de notre condition humaine. Démiurge de la dérision, Jean-Claude Lavaud élabore à partir du chaos originel un système cohérent d’êtres et de situations qui se combinent en une osmose parfaite.
Absence de message, et pourtant !
Ne parlons surtout pas chez Lavaud de message. Ce serait, selon lui, anéantir la portée-même de sa démarche qui est essentiellement de « donner à voir ». Tout simplement. Mais avec quelle maîtrise du couple forme-couleur, quelle densité dans l’évocation, quelle absolue perfection du détail ! Galerie de portraits défigurés par le grotesque, formes pleines à la plastique transcendante, personnages à tête de diodon égaré, illuminés d’inconsistance – ou de profondeur – , se pavanant sans vergogne, c’est toute la définition de notre humanité.
Une exhibition de spectres délirants
Pourquoi croyez-vous que nous nous sentions si peu dépaysés dans cette exhibition de spectres délirants où se lisent tour à tour l’arrogance et la soumission, l’affectation et le dépouillement, la quiétude béate et la détresse ? C’est que Jean-Claude Lavaud réussit ce tour de force de nous restituer par un jeu de miroirs hallucinant l’authentique image de notre condition. Image qui rend caduques les masques dont nous nous affublons quotidiennement. Sa peinture nous réconcilie avec nous-mêmes. L’extravagant s’estompe jusqu’à disparaître. L’insolite devient familier et ce qui nous étonne, c’est de ne pas ressembler davantage à ses personnages. Êtres fantomatiques d’un univers dérisoire, nous avons accès à travers l’œuvre de Jean-Claude Lavaud à la désolante alchimie de notre pompeuse nudité.
Raymond Joyeux
Interview difficile du béotien, réponses éclairantes de l’artiste
Raymond Joyeux : Jean-Claude Lavaud, peux-tu nous définir en quelques mots, s’il y en a un, le thème principal de ton travail de peintre ?
Jean-Claude Lavaud : Pour moi, Raymond, le seul thème qui mérite d’être peint, c’est l’homme. Ma démarche ne cherche pas à le réduire mais à le restituer dans un espace poétique et cruel, dans un monde qui le façonne, aiguisant son désespoir et sa folie.
RJ : Tu veux dire que ta représentation de l’homme, telle que tu la conçois et nous la restitues sur la toile, est une image fidèle de ce que nous sommes, des êtres désespérés, fous ?
JCL : Selon moi, le miroir n’a pas à être fidèle. Identité floue et baroque, il instaure par sa puissance l’implacable détermination qui nous conduit à notre fatale issue, tout en restituant à notre condition humaine toute son insolente et précaire noblesse.
R.J : À partir de cette démarche éminemment réfléchie, comment, dans une œuvre essentiellement visuelle, concilies-tu discours et émotion qui sont parfois deux entités en opposition ou en décalage l’une par rapport à l’autre, même si en poésie, par exemple, et en littérature plus généralement, la première engendre souvent la seconde ?
JCL : Tu as raison, et tu es bien placé pour connaître la puissance des mots, du discours donc. En peinture, l’image se substitue au discours verbal, ce qui ne signifie pas que son impact est moindre, bien au contraire. Aussi ma peinture s’inscrit dans ce paradoxal va-et-vient entre la pensée qui soutient le discours et l’émotion qui symbolise le désordre. (Désordre intérieur s’entend). L’émotion doit naître de la plastique, de la couleur et de l’excitation que cet ensemble procure à tous les sens pour lesquels la raison n’offre plus de discours.
R.J. : À n’en pas douter, Jean-Claude, moi qui n’y connais rien en peinture, il me saute aux yeux, sauf erreur de ma part, qu’au-delà du discours et sa signification, ta peinture, du seul point de vue de sa composition, se caractérise, entre autres, par une maîtrise parfaite des couleurs et des formes, et je reste fasciné par le résultat.
JCL : Ne sois pas modeste, Raymond, tu es poète, et tu sais bien que par certains côtés la poésie et la peinture – et ajoutons la musique et toutes les autres formes d’art – sont souvent des alliés inséparables et complémentaires. Donc ne dis pas que tu n’y connais rien en peinture. Pour éclairer cependant tes lecteurs, je dirai que mon travail est une quête visant à produire la fusion de la forme et de la couleur afin qu’une dynamique puissante y fonde la lumière. Ombre et lumière, le souci du peintre restera de se tenir sur le seuil qui permet le passage de l’une à l’autre et de susciter la séduction qu’exercent sur nous la tombée de la nuit et l’apparition des premières lueurs du jour.
RJ : C’est beau, Jean-Claude ce que tu dis, c’est effectivement très poétique, une poésie teintée de philosophie ; et ta peinture, pour moi, l’est aussi par- dessus tout. Mais, et l’homme dans tout ça ? serais-je tenté de dire. Tu m’as expliqué plus haut qu’il était au centre de ta production.
JCL : Eh bien justement, pour revenir à l’homme, s’il est au centre de ma peinture en effet, il est aussi au centre de cette lumière évoquée à l’instant. C’est cette lumière qui apporte à son destin la clarté d’une autre vérité, le témoignage sans fard d’un monde passionné dans lequel paradoxes et antagonismes surgissent de la mémoire des hommes, infligeant à leur existence la sourde interrogation qui la pétrit.
R.J : Je suis bien d’accord avec toi, Jean-Claude, mais peut-être y a t-il dans ces derniers propos (ce dernier discours), une part d’ironie, de dérision. Aussi pour finir, dis-moi si je me trompe et dis-moi surtout ce qu’il en est de cette ironie que je crois percevoir aussi bien dans tes paroles que dans ton œuvre picturale.
JCL : Tu as vu juste, Raymond ! Car mon propos en tant que peintre, en dehors de tout verbalisme, c’est de donner à voir une peinture dont l’ironie n’est pas exclue. Un clin d’œil complice qui attise dans notre mémoire l’expression d’une émotion profonde, et que de l’angoisse d’une époque naisse une esthétique nouvelle.
RJ : Merci Jean-Claude Lavaud pour ces explications et ce clin d’œil. Car même si ça fait bien longtemps que je côtoie tes œuvres et qu’elles me sont familières, tes réponses m’ont éclairé et m’ont permis de prendre le risque d’une analyse personnelle que tu auras lue ci-dessus en ouvrant cette page. Merci aussi pour ton indulgence et les photographies de tes tableaux que tu m’as aimablement confiées pour cette chronique.
Le plasticien inspiré
Peintre, nous l’avons vu, jusqu’au bout des doigts, (ceux principalement qui dirigent et font vivre le pinceau !), Jean-Claude Lavaud est aussi un plasticien de renom. Outre d’être l’auteur de vitraux, de couvertures d’ouvrages, de nombreuses fresques urbaines, à Lyon et Mâcon entre autres, de sculptures sphériques symbolisant à Cluny les 800 ans de la fondation de l’Abbaye, il a été choisi par la Communauté d’Agglomérations de Montceau-Blanzy pour la réalisation du Mémorial d’Afrique du Nord, inauguré en Avril 2003, en hommage aux soldats de Saône-et-Loire morts pour la France, en Algérie, Maroc, Tunisie.
Mémorial de Saône-et-Loire des Morts pour la France en AFN – 1952-1962
réalisé par Jean-Claude Lavaud. (Photo Montceau-News)
« Sur un tertre circulaire, dix sphères sont séparées en leur milieu par dix éclats bleus. Le bleu comme la Méditerranée, comme l’éclair meurtrier. Ils illustrent la colonne vertébrale emblématique d’hommes fauchés debout. Les sphères symbolisent la révolution de la terre autour du soleil, soit dix années de guerre, de vies brisées.
La place cérémonielle est ceinte d’une élévation en forme de croissant, dix monolithes y sont érigés : ces rayons de soleil sont portés par une ligne d’horizon sur laquelle sont gravés les noms des Morts. L’obélisque, emblème solaire, se dresse à son côté.
Ce mémorial témoigne d’une volonté de réconciliation et de paix pour que perdure la mémoire collective et que la conscience éclaire l’avenir. »
Jean-Claude Lavaud
Salut l’artiste !
message pour Jean Claude Lavaud.
Tout à fait d’accord sur l’affirmation selon laquelle, le seul thème qui mérite d’être peint est l’humain. Ceci dit, dans l’art, n’importe quel « thème » ou représentation, qu’elle soit figurative ou abstraite, renvoie toujours, même indirectement, à l’humain.
Que soit « re-connu » le minéral, le végétal, l’animal, le paysage, de façon « réaliste » ou imaginaire, que soit élaboré et composé par la couleur et la forme des « figures » abstraites issues de la plus grande fantaisie créative, c’est toujours en fin de compte de l’humain dont il est question, de son regard et de son action sur le monde (ou à travers le monde).
François Cheng, grand passeur de culture entre l’orient et l’occident, rapporte que dans la peinture chinoise classique, peindre l’homme est l’aboutissement de l’étude picturale approfondie de la nature vivante.
« Le visuel rendu de l’humain », fût-il de la plus pure fantaisie, dans sa construction technique tout comme dans sa profondeur animique, est un prolongement évident des études de rocs , de torrents et de montagnes embrumées, d’orchidées ou de bambous, d’oiseaux, de chevaux ou de buffles… Selon cette tradition picturale millénaire, l’on compose alors un portrait comme on compose un paysage : avec ses montagnes et ses vallées, sa chevelure comme une forêt, un regard pétillant comme quelques fruits bien mûrs dans un jardin : souffle et présence d’esprit animant tous deux la nature et la présence humaine. les deux ne pouvant exister qu’à l’unisson.
Cher Jean Claude, toi qui fus lors de mes jeunes années mon maître et ma référence en terme « d’artiste véritable », reçois toutes mes meilleures pensées. Que ton oeuvre continue à se déployer, te souhaitant la plus grande « liberté sensible » pour oser encore emprunter les sentiers les moins balisés et nous rendre compte, visuellement, de ta quête.
Salutation colorées,
Alain JOYEUX
Il est toujours intéressant de voir ce que les nouvelles générations de peintres et de sculpteurs ont retenu de leurs illustres prédécesseurs (surréalistes, nouveaux réalistes, etc).
Comme eux, JCL construit tout d’abord des mises en scène, inventées ou rêvées, semblant dans son cas faire référence à l’enfance, à ses terreurs et ses émerveillements, sorte d’Alice dans un pays des merveilles un peu pervers…
Mais au-delà de ces mises en scène, ce que JCL exprime en second plan, comme ses prédécesseurs, ce sont ses interrogations sur lui-même et sur le monde qui l’entoure, qui rejoignent celles des spectateurs.
Sa grande connaissance de l’histoire de l’art du XXe s réapparait dans ses tableaux, par des clins d’œil en hommage à Bacon, Dix, Dali, Magritte, Kandinsky, Redon, etc.
Ses œuvres sont à revoir régulièrement pour en découvrir toutes les clés.
… Pourtant pas très branché sur l’art en général , j’aime bien cette expression ….. !
A plus .