Sucreries saintoises an tan lontan : berlingots, boboyottes et compagnie…

En cette fin d’année 2021, alors que l’épidémie de Covid-19 reprend plus que jamais du service, nous condamnant à des restrictions de plus en plus contraignantes, je me permets de vous présenter, en guise de modeste consolation, et pour adoucir nos cœurs, une page extraite de mon ouvrage Fragments d’une enfance saintoise publié en juin 2020 chez CaraïbÉditions.

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Nous sommes en 1952, la population saintoise vient de subir deux épreuves consécutives : un puissant séisme au mois de mai et le cyclone Charly en septembre.
Quelques jours avant la rentrée scolaire, la mère de l’auteur a repris ses habitudes de pâtissière et prépare pour la famille des bocaux de confiseries locales, pour le plus grand bonheur des enfants.

Depuis que le séisme de mai avait brisé en deux par le milieu sa plaque de marbre, ma mère, découragée, avait cessé la fabrication de berlingots et autres sucreries dont elle avait le secret.

Or, à notre grande surprise, quand tout fut nettoyé après le cyclone et que la vie eut repris son cours normal, comme pour nous consoler de nos épreuves et nous remettre de nos émotions avant la rentrée des classes, elle reprit ses activités de confiseuse et s’activa à ses fourneaux. Loin d’avoir oublié sa recette de berlingots, nous eûmes l’impression qu’elle l’avait améliorée.

Le sucre fondu était versé bouillant sur les deux parties du marbre qu’elle avait pris soin d’ajuster minutieusement et de bien huiler avant l’opération. Pour prévenir tout débor-dement et éviter l’infiltration du sirop dans l’interstice, deux petites bordures rectangulaires de métal plat posées debout sur le marbre, de part et d’autre de la cassure, retenaient la préparation.

Le temps de laisser crever les bulles de l’épais sirop brûlant, régulièrement étalé sur son support, elle s’enduisait les mains d’un peu d’huile, les frottait l’une contre l’autre, récupérait délicatement la nappe de sucre liquide, encore chaude et luisante et, sur un clou de charpente fixé en biais au chambranle de la porte, commençait l’étirement.

Le va-et-vient autour du clou durait jusqu’à ce que le sucre devienne blanc et opaque et que le colorant, menthe, grenadine, anis ou citron, versé dans la pâte, s’incorpore parfaitement en minces filets verts, rouges ou jaunes au ruban, qui durcissait à mesure qu’il était pétri.

Lorsqu’elle estimait sa consistance idéale, ma mère étalait sur le marbre le cordon de sucre, vivant toron de souplesse et de tiédeur, qu’elle continuait d’étirer et roulait légèrement en vrille. Elle le découpait ensuite aux ciseaux en petits cylindres tors, lisérés de colorant et pincés aux deux bouts, semblables à des osselets de porcelaine chinoise, qu’elle séparait les uns des autres et qui finissaient de durcir en refroidissant.

Me levant tôt pour la messe, je n’assistais le plus souvent qu’au début des opérations. Mais sitôt prononcé l’Ite missa est, annonçant la fin de la célébration, je m’empressais de me dévêtir de ma livrée d’enfant de chœur et courais à la maison pour avoir le privilège d’être le premier à goûter ces berlingots encore tièdes dont les arômes de sucre, d’anis, de citron, ou de menthe emplissaient toute la cuisine. Totalement refroidis, ils étaient placés dans un bocal transparent en forme d’encrier Waterman que ma mère posait sur le dressoir de la salle à manger, comme pour attiser notre gourmandise.

À vrai dire, ce n’était que lorsqu’on les avait laissés reposer un jour ou deux que les berlingots devenaient fondants et onctueux et dégageaient toute leur saveur. Leur douceur anisée, mentholée, ou légèrement acidulée nous coulait délicieusement dans la gorge en un filet de plaisir impossible à décrire, mais alors il n’en restait du bocal que la moitié…

Doucelettes- bellemartinique.com

Avec les berlingots, ma mère nous préparait des sucres d’orge ambrés qui avaient la forme de pointes de flèche émoussées et qu’elle munissait d’une bûchette de palme de cocotier pour nous permettre de les sucer en fermant les yeux de bonheur, sans nous coller les doigts. Elle faisait aussi des doucelettes, des boboyottes, des surelles confites qu’elle enfilait également sur de fines baguettes et qui ne passaient jamais la journée.

Sucres à coco à tête rose douxcaprices.com

 Nous vécûmes la fin des vacances à nous gaver de confiseries, nous doutant confusément que c’était sa façon à elle de nous prodiguer pudiquement un surplus d’affection, de douceur et, pour tout dire, de cette générosité discrète qui lui était naturelle.

Surelles confites

JOYEUX NOËL À TOUTES et TOUS

Texte de Raymond Joyeux
Extrait de

Fragments d’une enfance saintoise
CaraïÉditions 2020
Chapitre 25 Page 149
En vente dans toutes les librairies
aux Antilles comme en Métropole.

Publié le 20 décembre 2021

 

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3 commentaires pour Sucreries saintoises an tan lontan : berlingots, boboyottes et compagnie…

  1. Habib dit :

    Quel régal. Merci.
    Habib

  2. christian dubois dit :

    je me souviens des berlingots de tante titine

    • raymondjoyeux dit :

      Merci Christian pour ton commentaire… Ah nos vacances an tan lontan aux Saintes… nos baignades, nos sorties en canot, nos parties pimentées au Pain de Sucre ou à l’ïlet Cabris, nos virées à Terre-de-Bas pour la Saint Nicolas et nos retours à la rame en pleine nuit sous le vent, les lames et la pluie. Tu dois en avoir aussi, j’imagine, des tonnes de ces souvenirs ineffaçables. J’espère que tu te portes bien et te redis toute mon affection.

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