Le Poirier de Jules CORBIN

Les Arbres de la Liberté

Les arbres de la Liberté

Allée de poiriers de la rue principale de TDH

Si les rues de Terre-de-Haut sont (encore) pour la plupart bordées de poiriers-pays, nom vernaculaire du Tabebuia heterophylla, beaucoup de nos compatriotes ignorent peut-être qu’ils ont été plantés en 1848, à la suite de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe, et qu’on les a baptisés pour la circonstance les Arbres de la libertéCette plantation d’arbres emblématiques – qui rappelle celle de 1792 en France hexagonale pour marquer l’avènement de la République – était destinée à mémoriser dans les esprits l’un des événements historiques majeurs du XIX ème siècle : la liberté rendue aux esclaves. Ce qui s’est passé aux Saintes à cette occasion s’est sans doute produit dans la plupart des colonies françaises de l’époque et dans les autres communes de notre département, comme en témoigne ici, pour Vieux-Habitants, un article du journal L’Avenir daté du 16 juin 1848 et rapporté par Adolphe Gatine dans son livre : L’abolition de l’esclavage à la Guadeloupe, (Éditions Karthala 2012) : « Après le repas où n’a cessé de régner la plus franche cordialité, le cortège s’est mis en marche pour l‘église où il a reçu la bénédiction de M. le préfet apostolique. De là nous sommes retournés à la place, en face du salon de verdure, pour planter l’arbre de la liberté. »

Une allée de plus en plus chétive

Les deux rangées de poiriers de la rue centrale de Terre-de-Haut ont certes, avec le temps, subi fatalement les aléas de l’âge et des intempéries. Mais beaucoup de ces arbres magnifiques, faute parfois de soins, soit sont tombés tout seuls, minés par la maladie, soit ont dû être abattus pour permettre ici l’élargissement d’une voie, là le bétonnage d’une place, ailleurs tout simplement l’édification de bâtiments aussi bien publics que privés. C’est ainsi qu’une fontaine municipale au goût plus que douteux, puis des lampadaires ultra modernes ont successivement remplacé le splendide spécimen de la place de la mairie qu’ont immortalisé maintes photographies anciennes, et qu’Alain Joyeux a talentueusement reproduit ici d’après une carte postale du début du XXème siècle :

Poirier Place de la mairie -Dessin A. Joyeux (Collection personnelle)

Poirier Place de la mairie – Dessin d’Alain Joyeux (Collection personnelle)

Un récit émouvant

De son côté, c’est Madame Liliane CORBIN qui, lors d’un voyage aux Saintes sur les traces des ancêtres de son mari, et que nous remercions vivement pour son témoignage, raconte comment elle a eu connaissance de l’existence à Terre-de-Haut d’un poirier qui, bien que disparu aujourd’hui, peut être qualifié d’historique. Resté dans la mémoire collective sous l’appellation de Poirier de Jules CORBIN, cet arbre fut vraisemblablement abattu lors de la construction de l’actuel dispensaire entre 1950 et 1953. Dispensaire construit sur une propriété ayant appartenu justement à M. Jules CORBIN, (voir photo ci-dessous), et où se trouvait implantée, avant la construction du pénitencier de l’Îlet à Cabris en 1852, une importante prison cantonaleVoici ce qu’écrit fort joliment Madame Liliane CORBIN à la suite de son pèlerinage aux Saintes et qu’elle nous a autorisé à reproduire  :

« En attendant l’heure de la visite [du Fort Napoléon], nous bavardons avec la guide, native de Terre-de-Haut. Nous lui expliquons la raison de notre voyage : retrouver les lieux où vécurent les ancêtres. Comme elle nous demande les noms de la famille, nous commençons par lui donner notre patronyme : Corbin. « Ah, Corbin ! répond-elle. Et elle continue : « Ma mère m’a souvent raconté que lorsque ma grand-mère cherchait en vain mon grand-père, elle disait à sa fille qu’il se trouvait sûrement sous le poirier de Jules CORBIN. »

Ainsi, les hommes du coin, des pêcheurs notamment, aimaient se réunir à l’ombre de cet arbre pour raconter leurs exploits. Et je me plais à imaginer que ces personnages au visage buriné par le vent du large et les embruns, comparaient leur pêche du jour et que c’était à qui aurait ramené le poisson le plus beau, le plus rare et surtout le plus gros. Car je reste persuadée que les Marseillais, de même que Tartarin de Tarascon, ne sont pas les seuls à fanfaronner.

Donc, concernant la généalogie, ce Jules CORBIN, à l’ombre du poirier tant appréciée, était le frère de Victor, grand-père de Claude CORBIN, mon mari. Nous avons retrouvé sa propriété, rue du Fond-du-Curé, où est né mon beau-père. Aujourd’hui s’y trouve un dispensaire. Quant au fameux poirier, il a disparu. Peut-être n’a-t-il pas résisté aux nombreux cyclones qui ont souvent ravagé l’île. » 

Ancienne propriété Jules Corbin avec le dispensaire. Capture d'écran video INA 1964

 Ancienne propriété de Jules Corbin avec le dispensaire départemental construit sur les ruines d’une  prison coloniale. Capture d’écran video INA 1964

Un témoignage confirmé

Des anciens, interrogés par nos soins, nous ont confirmé l’existence et l’appellation de ce poirier dit de Jules CORBIN, poirier à l’ombre duquel poussait un joli gazon local propice aux rassemblements, comme l’a si justement souligné l’auteur des lignes précédentes. Mais selon ces mêmes sources, ce poirier n’était pas qu’un simple et paisible arbre à palabres. C’était aussi un lieu de querelles et de pugilats mémorables, de confection de nasses en lamelles de bambou, de scènes burlesques en période de carnaval, de jeu de loto traditionnel sur carton numéroté. Chaque numéro énoncé étant accompagné d’une formule tantôt en français, tantôt en créole du type : « 1, tout ce qu’un p’tit cochon peut dire en naissant » ;  » 8, pituite maladi à vié fanm ! » ; « 13, Marie-Thérèse, la femme scandaleuse qui pleure quand on la baise ! » ;  « 22, les deux p’tits canards de Saint-Malo qui s’ baignent dans la rivière sans s’ mouiller les pattes… » etc.  Phrases imagées de la culture populaire qui devraient faire l’objet d’une recherche avant que le temps ne les efface définitivement de nos mémoires.

Plantation d'un Arbre de la Liberté à Paris en 1782

Plantation d’un Arbre de la Liberté à Paris en 1792

Un héritage à préserver

Si l’on consulte les Bulletins Officiels de la Guadeloupe des Années 1852 et plus, on peut y lire qu’il était interdit d’abattre les Arbres de la Liberté, aux Saintes, comme ailleurs.  « Quant aux Arbres de la Liberté, écrit le Gouverneur Aubry-Bailleul le 18 février 1852, il ne faut pas y toucher puisqu’ils sont pour les nouveaux affranchis un symbole dont la destruction serait exploitée comme une marque anticipée de leur retour à l’esclavage. »  (Cité par Éric Fougère in La prison coloniale en Guadeloupe – Ibis Rouge Éditions 2010). Ce patrimoine végétal et historique, outre l’ombre bienfaisante qu’il génère, devait – et doit – être en effet protégé et entretenu comme mémoire vivante de l’Abolition de l’esclavage. Interdiction qui s’est perpétuée à juste titre jusqu’à nos jours. Mais si les particuliers ne peuvent le faire, la collectivité se doit d’entretenir périodiquement ce patrimoine par un élagage judicieux exécuté dans les normes de l’arboriculture.

Photo aujardin.info

Élagage professionnel. Photo aujardin.info

C’est généralement le cas à Terre-de-Haut où à l’approche de la saison cyclonique les employés municipaux s’affairent à tailler et élaguer la plupart des arbres de la commune, non seulement pour éviter les dégâts en cas de vents violents, mais pour permettre à la végétation de se renouveler et de repartir sainement à la saison des pluies. Encore faudrait-il qu’il n’y ait pas, là non plus, de discrimination et que tous les arbres, quel que soit leur emplacement, soient logés à la même enseigne… C’est l’appel amical que nous lançons par le biais de cette chronique aux responsables des services techniques de Terre-de-Haut, comme de toutes les communes de la Guadeloupe, chargés de l’entretien et de la sauvegarde de notre patrimoine végétal. Ci-dessous un exemple de poirier ignoré de nos élagueurs, qui mériterait un « nettoyage » approprié avant que la vieillesse et la maladie ne l’emportent définitivement…

Un élagage régulier pourrait encore sauver ce poirier malade - Ph R.Joyeux

Un élagage urgent pourrait encore sauver ce poirier plus que centenaire – Ph R.Joyeux

PS : Nos remerciements à Alain JOYEUX pour son dessin du Poirier de la Mairie et à Madame Liliane CORBIN pour son récit du Poirier de Jules CORBIN.
À très bientôt pour une prochaine chronique.
Raymond 
Joyeux

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5 commentaires pour Le Poirier de Jules CORBIN

  1. Liliane CORBIN dit :

    Merci Raymond Joyeux pour cet article fort intéressant à propos des poiriers guadeloupéens.

  2. Alain Thouret dit :

    Ah si les arbres parlaient, ils en auraient des choses vues et entendues à nous raconter…..

  3. Jonathan Gaivota dit :

    Il n’est pas certain que le « nettoyage » des arbres soit une bonne chose pour leur survie et qu’au contraire le fait de les tailler sévèrement serait facteur de maladie et de faiblesse , c’est ce que l’on a constaté par exemple en métropole pour les platanes.

  4. raymondjoyeux dit :

    Merci Jonathan pour votre pertinent commentaire. Vous avez sans doute raison. Mais je pense qu’il existe un art du « nettoyage » périodique des arbres qui leur permet de se régénérer, et que, lorsque celui-ci est fait sauvagement, on en arrive à la conclusion que vous évoquez. Je vous donne un exemple a contrario de ce qui s’est passé à Terre-de-Haut : il existe dans les collines des Saintes un arbuste endogène appelé merisier qui donne des baies avec lesquelles on fabrique une liqueur très appréciée à la période de noël. Autrefois, les pêcheurs prélevaient intelligemment de longues baguettes de cet arbuste imputrescible pour consolider l’armature de leurs nasses, ce qui leur permettaient (aux merisiers) de rester vivaces et de mieux s’épanouir. Un arrêté municipal, sous prétexte de protection, a interdit cette pratique. Résultat, la plupart des merisiers, ne se régénérant plus, se dessèchent et dépérissent. Autrement dit, l’arrêté de protection a abouti à l’effet inverse recherché. Cordialement.

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