La plage de Grand’Anse vue par deux auteurs
du début du XX è siècle
De nombreux lecteurs ayant apprécié la belle chronique de Félix Foy du 27 septembre dernier, intitulé Nostalgie, je leur propose aujourd’hui deux autres textes également sur les Saintes d’autrefois, ayant pour sujet la plage de Grand’Anse. Le premier est de Félix Bréta et date de 1920. Le second, écrit en 1933, est d’Albert Palmyre. Caractérisés tous deux par leur brièveté, leur simplicité et leur poésie, ils figurent dans le précieux livre de Félix Bréta, publié en 1939 aux éditions Larose à Paris. Ce petit livre, aujourd’hui introuvable Les Saintes – Dépendances de la Guadeloupe – mériterait d’être réédité et ferait sans aucun doute un beau succès de librairie, tant auprès des anciens, épris des beautés d’un passé qu’il ont peut-être connu, qu’auprès des plus jeunes, amateurs d’histoire et de belles lettres, désireux de mieux connaître leur cadre de vie et d’apprécier les atouts de leur environnement pour mieux les sauvegarder. Je lance un appel auprès des ayants droit de Félix Bréta pour qu’ils remettent à l’honneur ce recueil de « notes et d’observations générales » sur les Saintes d’avant la Seconde Guerre mondiale. En attendant, pour notre plaisir, voici ci-dessous ces deux beaux textes, illustrés de photographies d’aujourd’hui . R.J.
1er Texte : Paysage
Les vagues déferlent, hautes et puissantes. Elles se succèdent à intervalles réguliers et viennent baigner la large plaine de sable blanc qui constitue le rivage, et mourir au pied des dunes accumulées depuis Jalonne jusqu’à Rodrigue, par la constante brise venant de l’Océan.
De hauts mancenilliers, réalisant avant Brémontier l’arrêt des sables mouvants, les empêchent d’envahir les terres avoisinantes ainsi que le petit cimetière où le temps efface peu à peu les tombes élevées par la piété à la mémoire des morts.
Le fracas terrible des lames attaque aussi les mornes voisins qui laissent apparaître, au milieu des terres jaunes facilement désagrégées, le scintillement des cristaux de gypses que l’action volcanique y a autrefois formés.
Les eaux s’engouffrent sous les rochers et rejaillissent en gerbes qui semblent rejetées par quelque Cétacé puissant.
Dunes, plage, falaises, gouffre, souffleur, on a tout ensemble devant soi un paysage grandiose qui exalte l’imagination et la conduit en des réflexions infinies, cependant que le ciel resplendit sur la mer trop bleue.
Félix Bréta, Juillet 1920
2 ème texte : Grand’Anse
À mesure que l’on avance, la rumeur qui monte de la mer se fait plus distincte ; encore quelques pas et l’on est au littoral : c’est Grand’Anse, dont les Saintois sont si justement fiers.
Du sable blanc ! du sable fin ! On y enfonce jusqu’aux chevilles. Mais dans tout ce sable, il y a aussi toutes sortes d’autres choses : varech, squelette de crustacés, coquillages, épaves informes polies par les flots, et les fameuses « pierres à l’œil » auxquelles on attribue la légendaire propriété de « nettoyer » le globe de l’œil.
Tout le centre de Grand’Anse est une immense plage qui se développe sur un parcours d’un kilomètre. Un cordon de sable – des dunes – borde le littoral.
Les cheveux et les vêtements agités par le vent, on se tait. L’âme se recueille devant tant de grandeur et de beauté.
Grande et belle, cette mer bleue dont le ton varie selon les heures et l’aspect du ciel ! Superbes aussi, ces hautes vagues qui s’enroulent en boucles géantes et viennent se briser avec fracas contre les rochers, ou mourir doucement sur la plage en l’inondant d’écume.
On s’extasie, on rêve… Mais le soir s’annonce et il faut regagner le bourg.
Majestueuse dans sa sauvagerie même, cette baie, bordée au Nord et au Sud de falaises qui s’effritent sous les assauts répétés de l’Océan ! Beau soir empreint de si calme poésie ! Couchers de soleil féériques, saisissants, incomparables !
Les Saintes ! petit pays bien cher à tous les cœurs que vous captivez à jamais !
Combien, sous vos cieux, l’âme s’imprègne de douces sensations, de nobles pensées qui l’amèneront à s’élever toujours plus haut !…
Albert Palmyre, 1933
PS. Si vous ne le possédez pas, vous pouvez consulter sur Internet l’intégralité du livre de Félix Bréta en tapant le titre de l’ouvrage et le nom de l’auteur.
Pour clore cette chronique : ces deux poèmes inédits
à paraître dans un prochain recueil :
© Raymond Joyeux
Grand’Anse
(Gypses)
Naissance d’infini
grande voix maritime
de nos ancêtres ensablés
de quelle impasse es-tu la fille
toi l’amplitude faite femme
qui t’a promue sentier
toi route indivise
carrefour millénaire
de gypses et d’agates
laisse à l’obscur tabellion
l’envieuse avanie de son fiel
avaleuse de frontières
et de confins
stellaires
sois douce au naufragé
toi qui rassures le noyé dans les
spires amples du nautile.
Jalonne
(Sel gemme)
Mère jalouse du souffle de l’aînée
qui épie aux marées
l’ardeur des prétendants
l’œil à jamais rivé aux escapades
aux lunaisons
fileuse vieillie au renom de la senne
tu garderas ton sablier
au chevet des falaises de craie
mère envieuse du galbe de la
hanche
frileuse à la luciole
et rude aux fugues virginales
apprends la quiétude
aux pontes de la luth
à la clarté gibbeuse du phosphore
veille tes gemmes dénudées
l’orbite circulaire
de tes pierres de nacre
aux pupilles du cœlacanthe.