À l’heure où une sévère épidémie de gastro-entérite affecte l’ensemble de l’hexagone et que ni la Guadeloupe ni les Saintes n’en sont épargnées, il est intéressant de relire la chronique du Docteur Yves Espiand, en poste à Terre-de-Haut entre 1964 et 67, sur une maladie du nourrisson sévissant alors épisodiquement dans notre archipel
et qui s’en approche par ses symptômes : la Toxicose.
Cet article, publié en février 1965, soit il y a 55 ans, dans le journal L’ÉTRAVE, (1) en plus de décrire les dramatiques conséquences et les conditions d’apparition de cette maladie, fait état de la situation sanitaire des Saintes et de Terre-de-Haut en particulier il y a un demi siècle. Heureusement, ce temps est bel et bien révolu. Mais ce document a l’avantage de nous renseigner par comparaison sur l’évolution positive de nos mœurs saintoises en matière d’hygiène individuelle et collective. À ce seul titre, il méritait d’être publié ici. Permettant au passage au lecteur d’apprécier le style hyperbolique et imagé de notre ami, le docteur Yves Espiand, en dépit du sérieux et de la gravité du sujet traité.
1 – L’ÉTRAVE : Premier mensuel saintois de 8 doubles-pages, créé par Georges Vincent, Yves Espiand et Raymond Joyeux en 1965. Cinq numéros ont vu le jour entre février et mai de cette année-là. Imprimé à Pointe-à-Pitre par Louis Martin.
Un mal qui répand la terreur : la Toxicose
» Qu’elle réponde au vocable populaire de cholérine, à celui plus médical de toxicose ou qu’on l’appelle tout simplement « diarrhée-vomissement », elle arrive presqu’à dates fixes, environ deux fois par an, en étendant ses grandes ailes de rapace affamé, fondant, l’œil lubrique et inquiétant sur les fragiles enfants en bas-âge. C’est alors un cortège de larmes et de souffrances, de visages éplorés au rictus sardonique de toute une famille penchés avec angoisse sur un berceau où lutte contre la mort un nourrisson au teint blafard, aux yeux cerclés d’un cerne violacé, aux membres flasques, inertes, brusquement secoué par les spasmes fulgurants des vomissements incoercibles, à l’abdomen dilaté, parcouru par les vagues douloureuses des coliques intestinales.
Des symptômes très inquiétants
Pourtant, deux ou trois heures plus tôt, il était tout plein d’entrain, souriant à la vie, heureux, grignotant sa petite tartine avec le calme et la sérénité d’esprit d’un être sans soucis. Et subitement c’est la catastrophe : en peu de temps il est vidé de toute substance, selles et vomissements se succèdent à une cadence effrénée, provoquant cet aspect de moribond qui affole si justement la famille.
Cet effrayant tableau des signes extérieurs de la maladie objective à lui seul l’importance des problèmes tant curatifs que prophylactiques de ce fléau qui, heureusement, tend à perdre de son agressivité. Quels en sont les causes et les éléments favorisants, et pourquoi est-il presque saisonnier et épidémique ? Plusieurs facteurs peuvent être incriminés.
Le rôle nocif de l’eau contaminée et des « cabanes ».
D’abord l’eau. À l’appui de cette thèse, il faut citer la nette diminution de la maladie parallèlement à l’augmentation de la construction de citernes familiales. Naguère et dans de trop nombreuses maisons encore, l’eau était recueillie dans des fûts dont le premier usage avait été le transport de vin, d’huile voire d’essence. Ces grands récipients ouverts à tous les vents, tapissés intérieurement d’une boue verdâtre, gluante, filamenteuse, sont un riche réservoir de microbes trop heureux de croître et se multiplier dans cette ambiance fétide, visqueuse et tiède. On imagine aisément les ravages que peut provoquer cette eau polluée, insuffisamment bouillie.
Mais d’où viennent ces micro-organismes qui souillent l’eau ? Ils sont tout simplement véhiculés parmi les déchets qui entrent dans la formation de la poussière, cette dernière étant très abondante pendant la saison sèche. Il est aisé de conclure que l’atmosphère est particulièrement agressive en cette période, surtout quand on sait que la toxicose est une maladie infectieuse à microbes. Il faut noter ici le rôle nocif des « cabanes » (2), douillets nids à microbes, trop hâtivement et insuffisamment exposées aux rayons purificateurs du soleil.
(2) Cabanes : Aux Antilles, amas de vieux tissus disposés souvent à même le sol et servant de matelas pour les enfants dans les familles nombreuses.
Le péril fécal, vecteur de l’affection
Le troisième facteur favorisant, corollaire des deux premiers, est le manque d’hygiène. C’est lui qui conditionne la propagation de l’affection. Certains Saintois conçoivent difficilement que le fait de laisser « traîner » un enfant sur une natte de propreté douteuse, posée à même le sol, ou dans une vieille caisse en bois, l’expose à une contamination certaine. Une réaction énergique visant à faire disparaître cet état d’esprit s’impose, en même temps qu’une campagne vigoureuse contre le « péril fécal », contre toute forme d’exonération sur les plages ou dans les recoins, discrets peut-être, mais dans le voisinage immédiat d’une habitation (voir le défilé matinal des candidats à la garde-robe sous l’appontement), les selles étant le vecteur de la propagation microbienne. Et même si on pense que l’eau de mer purifie tout, elle rejette aussitôt sur le rivage le contenu des seaux et autres ustensiles qu’on a la paresse de déverser trop près du littoral : elle n’a pas le temps suffisant pour entreprendre son action antiseptique.
Nécessité d’une prophylaxie rigoureuse
L’analyse rapide des facteurs favorisant la transmission de la toxicose permet d’établir une prophylaxie rigoureuse, une prévention assez sérieuse qui reste encore, grâce aux énormes progrès thérapeutiques, et le large éventail des médicaments à la disposition du praticien, le moyen le plus efficace pour lutter contre ce terrible mal qui nécessite parfois une perfusion intra-veineuse d’urgence en milieu hospitalier. Posant par là-même, chez nous, le délicat problème de l’évacuation sanitaire. »
Docteur Yves ESPIAND,
praticien aux Saintes entre 1964 et 1967, cofondateur et collaborateur du journal L’ÉTRAVE.
Publié par Raymond Joyeux
le 11 janvier 2020
Merci Raymond de me replonger dans une ambiance qui me rappelle tant de souvenirs : tous mes voeux et mon amitié
Bonsoir Yves,
Merci pour tes vœux et reçois les miens pour une année pleine de santé, l’esprit toujours en alerte. Je suis toujours fasciné à la (re) lecture de tes articles sur L’ÉTRAVE. Comme il est dit dans l’introduction, tu as l’art de mêler gravité du sujet et légèreté du style. Je suis persuadé que la publication de cet article intéressera beaucoup de Saintois, et pas seulement ceux qui t’ont connu et qui gardent de toi un souvenir impérissable. Peut-être le sais-tu déjà, je t’apprends une triste nouvelle, le décès d’Yvonne Azincourt la semaine dernière après celui de son mari Richard Bélénus, disparu en fin d’année 2019.
Bien à toi avec toute mon amitié.
Il y a également en ce moment à Terre de Haut plusieurs cas de dengue avec fièvre.
Bonjour Raimond,
Joyeux anniversaire, profite bien de ce jour en famille, les pieds dans l’eau. Que le bonheur soit avec toi .
Egalement meilleurs vœux pour cette année 2020 et surtout la santé.
Merci pour tes articles, tes paroles intègres, ce que tu fais…..
Plein de courage et bonne continuation.
Jean-Pierre BRIDE
Hello Jean-Pierre, heureuse surprise de te lire ce matin ! Merci pour tes vœux si sympathiques.
De même pour toi et ta famille, je souhaite une année 2020 pleine de bonheur avec la réalisation de tes projets car à ton âge, plus qu’au mien, tu dois en avoir plein la tête ! Même s’il m’en reste encore quelques-uns à mener à terme.
Merci encore de tes vœux, bon dimanche avec toute mon amitié.
Raymond