Les Éditions Nestor de Gourbeyre viennent de publier à point nommé un nouvel ouvrage de Patrick Péron, instituteur à la retraite et, selon sa propre expression, « mondialement connu à Terre-de-Haut ». En plus de sa participation à diverses publications collectives entre 1990 et 99, cet auteur nous gratifie régulièrement à peu près à la même période, (l’approche de Noël et des cadeaux !), d’une publication littéraire que ses inconditionnels découvrent toujours avec la même jubilation.
Cette année, l’ouvrage proposé, paru en ce mois d’octobre 2018, met en scène, sur fond d’intrigues à rebondissements, certaines composantes habilement choisies de la vie locale que les lecteurs saintois identifieront sans peine tant elles sont en tout point conformes à la réalité. Une réalité pas toujours à l’honneur de nos compatriotes, il faut bien le dire, mais qui existe, qui se perpétue depuis des générations, et que Patrick Péron se plaît à stigmatiser avec parfois un zeste d’ironie, exposant néanmoins les faits sans porter de jugement moral : ni approbation complice donc, ni condamnation péremptoire ou démagogique ! À chacun en conséquence de les apprécier à l’aune de ses propres valeurs, disons pour être plus précis, de ses propres conception et pratique de la moralité tant individuelle que publique.
Mourir pour Arcadia
Cet ouvrage a pour titre : Mourir pour Arcadia. Titre qui peut paraître énigmatique mais dont on comprendra rapidement la signification dès les premières pages du roman. Car c’est bien d’un roman qu’il s’agit ici, même si la trame se greffe pour la presque totalité du livre sur des événements réels, des situations, des comportements, des lieux et personnages à peine transposés, et pour la plupart pas du tout imaginaires. Événements et personnages puisés le plus souvent dans le vivier social, passé et présent, de notre département la Guadeloupe et de notre petite île en particulier, Terre-de-Haut. Une île et sa population observées à la loupe, depuis près du demi-siècle que notre auteur s’est immergé dans le microcosme local, dont il fait désormais viscéralement partie, et dont à juste titre, que certains le veuillent ou non, il n’a plus à se revendiquer.
Une satire politico-financière réussie
qui tourne à l’intrigue policière
Un promoteur immobilier peu soucieux de morale
Après avoir rappelé, par la voix de son personnage principal, qu’au début des années 60 des actionnaires « avant-gardistes » avaient obtenu du département de la Guadeloupe un bail emphytéotique pour l’implantation sur l’Îlet à Cabris d’un ensemble hôtelier fait de « cubes de béton disgracieux », et qui, « bien qu‘équipé de A à Z n’accueillit jamais le premier client », l’auteur imagine que 60 ans plus tard, un promoteur immobilier du nom de Norman Régy, propriétaire d’un hôtel 5 étoiles, le Blue Lagoon à Saint-François, et d’une luxueuse villa à l’Anse Galet, aux Saintes, remet sur le tapis un projet identique autrement plus grandiose que le précédent.
À la tête de sa puissante société la NOREP, ce fringant septuagénaire à qui tout réussit, projette en effet de faire l’acquisition pure et simple de l’îlet afin d’ériger sur « ce caillou de 38 hectares » un « complexe touristique de haut standing et d’y attirer une clientèle friquée, américaine, russe ou chinoise peu importe, pourvu que nous lui donnions l’opportunité d’y dépenser son argent. » C’est en ces termes que Norman Régy présente à ses associés son projet qui s’appellera Arcadia, du nom d’une région du Péloponnèse dans la Grèce antique, synonyme en poésie, est-il précisé, de « pays idyllique ».
Un entourage trié sur le volet à la botte du président-promoteur
Bien entendu, pour mener à bien son fabuleux projet, Norman Régy ne s’entoure pas d’enfants de chœur. C’est une équipe déjà bien rodée dans la conduite de son entreprise immobilière qui va le seconder dans ce nouveau challenge. Un avocat, un banquier, un architecte, un communiquant lettré, un responsable de sécurité, un gestionnaire de casino probablement d’origine corse, un entrepreneur de BTP qui s’était déjà « pincé le nez et bouché les oreilles » lors de la réalisation du Blue Lagoon à Saint François et, plus étonnant, pour finir, comme une « cerise sur le tourment« , le Secrétaire Général de la Préfecture en personne dont on imagine l’influence déterminante en cas de difficultés administratives… On n’est jamais trop prudent !
Avec des hommes de main plus ou moins anonymes agissant dans l’ombre, tout ce beau monde est grassement rétribué en espèces comme en nature, selon l’importance des services rendus, et place sa fortune aux Bahamas ou aux Îles Caïmans, qui ne sont pas, loin de là, que des paradis exotiques… À voir Patrick Péron évoluer comme un poisson dans l’eau au milieu d’authentiques requins, certains esprits malicieux pourraient s’interroger sur ses véritables activités !… Je les rassure, qu’ils me croient, il n’y a pas plus honnête homme que notre auteur, adepte de la bicyclette, du Canard enchaîné et des accras pays aux pisquettes délicieusement relevés d’un filet de vinaigre à piment…
Une association écologique farouchement opposée au projet
En parfait instituteur cultivé qu’il a été, en plus d’être honnête, Patrick Péron connaît bien évidemment la structure du conte. Or, si son récit n’en est pas véritablement un (encore que..), il utilise à sa façon les ingrédients de ce genre littéraire qu’il a autrefois enseigné à ses élèves. Dans le rôle du méchant supposé nous trouvons la NOREP, son impitoyable président Norman Régy et ses acolytes, décidés à acquérir contre vents et marées un patrimoine public, l’Îlet à Cabris, afin d’en faire une propriété privée et de l’aménager à leur guise pour un objectif final avoué : se faire du pognon, pour parler comme un certain E. M., président, semble-t-il, de la République.
Dans le rôle de l’opposant, voici l’APIC (Association pour la Protection de l’Îlet à Cabris) dont le sigle n’est pas sans rappeler celui de l’ASPP (Association Saintoise de Protection du Patrimoine) dont P. Péron fut pendant longtemps le très actif président. À la tête de l’APIC, une énergique trentenaire saintoise, Tessa Morel, titulaire du baccalauréat, obtenu à une époque où « l’on ne distribuait pas [ce diplôme] comme des bonbons, » précise l’auteur. Conseillère municipale écolo, soutenue par le maire en place, Tessa Morel veut que cet îlet soit « accessible à tous et en permanence ; elle souhaite que les vestiges soient mis en valeur et que les plages soient régulièrement entretenues ; sur l’emplacement de l’ancien lazaret, elle imagine l’édification d’un espace muséal dédié à l’histoire remarquable du site où artisans et artistes disposeraient d’un atelier et d’une salle d’exposition permanente… Condamnant par ailleurs « tout projet immobilier fumeux destiné à enrichir les promoteurs qui utilisent la défiscalisation pour se remplir les poches au détriment des intérêts locaux et leurs méthodes pour se débarrasser des gêneurs… » On ne saurait être plus clair !
Un puzzle adroitement agencé
À partir de ces deux pôles antagonistes, – Norman Régy et son projet immobilier, Tessa Morel et son association écolo – , les pièces du puzzle se mettent en place, formant l’architecture complexe du roman jusqu’à son dénouement final. Lequel n’interviendra qu’après que, spécialement venu du Pays Basque, comme dans un précédent ouvrage du même Péron, le commissaire à la retraite Iñaki Cassin eut résolu une énigme policière qui semble directement liée à l’entourage et au projet de la NOREP.
Aidé de son collègue monté en grade, l’inénarrable gendarme local Marcel Chougnard, susceptible et ventripotent, outrageusement caricaturé par l’auteur, Iñaki Cassin va tenter en effet de mener à bien une enquête difficile impliquant deux morts suspectes et des pratiques peu recommandables de destruction de matériel de chantier, d’espionnage, d’écoutes illégales, de trafic de stupéfiants et de perversions sexuelles perpétrées sur des jeunes femmes préalablement droguées au GHB, la fameuse drogue du viol.
Le tout est de savoir si l’aboutissement de cette enquête conduira à la victoire de l’un ou de l’autre camp et si à la fin du roman les « bons » seront récompensés et les « méchants » punis, comme l’exige la finalité du conte, avec ou sans morale à la clé explicitement formulée. Notons au passage l’irrépressible admiration et l’extrême tendresse de Patrick Péron pour le langage, la tenue et les compétences de la maréchaussée ordinaire…
Un regard lucide sur la société saintoise
Comme il est dit plus haut, Patrick Péron, grand connaisseur des mœurs locales, profite de son livre pour stigmatiser certains de nos comportements individuels ou collectifs, en particuliers ceux liés :
– à l’oisiveté : « Aux Saintes, écrit-il, il est inconcevable de travailler bénévolement alors qu’une partie de la jeunesse est payée à ne rien faire. » P.15 – Ou encore, p.16 : » Jean traîne le plus souvent avec ses potes à l’ancien marché où, entre deux bières et un joint, il écoute à fond la caisse de la musique à la mode ou interpelle les filles qui se baladent. Il a le même œil pour ces demoiselles que le pélican pour les poissons imprudents. »
– à la politique : « Les Municipales de Terre-de-Haut : nous devons mettre un homme à nous à la tête de la municipalité, quelqu’un qui rendra nos terrains constructibles. » Ce qui importe ce n’est pas de permettre l’élection d’un individu X à un poste Y, c’est d’évaluer ce ce que cela va nous rapporter. Voilà le seul critère objectif : qu’avons-nous à y gagner ? » P.108 – « La campagne (électorale) est une vraie foire où les idées n’ont pas cours. Ici, madame, monsieur, on ne vote pas pour une idéologie politique ; un point c’est tout ». P. 123 – « Ici on vote contre le parent, l’ami ou le voisin pour de sombres histoires de familles, de vieilles rancœurs et de solides jalousies, des problèmes de mitoyenneté, des retours de pêche mouvementés. » P. 144 – « Aux municipales, le secret du vote est un secret de polichinelle. Ici on ne prend qu’un bulletin et on ne passe pas par l’isoloir. Mieux, on le brandit, afin que nul ne doute. Honte à celle ou celui – ignoble « bécune » – qui s’avise de se planquer derrière le rideau ! P.145… etc.
– à la culture : « À la télé, » la belle Angelina se dispute avec le beau Ricardo… » Cette telenovela sirupeuse et sans intérêt est suivie avec passion par une bonne partie de la population locale, hommes compris. » P.79 – « La culture peut-être mais pas trop, ni ici, ni maintenant. Le discours grandiloquent du maître lasse ; grossièretés et invectives fusent, accompagnées d’une volée d’œufs et de tomates sélectionnés pour leur état de fraîcheur. » P.128-129.
– à l’incivilité : En parlant du pillage des bâtiments de l’ancienne résidence hôtelière de l’blet à Cabris, Patrick Péron écrit : « Tandis que les femmes lavaient leur linge avec l’eau de la citerne du Fort Joséphine, les hommes démontaient méthodiquement tout ce qui pouvait être transporté et chargeaient les canots de matelas, de rideaux, de lavabos. Même les carreaux de céramique furent enlevés un à un ! Aujourd’hui, il ne reste plus rien sinon la carcasse des bungalows. » P. 11-12.
On pourrait multiplier les exemples de ce genre sur d’autres sujets (les joyeusetés de la circulation entre autres) éparpillés dans l’ouvrage que je vous laisse le soin de découvrir. Précisons néanmoins qu’à plusieurs reprises, à côté de ces points négatifs, Patrick Péron fait l’éloge de la gastronomie locale, (il a un penchant particulier pour les accras de pisquettes arrosés de vinaigre à piment, nous l’avons dit), et de l’inimitable ti-punch saintois réputé pour la précision de son dosage et son irréprochable saveur. Entre travers collectifs et qualités individuelles, l’équilibre est ainsi (presque) respecté… Merci Patrick…
Fond, style et mise en pages
L’objectif de cette chronique n’est pas, empressons-nous de le dire, de donner des leçons à qui que ce soit. Nous avons aimé ce livre, sinon nous n’en parlerions pas. Et, bien que l’auteur le qualifie lui-même, à tort selon nous, de pochade, promettant d’être plus sérieux la prochaine fois, nous l’avons trouvé fort intéressant, réaliste et instructif, abordant un réel problème qui ne manquera pas de se poser un jour ou l’autre aux Saintes, tant nos précieux « cailloux » suscitent de convoitises. D’ailleurs beaucoup de ce qui est développé dans le livre s’est déjà bel et bien produit, aux dépens d’une population inconsciente peut-être des enjeux et qui mine souvent elle-même, soit dit en passant, volontairement ou par inertie, ses propres intérêts. Sur ce point et sous des abords parfois légers, Patrick Péron lance véritablement un sérieux cri d’alarme.
Un aspect cependant de la mise en pages nous chiffonne quelque peu : la disposition inhabituelle des différents épisodes. En ce qui nous concerne, nous aurions préféré que les chapitres soient mieux marqués, distincts les uns des autres selon le schéma classique traditionnel, et non constitués de longs paragraphes qui se suivent, souvent sans lien entre eux, séparés simplement par le signe §. Cette présentation, trop dense à nos yeux, ne facilite pas la lecture et nuit au souffle intérieur, à la respiration du texte et.. du lecteur. Mais c’est peut-être un parti-pris pour accentuer cette impression d’étouffement qui se dégage de l’ensemble du roman.
Quant au style, en plus de ponctuer son récit de références littéraires et de citations d’auteurs – (le fameux Bon appétit Messieurs de Victor Hugo dans Ruy Blas et autres morales volontairement tronquées de La Fontaine) -, il est clair que Patrick Péron est un fervent amateur de romans policiers, et pas seulement de gare. En particulier, selon nous, de Léo Malet, le père de Nestor Burma, (le détective de choc qui met le mystère KO), et surtout de Frédéric Dard, le bien nommé, génial créateur de San Antonio et de Bérurier, aux trouvailles souvent lestes mais jamais vulgaires. À vous, perspicaces lecteurs, de découvrir dans Arcadia les nombreux indices : jeux de mots foireux à dessein, homophonies approximatives, allusions salaces, faciles pléonasmes, et autres calembours, de la langue colorée, truculente et inventive de ces deux facétieux auteurs !
Un dernier conseil : sauf lorsqu’ils sont expressément nommés comme Eugène Samson, Chloé Déher, Christian Mas et 2 ou 3 autres – ou écrits en verlan comme Quintar – ne vous fatiguez pas le ciboulot à vouloir à tout prix trouver une correspondance improbable entre les personnages du livre et les personnes réelles « mondialement connues » aux Saintes. Ainsi, le « flagorneur et nécessiteux », poète « du terroir » Érick Trappon, aux discours culturels soporifiques, écoulant dans la rue à 10 € ses « écrits vains », mal édité à compte d’auteur sur Internet, et vivant de l’aide publique, n’a rien à voir, par exemple, avec Patrick Péron, talentueux poète lui aussi à ses heures, et dument pensionné de la fonction publique… Tenez-vous le pour dit !
Bonne lecture à tous et franc succès à ce nouveau roman et à son auteur.
Je rappelle les références de l’ouvrage : Mourir pour Arcadia – Patrick Péron – Éditions Nestor – Octobre 2018 – Illustration de couverture Christian Mas, photographe – 20 € en librairie et chez l’auteur à Terre-de-Haut.
Raymond Joyeux
Bonjour Raymond, merci ces quelques paragraphes du livre de Péron. Je l’achèterai lors de mes prochaines vacances aux Saintes.
Par contre l’oisiveté mentionnée n’est pas spécifique aux saintois quand la politique est nationale elle touche toutes les personnes qui souhaitent profiter voire même des non français.
Sur une petite surface on peut y trouver toutes les attitudes positives ou négatives le tout c’est l’équilibre comme tu le dis si bien.
J’ai hâte de lire ce roman !!!
Bonjour Raymond, sur tes conseils prodigués sur ce blog, j’avais lu « Meurtres au bagne des Saintes », un excellent roman. Mon escapade annuelle à Terre de Haut commence la semaine prochaine….devine ce que je vais acheter au point presse du bourg ?
A bientôt.
Chers amis internautes, n’ayant aucune rétrocommission sur la vente des livres de M. Péron, et comme vous n’êtes pas les premiers à vouloir l’acheter suite à ma critique (très favorable), je crois que je vais changer mon fusil d’épaule, signaler cette publicité gratuite à l’auteur et exiger ma part des bénéfices !…. C’était pour rire, évidemment. Vous l’aviez deviné !
Bonjour à tous, il faudrait que « Meurtres au bagne des Saintes » soit dans la série « Meurtres au Paradis » que je trouve très plaisant à regarder avec une bonne dose d’humour créole.
Bonne lecture à Alain.
Le grand mérite de ce livre réside dans sa description féroce et sans complaisance des mœurs électorales et politiques de l’île (une dizaine de pages). Il permet de comprendre pourquoi il est à peu près impossible d’y introduire les moindres règles démocratiques de base, allant de soi ailleurs.
Le reste du livre (près de 200 pages) est un polar reprenant les ficelles du genre mais de façon peu crédible dans le cadre de TdH, et ennuyante. On les parcourt en diagonale le plus vite possible.