Des voiliers miniatures du samedi gloria
au néant d’aujourd’hui
De mémoire de Saintois, le Samedi Gloria c’étaient des dizaines de petits voiliers qui prenaient la mer à la résurrection des cloches, prélude aux festivités qui allaient suivre. Mais le Concile de Vatican II en 1963 ayant modifié la liturgie pascale, ce n’est plus le rituel de l’eau, la veille de Pâques, bénite alors par le prêtre en matinée sur le parvis de l’église dans le tintement des cloches, qui prévaut aujourd’hui, mais celui de la lumière, symbole pour les catholiques du Christ ressuscité. Cette nouvelle liturgie du Samedi Saint qui a lieu désormais le soir a effacé du même coup la tradition de toute une communauté de la mer, habituée depuis des lustres à se jeter à l’eau au signal de la cloche pour une grande purification annuelle aussi bien des corps et des esprits, que des maisons que l’on prenait soin de nettoyer de fond en comble ce jour-là. Par la suite, au fil des années, aux Saintes, ce furent de vrais voiliers qui prirent la relève des miniatures lors de régates grandeur nature organisées à Pâques par une association locale, la bien nommée : À Dieu Vat, créée le 24 février 1991… Occasion pour toute une population d’hommes, de femmes et d’enfants, vibrant aux exploits des équipages, heureux de se retrouver unis pour faire la fête durant trois jours, oubliant, en même temps que les privations du carême, les querelles et les dissensions qui avaient pu les opposer…
Inertie collective
Malheureusement et contre toute attente, tout ce qui est bon pour le moral collectif semble petit à petit disparaître à Terre-de-Haut. Tout ce qui suscitait autrefois la liesse populaire et permettait aux Saintois, de fête en manifestation, d’exprimer leur joie de vivre et leur cohésion, de mettre en avant leur savoir faire traditionnel, culturel et sportif, a fait long feu. Indispensable à toute communauté, l’esprit de convivialité et de réjouissance, comme par un maléfice indéfinissable, est aujourd’hui largement supplanté chez nous par une inertie collective digne des sociétés décadentes où l’enthousiasme et l’optimisme auraient pris malencontreusement la poudre d’escampette. S’il subsiste encore par-ci par-là quelques maigres et sporadiques animations collectives comme à l’occasion du 15 août ou du carnaval, c’est surtout à titre individuel que les Saintois, n’ayant pas heureusement perdu le sens de la fête, s’amusent aujourd’hui, sur les plages ou ailleurs, en familles ou en petits groupes isolés… à condition qu’un autoritarisme malveillant, discriminatoire et mortifère, leur en laisse le loisir !

Défilé carnavalesque février 2017 organisé par l’OMCS – Ph. R. Joyeux
Adieu natation, club de jazz, football et fête de la pêche
Sur le plan sportif, après la disparition, faute de structure et d’animateurs, d’une équipe de natation considérée comme l’une des meilleures de Guadeloupe, et qui, en plus d’avoir été notre fierté légitime attirait aux bords des piscines de la grande île la foule des afficionados inconditionnels, ce fut au tour du football de tomber à l’eau, si j’ose cette expression par ces temps de sécheresse et de vaches maigres d’un carême qui n’en finit pas ! Alors qu’était déjà intervenue la dissolution d’une association musicale qui, après un envol magistral, tomba sous les coups de boutoir d’un ayatollhisme aveugle et destructeur.

Équipe AJSS 2014-215 de foot – Aujourd’hui dissoute – Photo site de l’AJSS
Enfin nous avons perdu coup sur coup les fêtes de la pêche et du lambi, par tarissement de subvention communale et régionale – allez savoir pourquoi alors que tant d’argent public se dilapide, paraît-il, par ailleurs – puis, bouquet mortuaire final, les manifestations du club À Dieu Vat, dernière association en date qui pendant plus de 25 ans fit les beaux jours des réjouissances pascales et d’un comité organisateur bénévole de régates, sans soutien financier autre que celui de ses sponsors… En effet, en plus des compétitions officielles, comme le championnat de Guadeloupe de voile traditionnelle, ou celles, parmi d’autres, de la Toussaint, de la Pentecôte, de l’Ascension, du 15 août… c’était chaque année à Pâques qu’était organisée sur 3 jours une série de régates, occasion d’une ferveur populaire qui dépassait le cadre de notre petit archipel puisqu’à plusieurs reprises, les canots de Saint-Barth et les yoles martiniquaises ont été associés au spectacle et aux compétitions.

Yoles martiniquaises en position de départ à TDH – Pâques 1992 – Ph. R. Joyeux
Associations et clubs à l’abandon
L’un des rôles bien compris, nous semble-t-il, des responsables d’une communauté, plutôt que de s’attacher à détruire, n’est-il pas justement de permettre et de favoriser le bien-être physique et moral des membres de cette communauté ? Au lieu de s’opposer aux bonnes volontés et de finir par réduire à néant toute initiative festive dont bénéficierait la population, une collectivité digne de ce nom, ne devrait-elle pas au contraire les soutenir et les encourager à mesure de ses possibilités ? Soutenir et encourager en mettant à disposition des associations et des clubs, qui ont le mérite d’exister, un budget et des équipements, comme cela se fait naturellement partout ailleurs, sans apriori négatif, sans aller chercher des poux dans la tête de leurs présidents ou de leurs membres, sous prétexte qu’ils auraient voté de travers ? Ce n’est pas « faire de la politique », comme on l’entend négativement ici, que de le reconnaître et de le dire. C’est faire œuvre de lucidité et de prise de conscience, pour que dans les années à venir, les mêmes errements ne se reproduisent pas. Si tant est que des jeunes, animés d’un esprit d’ouverture et de responsabilité, en s’engageant sans se ménager pour le bien de tous, prennent la relève des leurs aînés. C’est le vœu que forme toute une population en cette veille de Pâques 2017, que je vous souhaite néanmoins joyeuses à toutes et à tous, avec un chaleureux merci au 12 928 visiteurs qui ont parcouru ce blog depuis le 1er janvier de cette année !
Raymond Joyeux
Bonjour Raymond,
C’est toujours un grand plaisir pour moi de lire ton blog. Merci pour ce travail de recherche et de mémoire que tu fais.
Merci Dolly, je te souhaite de joyeuses Pâques.
Que de regrets s’exhalent de ces lignes … ! Comme je comprends votre tristesse Raymond … !
Je vous souhaite de joyeuses Pâques afin d’atténuer ce blues qui vous gagne lorsque vous constatez la disparition de tant d’intéressantes manifestations.
et oui Raymond la spécificité Saintoise se « dissout » dans l’ambiance de personalisme ( le mot est faible ) général et que je vois de la fête de la pêche au Pain de sucre va dans le sens d’un amalgame festif sponsorisé où toute idée de participation locale ets incluse dans un magma uniforme et impersonnel – Amitié Yves
Raymond,
Merci encore une fois pour nous éclairer, grâce à la mémoire, sur les traditions ainsi que sur le sens de leur évolution appliquée au contexte de notre archipel.
Merci aussi d’insister sur les « valeurs humaines ajoutées » qui se révélaient à travers ces manifestations, qu’elles furent religieuses ou profanes, sportives, culturelles ou simplement festives.
Car finalement quoi de plus important que les valeurs que tu sites ? : Esprit d’équipe et solidarité du « coup de main », enthousiasme pour l’excellence, fierté de son identité individuelle et collective, sens du partage, convivialité festive, respect des aînés et confiance envers la jeunesse, sens de la famille, de la convivialité et de l’hospitalité, goût du soin, de la qualité et de la beauté pour notre cadre de vie , esprit d’entreprise et débrouillardise, sobriété économique et sens du recyclage ainsi que celui de la valeur des choses, douceur de vivre…
Autant de qualités dans lesquelles peuvent encore se reconnaître ( je l’espère encore) quelques saintois dont tu fais assurément parti , ou pour le moins, dont beaucoup de saintois peuvent avoir le souvenir (cela j’en suis certain) et souhaiter, sinon un retour à l’identique illusoire, mais au moins une résurrection dans la nouveauté .
Nombre de visiteurs de notre île peuvent aussi témoigner : c’est pour toutes ces valeurs humaines qu’ils aimaient venir aux saintes et surtout y revenir. Ces authentiques visiteurs, devenus plus rares ou revenant par seule nostalgie, ont été remplacés par les touristes zombis consommateurs pressés sur leurs engins envahisseurs. Air du temps ?
Le règne de la quantité au dépend de celui de la qualité…. A qui la responsabilité ? la tentation des explications, des accusations, des bouc-émissaires est assurément grande et, à tort ou a raison, désigner ceci ou cela, nous permettra peut-être de comprendre l’état des choses, ce qui est indispensable ( et le travail de mémoire collective que tu fais, ainsi que d’observation et d’analyse est des plus important, une nouvelle fois merci) mais tous ces constats, aussi indispensables soient-ils, ne représente que la moitié du chemin à parcourir vers une guérison.
Si jadis les Saintes était une terre âpre et difficile pour y vivre et y survivre, si ces premiers habitants manquaient de tout sur le plan matériel et pouvaient en souffrir, aujourd’hui, alors que tout est accessible pour notre confort, la désolation se manifeste sur le plan moral et spirituel, sur la perte de ces valeurs inestimables que tu as évoqué dans ton article.
A croire que l’être humain n’est pas capable d’avoir l’un et l’autre à la fois …?
Il cependant faut se poser la question : que pouvons et devons nous faire, individuellement et collectivement, dans quelle mesure conjuguer harmonieusement les bienfaits pour le corps, pour le cœur et pour l’esprit ?
Il y a de nombreuses manières et de raisons d’aimer les Saintes et de s’engager dans la communauté pour le renouveau de ces valeurs indispensables , et certaines se conjuguent mutuellement , en voici quelques unes ( non exhaustif !):
Ceux et celles qui, nostalgiques, tentent de faire perdurer dans leur proximité ces valeurs humaines citées malgré les vents contraires (merci à vous) ;
Ceux qui, par esprit d’entreprise, innovent pour des activités ou des événements s’appuyant sur ces valeurs: services d’aide à la personne, art et culture, sport, activités pour la jeunesse et pour les seniors …
Ceux qui aiment passionnément la nature fabuleuse de cet archipel émergé de ce bain océanique caribéen, nature qui est, non seulement le « cadre », mais participe en profondeur à l’âme de ses habitants ( aridité, culture de la pêche), nature qui est encore la source de quelques vocations chez nos jeunes ( apiculture par exemple) et par des visiteurs de jadis qui se sont installés et sont devenus véritablement saintois qui, épris l’ incroyable beauté de l’archipel, ont développé leur activité en la faisant connaître et aimer ( je pense par exemple aux pionniers de la plongée sous marine sur l’île qui participent notamment à l’éveil et au réveil collectif général à propos de la prise de conscience du trésor qui se trouve à porté de masque et de palme de chacun) ;
Il y a aussi une manière d’aimer au présent et pour le futur ce petit pays, manière dont j’ai pris conscience dernièrement : en ces temps de valeurs humaines en déliquescences, le chantier est ( à cause de cela) formidable !
Le constat du désastre survenu étant fait par quelques esprits éclairés dont tu fait parti , tout est assurément à reconstruire, à réinventer…
Et malgré cette nouvelle aridité, celle de l’âme à présent, ce travail est digne d’enthousiasme et d’engagement !
J’espère être des vôtre prochainement pour participer à ce chantier permanant, à ma mesure et selon mes compétences, chantier incroyable qui n’aura pas assez d’une seule génération .
Alain JOYEUX
Joyeuses Pâques Raymond. Au moment ou je t’envoie ce petit mot, les cloches résonnent, et ça a un parfum de mon enfance…ces clochent bien de chez nous. Je comprend et je partage ta nostalgie du moment . Mais il parait que les cloches arrivent et cachent des œufs en chocolat dans les jardins, faisant la joie des enfants qui partent en chasse. Les cloches repartent et peut être qu’un jour elles emporteront avec qu’elles une toute autre sorte de cloche, j’ai nommé les « autoritaires ». A bientôt.