Un carême aux Saintes en 1920

breta 2 - copieCe n’est pas la première fois que nous puisons dans la remarquable monographie de Félix Bréta, Les Saintes, dépendances de la Guadeloupe, éditée à Paris en 1939 aux Éditions Larose, aujourd’hui épuisée, pour vous proposer certains faits, descriptions et notations concernant l’histoire, les paysages et la vie de notre archipel au cours de la première moitié du siècle dernier. Aussi, puisque nous sommes en période de carême et que nous vivons actuellement un épisode de sécheresse exceptionnelle qui oblige la préfecture à des restrictions et coupures régulières d’eau, voici ce qu’écrivait Félix Bréta sur le manque d’eau aux Saintes en juillet 1920. Constat des conséquences de la sécheresse et des difficultés éprouvées à l’époque par la population, suivi d’un espoir de renouveau à la suite de la venue des premières pluies. R. Joyeux

Midi

« Sous l’ardeur du soleil éclatant, les mornes ont pris des teintes rousses. Beaucoup d’arbres dépouillés de leurs feuilles n’étendent plus vers le ciel que des branches dénudées. Des jours et des jours ont passé sans que la moindre goutte de pluie soit venue rafraîchir la terre. Les citernes s’épuisent peu à peu et la population, sous ses grands chapeaux, s’inquiète, sans grand émoi cependant, de ce problème de l’eau, toujours inquiétant, jamais résolu. Des nuages s’amoncellent, vont frôler distraitement le Chameau et déversent sur la Terre-d’en-Bas leur ondée bienfaisante. Les moutons bêlent plaintivement ; les vaches ayant brouté l’herbe sèche, regardent au loin tristement et tous les feux du jour s’épanouissent glorieusement sous le ciel lumineux.

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 Désolation

alain 4 La sécheresse a sévi partout. Ici, elle dure depuis février. Les arrivages se sont faits de plus en plus difficiles, et, la farine venant à se raréfier dans la Guadeloupe tout entière, la population connaît les horreurs de la vraie famine. On ne trouve rien à acheter : pois, riz, manioc, bananes ont disparu, car les temps difficiles qu’on connaît dans toute la Colonie et les prix des rares denrées qu’on peut rencontrer, ne permettent pas l’approvision-nement. Pour avoir quelques bananes, on se rue de nuit dans des embarcations, vers une barque que le mauvais temps a forcé à se réfugier en rade. En silence, on attend à la porte des rares possesseurs d’un peu de farine qu’ils veuillent bien vous comprendre au nombre de ceux qui auront aujourd’hui du pain. On entend dire, le cœur angoissé, que des familles entières n’ont rien mangé depuis des jours. Et si l’on se dirige vers Pompierre, de longues carcasses de vaches dispersées par les chiens, des bêtes étiques couchées, les pattes à l’abandon, autour des mares desséchées, attendent la mort passivement, attestent la désolation qui peut régner parfois dans ce pays éclatant de lumière et de beauté.

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 Renouveau

alain 2Durant des jours nombreux, le soleil a desséché l’herbe des champs ; les arbres, pour la plupart, ont perdu leurs feuilles et quand on vient du large, il semble que le feu ait laissé sur toute la campagne l’or de sa flamme et le rougeoiement de ses étincelles. Voilà qu’après quelques tentatives sans issue, les nuages laissent s’éparpiller pourtant, de ci de là, quelques gouttes de leur rare et si précieuse pluie. Ce n’est rien puisque les citernes recueillent à peine quelques pintes d’eau et que les mares ne gardent rien de ce qui tombe. Mais la terre a senti l’ondée bienfaisante ; de jour en jour et presque d’heure en heure, des teintes vertes apparaissent : vert pâle, vert clair, vert d’un jaune presque transparent sur lesquels se détache la frondaison sombre et persistante des poiriers.

On sarcle fiévreusement, on sème hâtivement. Quelques jours suffisent à la métamorphose qui annonce la fin de la disette d’eau, l’herbe pour les troupeaux, l’espoir des récoltes futures. »

Texte : Félix Bréta
Terre-de-Haut – Juillet 1920
Photographies : Alain joyeux – Avril 2000

Notes à propos de l’auteur

Félix Bréta est né le 19 avril 1872 à Baie-Mahault en Guadeloupe. Décédé brutalement à Paris en mai 1938, à la suite d’une une crise cardiaque, il est enterré au cimetière de Terre-de-Haut. Il fait ses études au Lycée Carnot de Pointe-à-Pitre et obtient le baccalauréat en 1889 à la suite duquel il est nommé répétiteur. Licencié ès-sciences, il est chargé de cours, puis promu censeur du Lycée Carnot, enfin chef du Service de l’Instruction Publique par intérim. Parallèlement à sa carrière d’enseignant, il entreprend des recherches sur la géologie de la Guadeloupe dont il dresse une carte, et publie une étude sur l’empoisonnement par les poissons. Sa monographie sur les Saintes a été publiée après sa mort, en 1939, à l’initiative de sa veuve.

maison brétaDe son vivant, Félix Bréta fréquentait  les Saintes dont il était amoureux, passant régulièrement ses vacances, grandes et petites, à Terre-de-Haut où il s’était fait construire une maison. Ses livres, malheureusement épuisés, ne se trouvent plus dans le commerce, mais on peut les consulter facilement en PDF sur Internet. Particulièrement la monographie sur les Saintes, illustrée de nombreuses photos de l’auteur, où nous avons extrait les textes qui précèdent. Sa maison dont nous proposons ci-dessus une reproduction existe encore à notre connaissance, mais a changé de propriétaire voilà déjà plusieurs années et a sans doute été modifiée. Un de ses petits fils ou neveux, Jean Bréta, a fait ses études primaires à Terre-de-Haut, entre 1950 et 53. Certains Saintois de ma génération doivent certainement s’en souvenir.

Raymond Joyeux

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2 commentaires pour Un carême aux Saintes en 1920

  1. atht dit :

    Dure époque….

  2. Igor Schlumberger dit :

    Merci Raymond de m’avoir fait découvrir ce livre. En cherchant un peu je l’ai trouvé sur GoogleBook, il est consultable en ligne en entier à cette adresse : books.google.com/books?id=9_LSLfjfpwsC

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