Intermède poétique

Jean-Luc Hérisson : un poète guadeloupéen

HérissonJean-Luc Hérisson aurait pu être Saintois. Son  premier livre « Le devisement du monde » évoque la mer, les îles, la navigation à vue ou à l’estime, la peinture du ciel, autant de termes et d’éléments qui nous sont familiers et dans lesquels chaque Saintois se retrouve et se reconnaît. Après la parution de son livre, j’ai voulu l’interroger mais il était réticent. Il disait que son livre parlait tout seul. Qu’il ne pouvait, lui qui écrit dans la distance, revenir sur son texte et parler par-dessus son épaule. Pourtant, un jour, aux Saintes, les mots pour lui et moi sont venus plus facilement. Le dialogue qui suit est la transcription fidèle de notre conversation. Mais avant de vous le proposer, un mot sur cet auteur discret.

Herisson le devisementJean-Luc Hérisson est né en 1951 à Rabat, au Maroc, de parents Guadeloupéens. Après sa naissance, sa famille émigre en Bourgogne et s’installe à Joigny dans l’Yonne. Jean-Luc suit de solides études et devient professeur d’histoire. C’est en cette qualité que je le retrouve au Lycée de Massabielle à Pointe-à-Pitre où il exerce depuis 1977 et où je suis moi-même affecté en 1989. Nous devenons amis et il fait, à mon invitation, de réguliers séjours à Terre-de-Haut, avec sa guitare et son petit carnet sur lequel il compose d’une écriture fine, presque illisible, ses poèmes et  textes courts qui donneront naissance à trois recueils publiés à ce jour (1). Amoureux de la langue créole qu’il maîtrise parfaitement et pétri de culture antillaise, il s’intéresse aussi à la musique country américaine et fait de nombreux voyages aux États-Unis. Rétraité de l’enseignement et actuellement installé dans l’Yonne, il se définit comme  » créole bourguignon du Maroc » et vient de publier chez P.O.L. son troisième ouvrage : Le Corpus créole qu’il m’a gentiment dédicacé.

Conversation au Plan d’eau

Raymond Joyeux : Tu dis, dans une interview, je crois : « Je pars de rien. »
Jean-Luc Hérisson : C’est vrai, je pars de rien. Oui, littéralement. Je ne sais pas écrire, ni lire. Je n’ai pas de livre, de langue, de corps. Quelle main m’accueillera ? Quels mots voudront bien parler pour moi ? Il faut voir mon livre comme un travail sur le livre. Il ressemble peut-être à ces vieux livres de l’école primaire. L’écrivain est peut-être resté dans la classe de CP.

Les palourdes HERISSONR. Joyeux. : Oui, mais tous ces créolismes, tout ce dictionnaire, ce discours, cette langue accumulée, peux-tu t’expliquer là-dessus ?
J-L. Hérisson : Les créolismes, cela m’a donné de la langue, aux dépens des mots sur une feuille. Ces créolismes libèrent de la langue, ils font de la langue en créant une distance entre le mot et sa signification. Cela donne une parole comme calquée sur une tierce langue absente. Les mots sont sortis de leurs habitudes, ils me conduisent au seuil d’une explication. Ils braquent une découpe, ils libèrent du silence. L’écriture par eux commence : mots lavés, coquillages d’où on écoute quoi ? Un peu de mer, de terre, des gens, une image, etc… C’est peut-être vider le sens et la douleur. Des phrases qui flottent. Alors il semble qu’une histoire, un récit prend, un récit de navigation.

41GJTTD6NTL._SY445_R. Joyeux : Pourquoi un récit de navigation ?
J-L Hérisson : L’écrivain s’est glissé dans cette petite langue, plate et sans effet qui l’emmène Dieu sait où, dans un livre énigmatique où tous les repères sont brisés. Car le récit est sans cesse contrarié. Les yeux se ruinent vite, les lunettes cassées. On se perd dans un bric-à-brac d’images, de signes, de voix, de désirs, le poids de l’illusion, la présence de soi trop forte qui obscurcit. C’est la guerre sans bâtons, le blanchi, le pillage. Les avancées, les obstacles, les écueils forment la marche du récit, la marche du livre. D’où d’ailleurs le sens du titre : « le devisement du monde ». Mais n’exagérons pas les prétentions intellectuelles. Ma modestie finale c’est de rendre les mots au sable, les images aux ravets. (Rires)

mon bateau sombre HERISSONR. Joyeux : Tu dis aussi : pas de biographie nette, une géographie anecdotique, un livre sans objet.
J-L Hérisson : Parfois on croit reconnaître une voix, la sienne ? ou plus loin d’autres. Là peut-être la voix anonyme, le meilleur du « je », le meilleur du « nous ». De toute façon, le corps qui écrit se tient sur le bord du livre. Il rature une sorte de carte marine, il reste au bord puis s’en va. L’écrivain n’est pas position. Il est resté postal dans l’avant-jour. La langue comme seule biographie ?

R. Joyeux : Des mots en archipel ?
J-L Hérisson : Oui (rires). Tu sais, j’aime bien une expression de ton enfance que tu me citais et qui a rapport au jeu de toupie :  » Couper un cap », « tirer un cap ». Au fond, si on prend le sens littéral, qu’est-ce qu’en partie l’écriture, si ce n’est cela : « couper ou tirer un cap » ?

 Tentative d’approche

Corpus hérissonJe me garderai bien de définir et encore moins d’expliquer la poésie de Jean-Luc Hérisson. Il le fait très bien lui-même dans l’entretien qui précède et encore mieux dans la vidéo ci-dessous. Une chose est sûre, son écriture, en apparence simple dans son expression, minimaliste dans sa forme, est difficile d’accès. Pour la bonne raison que le poète rompt littéralement avec ce que le lecteur a l’habitude d’avoir sous les yeux. La construction des phrases, quand il y a phrase, le déroute. L’association surprenante des mots et les images induites encore plus. Les expressions antillaises francisées, qui renvoient au « corpus créole » justement, et qui donnent une tonalité étrange laissent perplexe le non créolophone et produisent un effet de dépaysement inattendu.

un coup de sabbre HERISSONIl y a une sorte de magie dans les textes de Jean-Luc Hérisson qui transporte le lecteur dans un monde inconnu où il a comme la sensation de flotter, ayant perdu pied avec la commune et banale réalité du langage et des choses. Mais cette réalité s’impose parfois par bribes et c’est ce mélange original d’apesanteur et d’ancrage qui fait la valeur et l’importance de cette poésie souvent déroutante que l’auteur définit lui-même modestement comme une libre navigation, à vue ou à l’estime, dans le dictionnaire, comme un petit bateau dans un dictionnaire, titre de son prochain recueil.

etat de la mer HERISSON

partir c'est lever HERISSON

   

Hérisson 1

1 : Publications de Jean-Luc Hérisson
Le devisement du monde : Flammarion 1990
La terre blanche et noire : Flammarion 2004
Le Corpus créole : P.O.L. 2013

Pour visionner l’interview de Jean-Luc Hérisson, ouvrez la video ci-dessous.
Sinon cherchez sur Google : Le corpus créole –  J-L Hérisson.

Raymond Joyeux

 

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