Hommage à Christian Cassin

Photo transmise par Cerdan Procida

C’est avec une immense tristesse et une très vive émotion que nous avons appris le décès de notre compatriote Christian Cassin survenu à l’âge de 82 ans au matin du dimanche 2 avril 2023 à son domicile de Terre-de-Haut. Ami d’enfance de Christian, je suis personnellement très touché par cette disparition et adresse à son épouse Christiane, à ses enfants, ses petits enfants et ses proches, mes plus sincères condoléances.
Élevé par sa mère célibataire, Madame Edwige Cassin, agricultrice à l’époque et institutrice d’école payée, Christian avait reçu une éducation à l’ancienne dans le respect des valeurs sociales et chrétiennes, et, comme moi, avait été longtemps enfant de chœur attaché à l’église de la paroisse sous le ministère du Père Jean-Marie Offrédo.
Pour lui rendre hommage, je me permets de reproduire ici un passage de mon ouvrage, Fragments d’une enfance saintoise publié en 2020 chez CaraîbÉditions que je lui avais dédié en ces termes : À Christian Cassin, mon camarade d’autel, des mornes d’En-Fond et des tourterelles.

L’école buissonnière et la leçon de morale

Mon amitié avec Christian ne consistait pas seulement à nous voir invariablement, chaque jour, pour servir la messe le matin et partir à la chasse aux oiseaux les fins d’après-midi. 

Paradoxalement, il ne venait chez moi, au bord de la mer, que pour emprisonner les tourterelles dans notre cage, les nourrir et exceptionnellement les faire rôtir et les manger après les avoir copieusement pimentées et assaisonnées. Je me rendais en revanche régulièrement chez sa mère, qui vivait seule avec lui et qui s’absentait souvent pour aller voir ses bêtes d’En-Fond, et ramener à la maison des paniers de pommes cannelles, de cajous juteux, de mangues et de goyaves parfumées récoltés sur ses terres.

 Mes parents et la mère de mon camarade, Mme Edwige, appréciaient notre amitié et savaient que, quand je partais le matin pour l’école, je ne manquais jamais de faire une halte chez Christian pour caresser son chien Tarot et continuer ma route avec lui, sac au dos, poches remplies de noix séchées ou de mabs, ces fragiles et éphémères billes marron, dites caca-chat’, que nous fabriquions avec de la terre glaise… 

Un soir que nous revenions des mornes et que nous n’avions pas eu le temps d’apprendre nos leçons ni de faire nos devoirs, nous décidâmes secrètement, Christian et moi, de ne pas nous rendre à l’école le lendemain. 

Paysage d’En-Fond – Photo Raymond Joyeux

Le matin venu, pour ne pas alerter ma mère, après être rentré de la messe et avoir ingurgité comme d’habitude ma mixture d’eau de café et de farine de manioc, chauffée au charbon de bois du potager de la cuisine, je pris mes affaires en même temps que le chemin de l’école et, sous les aboiements joyeux de Tarot, entrai directement chez Christian, comme si de rien n’était. 

Sa mère étant partie depuis longtemps vaquer à ses occupations de petite propriétaire terrienne, nous étions assurés d’être tranquilles toute la matinée, au moins jusqu’à onze heures, signal de la sortie des classes et du retour habituel de Mme Edwige.

C’était naïvement sans compter sur la sagacité bienveillante des voisines de la mère de mon camarade, et surtout de ma tante Irène, à qui je devais impérativement donner le bonjour en passant chaque matin à heure fixe devant chez elle. 

Toujours est-il qu’avant huit heures, à peine enfermés dans la maison, sans avoir eu le temps de réfléchir à la meilleure façon d’organiser notre matinée buissonnière, et alors que nous devions être alignés devant l’école à chanter joyeusement sous la férule de M. Dévarieux, notre instituteur, Tarot se mit à grogner et à japper, tirant furieusement sur sa chaîne, dans la petite cour fermée de mon camarade.

Le cœur battant, tapis dans l’obscurité pourtant rassurante de la maison, nous épiions à travers les persiennes pour savoir qui avait bien pu, si tôt et de façon si imprévue, pousser la porte-barrière et entrer dans la cour sans y être invité. 

Ce n’était ni plus ni moins que ma mère qui m’exhortait à sortir immédiatement de ma cachette et à me présenter devant elle. Armée d’une brassée de lignes de traîne, rêches de sel et grosses comme un petit doigt, elle m’attendait de pied ferme pour me corriger comme il le fallait.

Quelques personnes s’étaient déjà attroupées dans la rue, attendant l’exécution de la sentence, comme autrefois la foule assoiffée de sang et de haine au pied de la guillotine ou de la potence. 

Trahi et pris au piège, iguane terrorisé, pourchassé par des enfants en maraude, je n’avais que la solution de sortir de mon terrier et de courir au plus vite pour échapper à la colère de ma mère et aux lanières empesées de son martinet improvisé.

C’est ce que je fis, sous les aboiements compatissants de Tarot et les désapprobations de la petite foule à mon égard. Mes affaires d’école bien serrées sous le bras, je réussis à éviter le plus gros des coups et à courir jusqu’à la maison pour attendre stoïquement l’arrivée de ma mère, laquelle me poursuivait à distance de ses réprimandes, me menaçant de son redoutable fouet. 

Furieuse de mon attitude, elle refusa d’écouter mes explications et n’entendait nullement laisser passer l’occasion de me donner une fois pour toutes une bonne correction.  Et c’est le visage baigné de larmes, tentant d’esquiver la volée de lignes qui me cinglait les jambes, que je l’entendais s’emporter, me promettant pis que pendre, m’interdisant de revoir Christian :

     – Désormais tu resteras à la maison à faire tes devoirs au lieu d’aller driver et perdre ton temps dans les raziés. Les tourterelles, c’est fini, fini, bien fini !

Entre deux sanglots, incapable de prononcer la moindre parole cohérente, et prenant tout à coup conscience des conséquences de notre escapade lamentablement ratée, je réussis à formuler un vague pardon et à balbutier dans un hoquet : 

     – Non, maman… s’il te plaît… pas… pas les tourterelles… pas les tourterelles.

Puis, lorsque, contraint et forcé, les yeux rougis, les fesses endolories et les jambes zébrées comme deux maigres orphies sorties du gril, j’arrivai honteux à l’école avec une heure de retard, sans un mot, je rejoignis Christian derrière le tableau, tête basse, à genoux sur sa règle carrée. Mais avant d’occuper ma place de paria en compagnie de mon camarade d’infortune, j’avais eu le temps de lire à la dérobée la sentence de la leçon de morale du jour que M. Dévarieux, la mine renfrognée, n’avait pas encore effacée ou avait volontairement laissée au tableau à notre intention : 

   « Je dois mériter la confiance de mes parents et de mes maîtres et ne jamais faire l’école buissonnière. 

******

Adieu l’ami, et merci pour ta belle amitié.
Ce que nous avons vécu ensemble du temps de notre enfance à Terre-de-Haut restera toujours présent dans mes souvenirs.
À ta famille éprouvée je souhaite courage et sérénité et l’assure de mon entière sympathie.

Texte de Raymond Joyeux
extrait de
Fragments d’une enfance saintoise
CaraïbÉditions – Juillet 2020
Un grand merci à Cerdan Procida pour la photo de Christian.


 

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2 commentaires pour Hommage à Christian Cassin

  1. Lee RANCE dit :

    C’est un magnifique témoignage.
    Les souvenirs sont de merveilleux films éternels et l’amitié sincère la plus belle chose qui puisse exister sur terre.

  2. CORBIN Liliane dit :

    Triste nouvelle ! Et pourtant, Raymond, grâce à « Fragments d’une enfance saintoise », grâce à vous et aux tourterellse, vous donnez à votre ami Christian, une vie éternelle…

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