Chers amis lecteurs, permettez-moi avant tout de vous souhaiter une bonne et heureuse année… Et de vous proposer, pour cette première chronique de 2014, un reportage d’Alain JOYEUX, que je vous laisse le plaisir de découvrir. Non sans vous avoir remerciés de votre fidélité et informés de la bonne marche de notre blog. Bonne marche, puisqu’en moins de six mois d’existence, (créé le 13 juillet 2013), il comptabilise à ce jour, grâce à vous, 132 commentaires pour 10509 visites. Les toutes dernières, hormis celles habituelles de Guadeloupe et de France, proviennent du Brésil, du Venezuela, d’Espagne, de Martinique, du Royaume Uni, d’Algérie, de Thaïlande… L’intérêt que vous portez aux sujets traités m’encourage à poursuivre la route avec vous et pour vous, le plus longtemps possible, en espérant ne pas vous décevoir. Bonne année donc de lecture, et de commentaires si vous le souhaitez ; un grand merci à Alain pour cette remarquable chronique et mon très amical salut à Fernand Bélénus pour avoir accepté le principe de ce reportage et autorisé sa diffusion.
Raymond Joyeux
UNE OASIS SUR UN CAILLOU ARIDE
Dans le domaine des recettes écologiques de bonne fame (orthographe exacte de l’expression originale : du latin fama, qui donne fameux en français, famous en anglais, et qui signifie «de bonne réputation ou de bonne notoriété»), voici un témoignage agroécologique rapporté, contre toute attente, de l’île la moins agricole entre toutes de l’archipel de la Guadeloupe : j’ai nommé la belle Terre-de-Haut des Saintes, réputée pour être le repaire des meilleurs pêcheurs de la Caraïbe et pour ses clichés d’Éden touristique, mais peu connue pour ses quelques jardiniers qui ont le grand mérite de cultiver des fruits et légumes sous un climat de sécheresse plus propice aux cactus qu’aux salades !
Rencontre, imprévue donc, avec Tonton Fernand, hôte d’accueil avec son épouse, proposant de ravissants bungalows pour voyageurs curieux, dans un cadre de verdure atypique sur cet îlot aride. Fernand s’est investi dans l’aménagement et la culture d’un jardin créole biologique (fruitiers, potager et basse-cour) sur son petit domaine en bord de mer, entre le cimetière et l’aérodrome local. Ce dernier, construit par l’armée dans les années 1966-67, avait privé l’île d’un biotope unique, celui d’un étang d’eau douce-saumâtre où le bétail pouvait s’abreuver, biotope disparu qui était aussi le refuge d’oiseaux de mer sédentaires et migrateurs. Les oiseaux de fer avaient eu raison de ceux à plumes… Mais les plumes, nous le verrons plus loin, n’avaient pas dit leur dernier mot !
Premier problème à régler sur ce « caillou aride » : L’EAU. A savoir qu’il n’y a pas de source ni de puits sur l’île. Celle-ci n’est reliée que récemment (1994) à un réseau de conduites sous-marines depuis la Guadeloupe – elle est par conséquent très chère au robinet public. (Relire l’historique de Raymond sur le sujet). L’eau utilisée par Fernand provient de ses citernes domestiques de récupération pluviale (30m³ de réserve, idéal pour tenir le « carême », saison sèche aux Antilles).
Deuxième ressource primordiale : La TERRE. Le sol hérité n’étant constitué principalement que de sable blond marin, silice quasiment pure et sel peu fertiles, un amendement de sables volcaniques noirs importés de Guadeloupe (du Continent comme disent les Saintois !) a été le choix de sol adopté, amendement enrichi ensuite par du compost. Possesseur du seul broyeur de végétaux de l’île, Fernand élabore ainsi son compost à partir de biomasse récupérée dans son jardin (fibre de coco, déchets de cultures…) ou sur la plage atlantique de Grande Anse qui borde son petit domaine (algues).
Pour les semences, en plus des spécialités locales, il ramène des variétés de ses voyages réguliers en Europe et en France qu’il acclimate : tomates, salades, haricots… et des artichauts dont il est fier ! Sa dernière création au jardin : une ombrière avec un système d’arrosage par brumisa-teur pour les salades.
Hormis toutes les bonnes raisons qui précèdent et la cordialité de l’accueil, l’intérêt de cette rencontre pour notre sujet est l’utilisation par Fernand de fertilisants originaux ainsi que de répulsifs à base de plantes locales, plantes spécifiques à ce micro-climat .
Les Saintois, population insulaire longtemps isolée (où tout vient de la mer et par la mer), manquant d’eau, ont toujours cultivé l’art de l’économie de ressources et de moyens, art du système D, de la récupération et du recyclage. Il est ainsi naturel que les habitants encore en lien avec la mémoire collective du manque et de l’isolement, gardent une attitude et des gestes d’économie et optimisent au maximum ce qu’ils ont sous la main, car ici tout coûte en effort et en argent pour faire venir par bateau l’indispensable, le nécessaire et le superflu… Cet état d’esprit avisé perdure encore parmi les Saintois(es) même si les temps récents d’abondance et de gaspillage font quelque peu oublier à certains ces sages habitudes.
Parmi ces recyclages créatifs et fertiles, voici celui à partir du plumage de nos chers volatiles de basse-cour ! Fernand utilise donc les plumes et le duvet de ses volailles (sacrifiées à la gastronomie) qu’il laisse macérer dans l’eau de pluie jusqu’à désagrégation dans un bac hermétique stocké à l’ombre pendant trois semaines… La préparation est filtrée, diluée et ajoutée à l’eau d’arrosage. Fernand a testé une demi parcelle avec cette macération et l’autre sans ; les résultats sont parlants : les cultures en place sur le sol arrosé avec cette préparation furent incomparablement plus vigoureuses et nettement plus productives !
Autre préparation fertilisante : son purin d’orties. Non pas de l’ortie du type labiée que nous connaissons en Europe dont il existe une variante tropicale que l’on peut trouver en Guadeloupe, mais de cette ortie dite « zoti » qui est une liane très urticante qu’il ramasse dans les mornes, collines de forêts sèches. Parenthèse utile pour dire que ces forêts arbustives sont d’ailleurs menacées par l’érosion galopante induite par une surpopulation de cabris affamés (cheptel privatif errant) dont la salive corrosive ne laisse aucune chance aux arbustes mutilés et aux jeunes pousses. Cette menace écologique de désertification de l’île n’est pas connue des visiteurs amateurs de plages et d’eaux turquoises et est absente des préoccupations des élus locaux (jusque à preuve du contraire – nous tendons encore une perche ). Cette commune insulaire touristique joue pourtant la carte de l’écologie dans les documents promotionnels diffusés ; un vœu en partie cependant exaucé si l’on considère par exemple que la décharge municipale située longtemps à l’emplacement d’une réserve de biotope a été supprimée, par une directive européenne, en janvier 2011.
Une des plantes utilisée comme répulsif des pucerons et autres insectes indésirables, est l’aloès. Cette plante médicinale aux multiples vertus reconnues depuis l’Antiquité est abondante sur ces îlots rocailleux ; plante de bonne fame s’il en est ! L’amertume caractéristique de l’aloès a donné l’idée à Fernand d’en préparer une macération qu’il pulvérise en traitement foliaire… L’aloès, est notoirement utilisé aux Antilles et réputé pour son efficacité remarquable : multiples usages, en interne (traitement auxiliaire des ulcères, hémorroïdes…) et en externe ( cicatrisant, régénération de la peau – brûlures, coups de soleil…). Il est de plus connu des femmes allaitantes en badigeon sur les seins pour sevrer les bébés). L’enfançon voudra alors trouver meilleur ailleurs… La comparaison est peut-être indélicate mais pertinente : les insectes suceurs délaissent pareillement la sève des plantes ainsi enrobées !
Pour lutter contre les maladies cryptogamiques, Fernand a remarqué deux plantes (le mangle bord de mer, en créole « mang’ » et le « zavé », arbustes du littoral ) qui, à l’état naturel sont toujours vigoureuses et jamais malades malgré de rudes conditions extérieures (sécheresse, vents salins…). Cette observation lui suffit pour élaborer à partir des feuilles de ces arbustes des macérations qu’il pulvérise à titre préventif et curatif. Les recettes communiquées seront utiles à peu de personnes (hormis, peut-être, celle à base de plumes ) mais l’exemple vaut ici pour illustrer cette capacité d’adaptation à des conditions très localisées, ce qui révèle à la perfection ce que l’on entend par « agroécologie » : c’est-à- dire une authentique intelligence verte, basée sur l’observation, la récupération ou la transformation des déchets organiques, ou considérés comme tels, ainsi que sur l’utilisation créative des ressources minérales, végétales et animales alentour des lieux de cultures.
D’aucuns diront qu’une telle agroécologie n’est possible qu’à l’échelle de jardiniers amateurs sur de petites surfaces sans enjeu économique et non soumise à des contraintes de production. Certes ! Mais les expériences à plus grande échelle ( que nous avons présentées lors de ces journées d’échange en Guadeloupe) existent néanmoins et montrent la pertinence de ces pratiques et leurs possibilités de haut rendement à long terme. Le jardinier n’est pas l’agriculteur, mais un défricheur d’idées et de pratiques, un expérimentateur qui ouvre des chemins possibles pour les professionnels présents et à venir. Alors, à nos jardins, citoyens !
«L’agroécologie : un enjeu global, des actions locales ! » Le local commence par le tout petit, le lopin privé, le jardin créole familial et convivial… Les rencontres que nous avons proposées en Guadeloupe, « Radio-bois-patate » la bien nommée (le bouche à oreille antillais) et, je l’espère, ce bref reportage, ont fait et feront leur travail de diffusion nécessaire. Je le souhaite en tout cas.
Alain Joyeux
Pour en savoir plus sur Alain JOYEUX, l’auteur de ce reportage :
Bien que né à Lyon et habitant sa banlieue, Alain aspire depuis toujours à s’installer en Guadeloupe et singulièrement aux Saintes. Peintre et photographe, ses tableaux et travaux photographiques sont visibles sur son site que je vous invite très amicalement à consulter à l’adresse suivante : http://alainjoyeux.blogspot.com
Très noble résolution de début d’année : » à nos jardins, citoyens! »;
Encore un remarquable article…
M-J GARAY
Merci Raymond! Je me suis endormi en rêvant a ton article… Nous sommes tout a fait en phase, c’est exactement le type de personnage que je souhaite mettre en avant ! Kokopelli j’aime beaucoup… Dom Guillet chapo! Pierre Rhabi est un ami, super- sonnage que j’ai filmé l’année dernière … Je me demandais si un livre de lui plairait a Tonton Fernand… Il doit les avoir… Je me demandais aussi quelles graines lui apporter??? Potimaron?? J’en fais de delicieux gratins… Sinon: on a booké les billets, arrivée samedi 25 chez Zella Cassin qui nous loue une chambre a 30€/ nuit… Tu la connait? Elle a l’air charmante! Merci de cet article… Au boulot! Luc
PS bien contant de voir le Royal Clipper, ce 5 mats a voiles carrées qui m’a amené aux Saintes la premiere fois… sur la fresque de Tonton Fernand!
quand vous avez le blues allez chez Fernand, le temps de faire le tour de son jardin et de l’écouter tout le spleen s’est envolé. Article magnifique une fois de plus, merci Raymond et Alain.
Après avoir lu l’article, une petite voix me dit: Joli pied de nez à la firme Mossanto
Bonjour Raymond, Nous serons samedi soir a terre de haut…. Impatient de quitter le gris Paris! On a une chambre chez zella rue du marigot! Veux tu que je t’amene quelque chose de particulièrement parisien? J’ai des semences kokopelli pour tonton Fernand! A bientot! Luc
Tonton à des idées plein la tête il a su diversifier ses cultures et connaît tous les remèdes pour soigner.