Un mouillage historique aux Saintes en février-mars 1900 (première partie)

Au cours d’une campagne qu’il effectua entre octobre 1899 et juillet 1900, sur le navire-école d’application l’Iphigénie, précurseur de la moderne Jeanne d’Arc, l’aspirant Charles MILLOT âgé de 19 ans, a consigné au jour le jour les événements survenus en mer et au cours des différentes étapes de son voyage à travers l’Atlantique. En escale aux Saintes du 16 au 28 février 1900, puis du 8 au 14 mars de cette même année, il a illustré ses observations de photographies, d’aquarelles, de dessins et de croquis, nous transmettant ainsi un précieux patrimoine journalistique et iconographique qui enrichit l’histoire maritime de notre archipel de documents inestimables. Vu la longueur de la relation de ces deux mouillages en rade des Saintes, celle-ci fera l’objet de deux chroniques successives dont je vous livre aujourd’hui la première.

 Départ de Brest

9 octobre 1899
Ce matin, le largage des voiles et ce soir la manœuvre sont exécutés avec entrain qui semble de bon augure au commencement de la campagne…

L’Iphigénie en rade de Funchal (Madère) Octobre 1899

 

Mouillage aux Saintes

(Après une dizaine d’escales qui le mènent de Brest à Fort-de-France, en passant par Madère, Ténériffe, Dakar…, l’Iphigénie mouille en rade des Saintes.)

16 février 1900
Nous avons mouillé aujourd’hui aux Saintes. Cette rade est abritée de presque tous les côtés. C’est une des plus sûres des Antilles. Ses faibles dimensions expliquent qu’on y ait pas placé de point d’appui pour nos forces navales des Antilles. On n’y compte qu’un sinistre. C’est en 1865, année où un petit bâtiment de guerre français (Vautour) s’est jeté à la côte dans un cyclone.

Carte 1

17 février
Très beau temps, presque calme, quelques nuages.
10 h 00 : visite du curé et du maire des Saintes.
3 heures : 2° division à la baignade (chaloupe et canot n° 1).
La soirée d’hier a été consacrée à déverguer nos voiles. Toutes, voiles carrées, focs, goélettes etc., ont été débarquées ce matin à terre où on va procéder à leur nettoyage et leur réparation. Ce jeu de voiles n’est pas le même que celui que nous avions en quittant la France. L’Iphigénie possède en effet deux jeux de voiles, l’un plus solide que l’autre. Les premières nous ont servi et nous serviront dans les régions les plus élevées en latitude de notre campagne, à cause des nombreux grains ou coups de vent que l’on peut y rencontrer. Le second jeu est destiné aux régions tropicales où l’on n’a guère à craindre de mauvais temps…

Marins plage

18 février
Très beau temps, quelques gouttes de pluie dans la matinée.
5 h 50 : youyou aux vivres, 7 h 15 : idem,  8 h 10 : youyou va chercher le pain, 8 h 30 : youyou conduit un fourrier à terre. 0 heure (midi) : équipage aux sacs, jeux. 3 heures : 1° division à la baignade.

19 février
6 h 10 : départ en canot à vapeur des canots 1 et 2 pour l’hydrographie.
Nous avons commencé aujourd’hui les séances d’hydrographie. Nous avons à faire la carte de la baie depuis la pointe de la Baleine jusqu’à la presqu’île du Pain de Sucre, ainsi que l’îlet à cabris. Le 6° poste a établi un signal sur le fort de la Tête Rouge. Cette position est bien placée car de là on aperçoit toute la baie et l’on peut mesurer au théodolite un très grand nombre d’angles. J’ai remarqué que pour placer un signal au pied d’une falaise, il est bien préférable de faire simplement une tache blanche plutôt que de placer un signal pavillon par exemple. Les taches blanches se voient de très loin. Sur un fond clair ou sur une arête où ils se détachent bien, un mât et un pavillon sont très commodes.

Marins plage (2)

20 février
Très beau temps, mer plate.
1 h 30 à 2 h 30 : école de chauffe, exercice d’embarcation.
Dans l’exercice d’embarcation de cette après-midi, nous avions à faire en régate le tour de l’îlet à Cabris. En contournant cet îlet, deux méthodes étaient applicables :
1° : tourner le plus près possible, en ne faisant pas de chemin inutile, mais la brise était plus faible.

Croquis2° : tourner assez loin pour conserver toujours une bonne brise. Cette solution semblait la meilleure, car il est toujours défavorable d’avoir une côte à falaise au vent (à cause des calmes) et même sous le vent. Dans ce dernier cas en effet, le vent allant frapper contre la falaise est réfléchi et revient en sens contraire. Les voiles sont donc en ralingue…
La brise étant assez faible et les roches empêchant d’approcher trop près de l’îlet à Cabris, l’avantage semble avoir été hier aux embarcations qui ont cherché à tourner le plus vite possible.

21 février
5 h 45 : canot à vapeur mouille deux buts.
5 h 50 : la chaloupe conduit à terre la corvée du maître-torpilleur.
6 h 10 : commencé le tir au revolver ;  7 heures : tir au fusil ; 10 heures : fin de tir.
1 heure : départ pour les explosions des torpilles. 5 heures : fin des tirs ;  5 h 50 : retour des aspirants.

22 février 
Très beau temps, ciel couvert se dégage.
6 h 45 : un paquebot français venant de la Basse-Terre fait route au Sud.
7 h 30 : un trois-mâts barque fait route au Nord.
L’équipage aux ordres du maître de manœuvre pour raidir le gréement.
7 h 25 : le cotre postal passe à l’arrière et donne le courrier.

Canots à rames 1

23 février 
Très beau temps, quelques nuages, lavage du linge et des hamacs.
5 h 40 : fait les tentes. 7 heures : disponibles aux ordres du maître canonnier. Visite des chaînes.
11 h 45 : amené le linge, inspection du linge.

24 février
Très beau temps, quelques rafales, ciel clair.
10 heures : préparatifs du lancement d’un cotre ; 12 h 30 : lancement du cotre. (Il s’agissait de mettre à la mer une embarcation saintoise construite sur la plage. NDLR).
Nous avons pu voir depuis le bord le lancement d’un cotre. Cette opération s’effectue d’une façon très rudimentaire. Ce cotre avait été construit sur la plage, parallèlement à elle, et à environ une trentaine de mètres du bord de l’eau. Lorsqu’il s’est agi de le lancer, on a d’abord été forcé de creuser le sol vers la quille, car le bâtiment s’était enfoui dans le sable mou. Puis à l’aide de rouleaux et à bras, toute la population s’en mêlant et poussant de grands cris – le cotre a été porté parallèlement à lui-même jusque vers le bord. Là, au moyen d’une amarre venant de l’avant et frappée sur une ancre mouillée au large, on l’a fait pivoter sur l’arrière et on a achevé le lancement, non sans difficulté. Toute l’opération n’a pas duré moins de une heure et demie.

Croquis du lancement d’une barque saintoise (cotre)

25 février
11 h 00 : arrivée d’une goélette.
1 heure : joutes à la voile, jeux et sacs.
3 heures : baignade (2° division). Aspirants de bâbord à terre.

26 février 
Très beau temps. Quelques nuages. Rafales.
12 h 10 : compagnie de débarquement aux sacs, disponibles aux ordres du maître de manœuvre.
12 h 30 : youyou à la corvée du maître voilier.
16 h : envergué les voiles majeures et les goélettes.
20 h – 21 h : exercice de signaux.

27 février 
10 h 45 : on prend un requin. Longueur du requin : 3 m 25.
1 h 30 : joute à la voile. 3h 30 : le canot 2 va porter le requin à terre.
5 h : joute à l’aviron. 5 h 30 : fin des joutes ; hissé les embarcations, distribution des prix.
5 h 30 : souper.

requin

28 Février 
Les Saintes – Basse-Terre, très beau temps, ciel nuageux.
6 h 45 : disposition d’appareillage. 7 h 57 : poste d’appareillage.
8 h 05 : appareillage. 8 h 20 : établi la voilure.
9 h 15 : cargué partout, serré les voiles.
9 h 54 : poste de mouillage.
10 h 03 : mouillé tribord par 36 m de fond.
Nous avons mouillé aujourd’hui en rade de Basse-Terre, après une traversée des Saintes à Basse-Terre faite en 1 h 45. C’est la plus petite traversée que nous ayons faite de toute la campagne.
Le mouillage de Basse-Terre est, paraît-il, le plus mauvais mouillage que l’on puisse imaginer. Il n’y a pas l’ombre d’une rade. De plus, les fonds descendent très rapidement, ce qui assure une tenue très médiocre…

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Cette relation de campagne est extraite du journal de bord de l’aspirant Charles MILLOT embarqué sur la Frégate-école l’Iphigénie du 9 octobre 1899 au 21 juillet 1900.
Journal de bord reproduit dans un ouvrage rare, paru en 2001 aux Éditions Marcel-Didier Vrac, et que m’a très aimablement offert Igor Schlumberger, que je remercie vivement au nom de tous les Saintois.
Vu la longueur de cette relation de croisière, j’ai scindé en deux 
texte et illustrations afin de ne pas alourdir la transcription. La seconde partie fera l’objet de la prochaine chronique. Je rappelle que toutes les illustrations sont de l’auteur du journal de bord, l’aspirant Charles Millot, âgé alors de 19 ans.

Raymond Joyeux

 

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Un commentaire pour Un mouillage historique aux Saintes en février-mars 1900 (première partie)

  1. Christophe René JOYEUX dit :

    Très intéressant et un joli saut dans le passé !

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