Terre de culture et de littérature, le Canada à l’honneur

Le Canada, où j’ai la chance et le plaisir d’entretenir quelques fidèles et merveilleuses amitiés, est à l’honneur cette année.  C’est en effet une de ses ressortissantes, Alice Munro, écrivaine de langue anglaise, originaire de l’Ontario, qui vient d’obtenir le prestigieux Prix Nobel de Littérature 2013. Mais c’est aussi Natalie Henripin dont la poésie m’a séduit que je voudrais mettre à l’honneur dans cette chronique. R. J.

Alice Munro Photo AFP - Peter Mulhy

Alice Munro
Photo AFP – Peter Mulhy

Alice Munro : une nouvelliste Prix Nobel de littérature 

Ayant commencé seulement à découvrir son œuvre, il est trop tôt pour moi de porter un jugement approfondi sur les thèmes et l’écriture de cette auteure qui m’était jusqu’ici inconnue. C’est donc à Christian Desmeules du journal Le Devoir de Montréal daté du 12 octobre 2013, que je me permets d’emprunter  pour vous cette courte mais percutante analyse.

 « Un regard enveloppant, une compassion qui semble sans bornes envers ses personnages. Une attention d’ornithologue surveillant un nid prêt à éclore. L’oreille tendue au moindre bouleversement, l’œil capable de déceler la plus fine fêlure. Bien avant le sacre du prix Nobel, la réputation de nouvelliste d’Alice Munro n’était plus à faire.

9782757830819Depuis La danse des ombres heureuses (Rivages poche, 1968) et Les lunes de Jupiter (Rivages poche, 1982), jusqu’à Fugitives (2008), l’écrivaine canadienne née à Wingham, Ontario, en 1931, trois fois lauréate du Prix littéraire du Gouverneur général, a multiplié les histoires ancrées dans une « canadianité » rurale et quasi universelle. Des histoires qu’elle orchestre avec un art de l’effacement et du détail qui lui a souvent valu d’être comparée à Tchekhov – ou à Raymond Carver. Comme le maître russe de la nouvelle et du demi-jour, Munro s’est fait une spécialité de documenter, sans jamais forcer le trait, les faillites les plus intimes avec une précision quasi chirurgicale…

 Mais la fuite, dans ces histoires de l’écrivaine ontarienne, n’est jamais une randonnée légère : on y traîne toujours un peu le cadavre de ses désillusions, de ses échecs anciens, de ses exils ratés. Le parcours est sans issue et la dérive des sentiments, inexorable. »
                                                                                                                      Christian Desmeules

Natalie Henripin, poétesse

Natalie Henripin, poétesse québécoise

Natalie Henripin : une poétesse québécoise de haut vol

 Née à Paris en 1953, Natalie Henripin habite Montréal et exerce comme travailleuse sociale dans un hôpital de cette ville. Après de brillantes études universitaires, elle fait ses débuts artistiques dans la danse qu’elle enseigne aux enfants. Elle publie un premier recueil de poèmes en 2009 aux éditions Écrits des Forges : Dans le lit du fleuve.  Un second recueil : De ce côté-ci du mystère, a vu le jour chez Carte Blanche à Montréal en juillet 2011.   « Pouvoir m’émerveiller, dit-elle, fonde mon regard sur le monde. Saisir l’insaisissable grâce à l’écriture est l’acte par lequel je côtoie le mystère partout présent… »

Dans le lit du fleuve : un hymne au Saint-Laurent

ILivre LitL’une des caractéristiques de la poésie de Natalie Henripin dans cet ouvrage, c’est l’unité de ton exprimée par son titre même. Celui-ci, Dans le lit du fleuve, est la synthèse parfaite et délibérée de la démarche de l’auteure. Ce lit du fleuve, en l’occurrence Le Saint-Laurent, qu’elle ne quitte que pour s’envoler en compagnie des oiseaux familiers qui le fréquentent et des nuages qui s’y reflètent, est d’ailleurs plus qu’un titre, c’est une invitation au lecteur à faire corps avec l’esprit des eaux et l’environnement granitique du cours d’eau, constitué par les rochers qui le démarquent et le jalonnent, telles des notes dansantes de musique sur une portée turbulente. Et le premier texte, Muraille scintillante, donne d’emblée la tonalité générale et particulière de l’œuvre : une métaphore cosmogonique, filée jusqu’à l’extrême, sans déviation ni éparpillement.

Inébranlables, elles avancent,
le conduisent en majesté
quand il revient balayer les cendres de nos pas
en couchant devant nous sa muraille scintillante…

Et cette muraille, bien qu’elle ne soit point minérale, puisqu’elle désigne dans ce poème précis l’avancée majestueuse du chemin qui marche, (c’est ainsi, précise l’auteure en note, que les Amérindiens désignaient le fleuve), auquel nous devons révérences et salutations, préfigure symboliquement la récurrence et la permanence sous-jacente de ces visages de pierre qui pointent leur fief à la crête de l’ombre avant d’être submergés par la montée des eaux, pour apparaître à nouveau quand s’amenuisent les fluides et se meut la lumière.

rochers rognés

« Autant de fois l’eau les ravit,
autant de fois brille leur beauté. »

Regard émerveillé, élévation mystique 

La précision et l’originalité des images de Natalie Henripin, le choix et l’agencement des mots, leur couleur, leur musicalité, leur objectivité transcendée, témoignent de la perspicacité du regard émerveillé qu’elle porte sur les éléments. Mais bien plus qu’un regard neutre proposé au lecteur, c’est à la perception de la signification métaphysique des épousailles mystérieuses du minéral et de l’aquatique, du ciel et de la terre, du végétal et de l’aérien, de l’ombre et de la lumière, du mouvant et de l’immobile, qu’elle nous convie :

Toi l’épousée,
reçois en tes eaux,
de l’envoûtement des astres,
l’irrésistible attrait.
Accorde-leur la pérennité d’une danse lointaine
au vertige giratoire
de leurs cœurs aimantés
de fournaise et d’étain…

À quoi servirait en effet de se contenter de décrire si précisément, de photographier, la réalité des éléments et leurs corrélations secrètes ou leurs interactions dévoilées, si aucune élévation du cœur et de l’âme ne nous était sinon imposée du moins suggérée à travers la spontanéité d’élans méditatifs, à la limite du mysticisme ?  L’expression poétique chez Natalie Henripin ne se contente pas de dire la réalité, visible ou cachée, elle la transfigure en nous projetant corps et âme au plus profond de son intimité. Car pour elle nous sommes aussi cette réalité. Nous en faisons partie et nous contribuons à la créer par le regard et par le verbe et ce faisant, nous nous modelons  nous-mêmes à son image et faisons corps avec elle.

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« Prête-moi ce jardin d’eau ensommeillée,
la pierre qui se tait en son milieu,
la marée dormante du grand corps replié… »

Avec la constance du jardinier,
éblouie par l’exubérance des mutations,
je lance encore une fois vers le bassin
la poudre scintillante d’un poème,
en réponse aux arrachements successifs
de ce qui vieillit et meurt sans retour.

Ainsi, du début à la fin du recueil, nous sommes, grâce au talent et à la subtilité expressive de l’auteure, en connivence permanente avec ces éléments, et leur évocation, légère et dense à la fois, leur unité de ton et d’essence, aux accents persiens, mais sans envolées oratoires excessives, est sans conteste le signe que nous sommes en présence d’un talent poétique indéniable que ne renieraient ni Gaston Bachelard ni Francis Ponge.

Une poésie solaire

"Jusqu'à l'extinction du soleil, détachées de la course des eaux enluminées en trames serrées pulsent les lucioles."

« Jusqu’à l’extinction du soleil,
détachées de la course des eaux enluminées
en trames serrées pulsent les lucioles. »

Perceptible unité de ton, de thème et de style, mais aussi, autre caractéristique fondamentale, aspiration sans équivoque à la lumière. La poésie de Natalie Henripin est paradoxa-lement, dans ce recueil, d’essence solaire. Le fleuve et son lit de labour, élément aquatique par excellence, bien que personnage central et lieu géométrique de l’expression poétique, sert non seulement de miroir à la clarté du ciel, mais en est le révélateur, pour ne pas dire le générateur essentiel.

Peu de poèmes en effet sans une allusion implicite ou explicite à la lumière : depuis le scintillement du premier tableau en passant par les substantifs aussi nombreux qu’évocateurs : éclats, flambée, phares, feu, lueur, lumière, soleil, astres, fournaise, étoile, incandescence, braises, étincelles, clarté… et les adjectifs ou verbes : éclairer, lumineuses, étoilés, radieux, ensoleillé, solaire, lactée, aveuglantes, briller, nacrés…

Peut-être qu'il ne guette rien

« Cet ange veille…
Peut-être qu’il ne guette rien. »

Éclaboussé de pépites solaires,
le héron fait un pas sur la braise.
Flamme sombre surgie des profondeurs,
cet ange veille.
Au bas de sa robe un remous.
Dominant le courant, 
peut-être qu’il ne guette rien.

La poésie certes ne se résume pas aux seuls vocables utilisés, mais leur présence sémantique récurrente signe une dominante qui définit l’intention consciente ou inconsciente de l’auteure, dominante que renforce ici, et amplifie par contraste, le très riche champ lexical de l’ombre et de l’obscur.

oiseau rognée

« En te regardant réunir tes forces pour l’envol,
j’ai rêvé prendre ta place, m’élever enfin… »

Eau et feu, ombre et lumière, hauteur du regard et fugacité du flux, légèreté du nuage et dureté statique du granit, vol de l’oiseau et enracinement de la pierre, tantôt découverte, tantôt submergée…  tels sont, entre autres, les constitutifs intrinsèques et symboliques de notre humanité. À ce titre, la poésie de Natalie Henripin n’est pas qu’un simple hommage aux éléments, c’est aussi et surtout un hymne implicite à cette humanité. Une humanité authentifiée et sublimée par l’éblouissant et exceptionnel talent d’une poétesse émerveillée.

Raymond Joyeux

Cette chronique revue, corrigée et illustrée pour la circonstance, a été initialement publiée sur un site ami en mars 2012.

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Un commentaire pour Terre de culture et de littérature, le Canada à l’honneur

  1. Marie-José dit :

    Merci de nous mettre sur la piste de nouvelle lecture… Marie-José.

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