Fò an fanmi
Chaque année, depuis 2010, le Conseil Général de la Guadeloupe organise sur 3 jours la manifestation « Fò an fanmi » en souvenir du combat de Louis Delgrès contre le rétablissement de l’esclavage par Napoléon 1er, le 20 mai 1802. Cet événement symboliquement fort, comporte un volet culturel alliant plateaux artistiques et animations diverses en déambulation sur les différents sites et principalement au fort Delgrès de Basse-Terre. Comme à l’accoutumée, pour cette 5ème édition, le 27 mai, date officielle chez nous de la commémo-ration de l’abolition de l’esclavage de 1848, l’Association K’NAWA reliera à la rame Terre-de-Haut à Basse-Terre. Ce parcours intitulé BRÉFO LANMÈ (de fort en fort, par mer), est l’occasion pour moi de vous présenter le Fort Napoléon de Terre-de-Haut, monument historique incontournable s’il en est, et actuellement haut lieu du tourisme saintois depuis maintenant de nombreuses années.
À l’origine : le Fort Louis
Propriété du Département de la Guadeloupe, le Fort Napoléon de Terre-de-Haut est situé sur le sommet du Morne Mire à 119 m d’altitude, dominant ainsi le mouillage, l’ensemble des îles de l’archipel des Saintes et au-delà. Il a été construit en lieu et place d’un ancien fortin en bois, édifié en 1777, sous le règne de Louis XVI, le Fort Louis, rebaptisé Fort Napoléon dès 1805. Ce premier ouvrage fortifié, de forme rectangulaire, protégé par une enceinte de maçonnerie en mortier de terre grasse, fut détruit par les Anglais en 1809. Il comprenait avant sa destruction une caserne avec logement pour 45 hommes et deux chambrées pour un officier et des sergents. Dans la cour intérieure, des magasins renfermaient vivres, munitions et outils, et deux citernes recouvertes d’une charpente de madriers assuraient l’alimentation en eau. L’entrée principale était surveillée par un contingent de 80 soldats abrités dans un « block-house » de deux étages dont les soubassements servaient d’entrepôt. Ce fortin n’était défendu que par deux canons et trois mortiers, destinés à protéger la passe de la Baleine et la rade de Terre-de-Haut. D’autres pièces d’artillerie étaient dissimulées dans tout le morne jusqu’à la baie du Marigot.
15 ans de travaux effectifs
Entre 1816 et 1840, on entreprit de relever les ruines de cette première construction, d’élever des murailles d’enceinte, (les courtines), jusqu’à 7 mètres de haut sur 30 de long et d’édifier un magasin à poudre au-dessus d’une citerne remblayée. C’est sur ces bases que le Comité des Fortification du Ministère de la Marine et des Colonies décida en juillet 1842 d’élever une troisième fortification censée être imprenable, qui deviendra le Fort Napoléon tel que nous le connaissons aujourd’hui. Mobilisant des centaines d’ouvriers et des soldats du génie logés dans des baraquements, la construction s’étala sur 23 ans, de 1844 à 1867, avec une interruption entre 1849 et 1857. Mais son appellation attribuée dès 1805, ne doit rien à Napoléon III arrivé au pouvoir en 1852…
Sauf pour les voutes des poudrières, bâties avec des briques jaunes venues du Havre, les matériaux sont d’origine locale, formés principalement de moellons taillés sur place dans des blocs volcaniques extraits du Pain de Sucre, moellons qui serviront également pour l’encadrement des portes et fenêtres.Le mortier d’assemblage et d’enduit était composé d’un pourcentage adéquatement dosé de chaux, de sable et de pouzzolane (poudre de roches volcaniques), l’ensemble mêlé à de l’eau stagnant dans une mare. Félix Bréta rapporte dans son ouvrage sur les Saintes (1939) que : » Les gens du pays qui ont travaillé à la construction du fort racontent que sous chacun des piliers qui constituent la base fondamentale de ce superbe édifice, se trouve enfoui un Louis d’or. » Assertion fantaisiste, selon nous, qui n’est pas près d’être prouvée à ce jour, et qui ne le sera peut-être jamais !
Une construction inspirée de Vauban
Contrairement à la première fortification du Morne Mire, l’actuel Fort Napoléon des Saintes auquel on accède par un pont-levis à contre-poids est une construction « à la Vauban », du nom de l’illustre ingénieur militaire et architecte français (1633-1707), auquel on doit, sur le sol national, en Europe et à l’étranger, le principe de nombreuses fortifications réputées inexpugnables, dont le modèle reste le Fort Griffon de Besançon, dans le Doubs, converti aujourd’hui en musée. L’une des principales caractéristiques de ces bastions militaires vaubanesques consiste à épouser l’assiette du terrain en utilisant au mieux le relief et la situation topographique du lieu de construction pour une défense optimale de l’ouvrage et une résistance éprouvée aux attaques ennemies. Le Morne Mire à Terre-de-Haut constituait l’emplacement idéal pour la surveillance et l’inaccessibilité aux répliques éventuelles des assaillants, même si de toute son histoire le Fort Napoléon n’a jamais servi militairement.
Courtines, chemins de ronde et talus
Les épaisses murailles, appelées courtines, protégeant l’ensemble du fort sont hautes de 11 mètres au-dessus des douves ou fossés. Elles sont surmontées d’un chemin de ronde extérieur long de 430 mètres reliant entre eux huit bastions. Sa configuration permet de recueillir les eaux de pluie et de les évacuer vers les fossés. Un second chemin de ronde, intérieur celui-là, est séparé du premier par un talus sur lequel est aménagé aujourd’hui un jardin exotique jumelé à celui de Monaco. Initialement c’est sur ce talus qu’étaient disposées les pièces d’artillerie prévues pour la défense du Fort et la protection de la rade.
La caserne
Au milieu de la cour centrale intérieure est édifiée la caserne, un bâtiment à 3 niveaux, long de 46 m, large de 20 et haut de 10. Le rez-de-chaussée comporte un four à pain, une cuisine, un réfectoire, une citerne souterraine de 370 M3 et une salle de garde ainsi que différents magasins. Au premier étage on trouve les chambres des officiers et de grandes salles servant de dortoirs à la troupe. On pouvait y loger 220 hommes sur plusieurs rangées de lits séparées par un couloir central de 1 m 60. Au troisième niveau du bâtiment est aménagée une terrasse entourée d’un parapet percé de meurtrières et de six bretèches en retrait avec leurs mâchicoulis, emplacement idéal pour la surveillance de l’ennemi et la défense de l’ouvrage. Contrairement à l’usage qui privilégiait un revêtement de terre pour amortir les boulets, cette terrasse, au sol dur pavé, recueille l’eau de pluie qui, par une canalisation verticale et un ingénieux système de filtration, alimente la citerne souterraine du rez-de-chaussée.
Occupations successives :
de la prison pendant la guerre au centre de vacances des années 50-60
Jusqu’au début des années 1970, le Fort était pratiquement laissé à l’abandon. La population et les rares touristes de l’époque pouvaient néanmoins y accéder grâce à une clé monumentale conservée à la gendarmerie du bourg. En période de sécheresse, les habitants montaient puiser l’eau à la citerne avec des seaux portés à bout de bras ou, pour les plus habiles, sur la tête. N’ayant jamais eu de passé militaire actif, le Fort Napoléon a cependant servi de prison pendant la seconde guerre mondiale. Les autorités de Vichy y ont fait interner des ressortissants pourtant français d’origine italienne et libanaise dont l’un d’eux est resté célèbre : Paul Valentino en 1944, résistant, député de la Guadeloupe et président du conseil général de l’époque, qui réussit à s’en évader. Par la suite, ce sont des ados d’une colonie de vacances de l’Association des Sonis de Pointe-à-Pitre, encadrés par leur aumônier, le père Bellec, qui y venaient séjourner pendant les grandes vacances dans les années 50-60. Puis, petit à petit, personne ne s’en est vraiment occupé, le Fort restant généralement fermé et livré à la végétation et aux dégradations… jusqu’à l’arrivée du Club du Vieux Manoir en 1973.
Du Club du Vieux Manoir à l’ASPP
Sollicité sans doute à l’époque par le Conseil Général, propriétaire des lieux, le Club du Vieux Manoir arrive au Fort Napoléon en novembre 1973. Cette association métropolitaine, spécialisée dans la restauration de vieilles bâtisses historiques, avait projeté un vaste programme de rénovation, de mise en valeur et d’animation culturelle et touristique pour les monuments anciens et sites naturels de Guadeloupe. Le Fort Napoléon devint le camp de base de cette action, ouverte aux jeunes Antillais et Métropolotains. La municipalité ainsi que le Parc Naturel régional et les Archives Départementales s’associèrent à cette action. Des travaux de nettoyage des douves, d’élagage, de restauration des menuiseries, des abords et des salles, auxquels participèrent les scolaires de Terre-de-Haut, furent entrepris. Mais le projet tourna court assez rapidement et l’année suivante, en 1974, ce furent l’ASPP (Association Saintoise de Protection du Patrimoine) et son personnel, dirigeants et membres, qui prirent la relève du Club du Vieux Manoir. Un contrat sera passé avec le Département, et de nombreuses actions vont voir le jour sous la conduite du bureau et des membres de l’Association qu’il convient de féliciter ici pour leur engagement et leur persévérance. Le Fort Napoléon devint alors, et est aujourd’hui, la plaque tournante de l’éco–tourisme culturel aux Saintes grâce à la création d’un jardin exotique et surtout d’un musée de l’histoire et des traditions locales qui accueille chaque jour de nombreux visiteurs.
Puisse le succès indéniable que connaît aujourd’hui le Fort Napoléon de Terre-de-Haut sous la houlette de l’ASPP se poursuivre encore longtemps et continuer d’attirer de plus en plus de visiteurs pour une meilleure connaissance de notre histoire et de notre culture insulaires.
Le Fort Napoléon de Belgique
Pour l’anecdote, sachez qu’il existe un autre Fort Napoléon, à Ostende, figurez-vous, ville côtière du nord-ouest de la Belgique. Malheureusement, le jour où je suis passé dans cette ville, n’ayant pu le visiter, je ne l’ai photographié que de loin, avec une pensée pour celui de Terre-de-Haut, mon île de naissance. Voici ce que dit de ce fort un site Internet que vous pouvez consulter en cliquant sur le lien suivant :
http://www.visitoostende.be/fr/doen/fort-napoleon/284#.U30DBF5XIb9
« Napoléon donne l’ordre de construire ce fort en 1810. La dernière pierre est posée en 1814, année de la chute de l’empire de Napoléon. Le bâtiment pentagonal en briques est entouré de douves de 10 mètres de large et d’un mur de soutènement de 8 mètres de haut. Le fort n’a jamais été utilisé à des fins militaires. Pendant la Première Guerre mondiale, il était utilisé comme mess pour les officiers allemands. Il est ensuite devenu un musée et a accueilli des plaines (1) pour enfants. Il commença à se détériorer dans les années 50, et a été cédé en emphytéose à la fondation Stichting Vlaams Erfgoed en 1995. Après sa restauration, le Fort Napoleon a entamé en 2000 une nouvelle vie en tant que monument et musée. »
1 – Centres de vacances (NDLR)
Raymond Joyeux
PS : Alors que cette chronique venait d’être publiée : jeudi 22 mai 2014, 0 heure, je constate que le Conseil Général de la Guadeloupe a mis en ligne sur son Facebook une vidéo sur le Fort Napoléon que je vous invite à consulter :
https://fr-fr.facebook.com/…/CONSEIL-GENERAL…GUADELOUPE.
Après essai, la page du Conseil général ne s’ouvrant pas, vous pouvez essayer avec le lien ci-dessous.
https://www.facebook.com/terredehaut.municipales?fref=ts
Bonjour à tous,
J’ai ajouté à la suite de cet article le lien du Conseil Général de la Guadeloupe qui vient de mettre opportunément en ligne une vidéo sur le Fort Napoléon. Malheureusement, ce lien n’est pas opérationnel, je ne sais pour quelle raison. Par contre si vous souhaitez visionner cette remarquable vidéo, je vous invite à vous rendre sur la page Facebook de Terre-de-Haut indiscrétions qui l’a partagée, en cliquant directement sur le lien ci-dessous :
https://www.facebook.com/terredehaut.municipales?fref=ts
Pour édifier un tel ouvrage, je crois qu’il n’est pas aisé de se rendre compte des conditions de travail des ouvriers ainsi que des moyens et outils de l’époque sous le soleil ardent et la chaleur accablante de notre archipel… Il est mentionné que des blocs ont été prélevés au pain de sucre : peut-on imaginer le transport de ces pierres sans l’aide des machines, sans route carrossable et autres facilités d’aujourd’hui ? Sans parler de l’acheminement de briques du Havre ! Quelle ironie d’ailleurs que de tels efforts n’aient pas répondu à leur objectif initial : la défense militaire…Tant mieux, pourrait-on dire, car toute guerre terminée ou évitée est toujours une bonne chose.
Cela étant, nous voyons encore aujourd’hui les mêmes débauches de moyens et d’accaparement des forces et des finances publiques pour des projets pharaoniques et démesurés qui ont et auront parfois le même destin que le Fort Napoléon : l’abandon … et parfois une récupération dans une finalité inattendue ! On peut finalement se réjouir que l’impulsion militaire se soit transformée en site culturel et botanique.
Et si toutes les infrastructures guerrières de notre planète suivaient le même exemple ? Ce serait alors un grand pas pour notre humanité !
J’aimerais en savoir plus sur la citerne du Fort : quel est son volume ? est-elle actuellement en eau ? Si oui, cette eau est-elle utilisée et à quelles fins ? En quoi consiste cet ingénieux système de filtration dont il est fait allusion ? merci pour ces précisions.
Alain.
La citerne de la caserne a une contenance de 370 M3, autrement dit de 370 000 litres d’eau. À ma connaissance, cette eau n’est pas utilisée aujourd’hui pour la boisson, mais peut-être sur place pour l’arrosage ou le ménage. C’est la terrasse du 3ème niveau du bâtiment qui recueille les eaux pluviales « à l’aide de deux descentes percées dans les murs »…. « Ces eaux passent dans un avant-bassin, puis dans un filtre à deux compartiments communiquant entre eux avant de tomber dans le réservoir proprement dit. » C’est Patrick Péron qui le précise dans son livre « Petite histoire de Terre-de-Haut »… « Dans le mur, continue-t-il, un conduit vertical fermé par une porte a été aménagé, afin de permettre à un homme de descendre dans la citerne, grâce à deux rangées de pierres de taille en saillie. »
Le Club du Vieux Manoir qui a publié une brochure non datée sur le Fort : » Iles des Saintes, Le fort Napoléon », prétend, lui, que l’eau proviendrait aussi « des systèmes de drainage parcourant toute la construction » particulièrement à partir des chemins de ronde. » On aperçoit encore, lit-on dans cette brochure, à l’extérieur comme à l’intérieur, les ouvertures de ces drains souvent cadrés de briques, et qui recueillaient les eaux. »
Comment ces eaux parviendraient-elles jusqu’à la citerne ? Cela n’est pas précisé, et il y a lieu de douter de ces affirmations. Seuls les responsables actuels des activités du Fort pourraient peut-être répondre à cette question. La piste reste donc ouverte…
La balade au fort Napoléon est remarquable.Petite marche grimpante (rien à voir avec le chameau), superbes vues, magnifiques édifice et jardin, et….à l’intérieur du fort une climatisation naturelle , très appréciable après cette petite ascension sous le soleil saintois. Sans oublier le musée qui présente si bien votre histoire.
Et tout comme Mr Alain Joyeux, on est obligé de penser à ceux qui ont probablement vieilli avant l’age, usés par tout ces efforts de construction et ces conditions très dures. Pas de grues, pas de camions, pas de fenwicks….mais probablement pas mal d’accidents de travail (comme on dit aujourd’hui).
Dommage que le chemin de ronde et la terrasse sont inaccessibles au public. Dommage aussi que la prison est en ruine, mais je pense que sa restauration serait hors de prix.
En tout cas le Fort Napoléon est incontournable, et toute visite au Saintes ne peut se faire sans un détour au morne Mire.
Je regrette que n’apparaissent nul part les travaux historiques et les maquettes qu’ont entrepris en fin d’année 90 le médecin et son épouse Ballabriga.
Bonjour Kerautret. Je profite de votre commentaire pour visionner ma chronique de l’époque (2014) et constate à mon grand regret que les photos pourtant personnelles aient presque toutes disparu. Je vais tenter de les retrouver pour restaurer l’article. Concernant votre mail, je n’ai aucune connaissance de ces « travaux historiques » ni de ces « maquettes » des époux Ballabriga des années 90. Peut-être sont-ils au Fort. J’en parlerai à une responsable pour savoir ce qu’il en est.