Le lambi : une espèce sous haute surveillance

Photo Raymond Joyeux

Photo Raymond Joyeux

Selon l’article 16 de la règlementation de la pêche en Guadeloupe, la capture du lambi est autorisée dans nos eaux du 1er octobre au 31 janvier. Seuls les pêcheurs professionnels régulièrement inscrits aux affaires maritimes peuvent s’y adonner, à condition toutefois de respecter un certain nombre de contraintes définies par la règlementation.

Un moment menacé de disparition, consé-quence d’une capture et d’une consommation anarchiques excessives, ce mollusque marin, très apprécié des connaisseurs caribéens, a été placé en effet sous haute surveillance, et les contrevenants qui se font prendre encou-rent de lourdes peines dont les médias s’en font chaque année l’écho, rappelant à l’occasion les règles officielles encadrant cette activité :

« – Toute capture, colportage ou vente de lambis ne possédant pas le pavillon formé et n’ayant pas un poids en chair nettoyée de 250 grammes au minimum par individu, est interdit en tout temps, tous lieux.
– Tout colportage ou présentation à la vente en frais de lambis découpés de manière à empêcher l’évaluation du poids en chair nettoyée est interdit en tout temps, tous lieux.
– La pêche du lambi est interdite pour les pêcheurs plaisanciers en tout temps, tous lieux.
– La pêche du lambi est interdite pour les pêcheurs à pied en tout temps, tous lieux.
– La pêche de ce gastéropode est interdite du 1er avril au 31 août inclus dans les îles du nord.
– La pêche de ce gastéropode est interdite du rivage jusqu’au fond de 25 m du 1er janvier au 30 septembre inclus.
– Toute pêche de ce gastéropode est interdite au-delà des fonds de 25 m du 1er février au 30 septembre inclus.
– La vente en frais du lambi pendant les périodes de fermeture est interdite. »

 Un lent processus de développement

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Larve de lambi
Document Lameca

Après avoir été fécondée par un mâle adulte reproducteur, la femelle lambi commence un cycle de ponte qui peut aller jusqu’à 8 fois l’an, à intervalle régulier. Les œufs, entre 300 000 et 400 000 à chaque ponte, invisibles à l’œil nu, sont plus petits qu’un grain de sable. Ils s’agglutinent à un cordon gélatineux enroulé sur lui-même en forme de croissant posé sur le fond. Au bout de 5 jours naissent les bébés lambis, toujours invisibles à l’œil nu. Ils quittent alors le fond sableux pour se mêler au plancton en surface. Portées par le courant, les larves deviennent la proie de nombreux prédateurs. C’est donc une faible quantité de nouveaux nés qui finissent par survivre et se développer.

À 3 semaines, le bébé lambi mesure environ 1 mm et retourne sur le fond, entraîné par sa coquille. Celle-ci va se développer progressivement en même temps que le corps de son hôte, pendant 4 ans, jusqu’à atteindre, à l’âge adulte, 25 centimètres. En vieillissant, la coquille s’épaissit et perd ses belles nuances de nacre rosée.

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Chair du lambi et coquille adulte

C’est seulement lorsque le pavillon du coquillage, appelé aussi strombe, conque ou écale, est bien formé et que la chair du lambi nettoyée pèse au moins 250 grammes que sa capture et sa commercialisation sont autorisées pour les professionnels, mais seulement, comme il est précisé plus haut, pendant les 4 mois définis par la législation.

Les méthodes de pêche

Pendant longtemps, aux Saintes, le lambi au même titre que la langouste, ne constituait pas une activité de pêche très lucrative, ni, comme aujourd’hui, un mets particu-lièrement apprécié des consommateurs. Les premiers pêcheurs de ce gastéropode, appelés plongeurs de lambis, capturaient alors le coquillage en apnée, munis d’un simple masque et d’un sac de jute qu’un matelot resté sur le canot tirait à bord à l’aide d’un filin. Progressivement, au cours de la dernière guerre mondiale, nécessité faisant loi, la consommation s’est accrue et les pêcheurs, confrontés à une plus forte demande, ont confectionné un premier modèle de drague rudimentaire censée leur éviter la fatigue des plongées à répétition. Mais l’engin n’était guère perfectionné, ce qui n’empêchait pas ses possesseurs de garder le secret de sa fabrication et de son fonctionnement… et d’alimenter à chaque sortie leurs « parcs à lambis » en attendant de vendre leurs prises à la population ou aux marchandes de Trois-Rivières. Les recettes se comptaient en sous ou anciens francs de l’époque :  en moyenne 9 francs pour 12 lambis nettoyés, vendus à l’unité. Aujourd’hui le kilo se négocie entre 18 et 20 € !

Photo Marc-André Bonbon

Drague : photo Marc-André Bonbon

À force de tâtonnements, l’ingéniosité naturelle prenant le dessus, un modèle définitif et parfai-tement fonctionnel de drague articulée, en fer de construction voit le jour, adoptée rapidement par tous les pêcheurs de lambis. Ci-contre celle ayant appartenu à M. André Bonbon le plus célèbre pêcheur de lambis des Saintes. Voici le témoignage d’un autre pêcheur rapporté par Jean-Luc Bonniol dans son livre : Terre-de-Haut des Saintes,  (Éditions Caribéennes – 1980 – page 108) : « On pêche à la drague en canot monté par trois hommes dont deux restent dans le canot : l’un manœuvre l’embarcation, l’autre hisse la drague, le troisième se met à l’eau muni d’un masque vitré en caoutchouc, explore le fond et dirige l’engin de façon à l’amener au-dessus des conques. On peut remonter deux à trois lambis à la fois à l’aide de la drague ; une équipe de dragueurs arrive à en pêcher 250 à 300 par jour. Ce rendement était inconnu jusqu’à ce jour. « 

Folle

Folle à lambis armée de ses flotteurs

Au début des années 1990, une autre méthode de pêche apparaît et se répand rapidement : la folle à lambis, sorte de filet à larges mailles tressées, long de 100 à 150 mètres sur une largeur variant de 1,20 à 4 m. Ce filet est monté entre deux ralingues : celle du haut recevant les flotteurs, celle du bas munie de grosses pierres lisses permettant à la folle de se maintenir debout sur le fond. Des bouées à la surface indiquent au pêcheur son emplacement. La folle est tendue sur les herbiers pendant 2 à 7 jours et les lambis en migration viennent s’empêtrer dans les mailles de la partie inférieure touchant le sable.

Un coquillage millénaire aux multiples utilisations

Pututo, Chavin 1000-500 av. J.-C., Lombards Museum

Pututo, Chavin 1000-500 av. J.-C., Lombards Museum

Existant dans la Caraïbe bien avant l’arrivée des premiers hommes, le lambi n’était pas (et n’est pas) pêché que pour sa chair. Les Amérindiens utilisaient la conque pour y tailler des outils et des hameçons, sculpter des œuvres d’art. Les esclaves s’en servaient comme trompe d’appel, de signal d’avertissement et de rassemblement. Aujourd’hui, elle est vendue aux touristes comme coquillage. Aux Saintes comme en Guadeloupe, à Saint-Barth et sans doute dans beau-coup d’autres communes littorales des Antilles, les strombes servent de décoration et d’ornement aussi bien dans les salons qu’autour des monuments mortuaires et des tombes, comme ci-dessous aux Saintes :

allée du cimetière

Entrée du cimetière de Terre-de-Haut

 Un appel à la responsabilité

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M. André Bonbon, 86 ans, pêcheur de lambis retraité
Photo Raymond Joyeux

Alors qu’en Guadeloupe, donc aux Saintes, s’ouvre dans quelques jours la saison du lambi, nous ne pouvons que lancer un appel à la responsabilité. Ce coquillage dont les multiples préparations culinaires font le délice des gourmets, mérite toujours d’être protégé. Une pêche intensive ou braconnière mettrait inévitablement en péril sa survie et par le fait même un  pan fragile de notre culture caribéenne. Nous ne sommes plus au temps où ce surprenant gastéropode tapissait nos fonds marins, « comme des vers », selon l’expression du plus célèbre pêcheur saintois de lambis, M. André Bonbon, qui a pratiqué cette pêche pendant plus de 50 ans et qui a toujours bon pied bon œil, en dépit de ses 86 ans !

Pour conclure ce dossier, nous signalons à nos nom-breux lecteurs intéressés par le sujet qu’ils pourront s’ils le souhaitent consulter le site de La Médiathèque Caraïbe (lameca), organisme dépendant du Conseil Général de Guadeloupe en cliquant sur le lien suivant

http://www.lameca.org/dossiers/lambi/index.htm

R.J

Conques avec chair

Lambis et leur chair apparente : photo Raymond joyeux

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6 commentaires pour Le lambi : une espèce sous haute surveillance

  1. cathy voglimacci dit :

    Merci pour ce bel article si riche en informations. Il aurait été intéressant de préciser que la technique de la folle à lambis présente hélas l’inconvénient majeur de tuer chaque année nombre de nos belles tortues qui prises dans la folle ne peuvent remonter pour respirer. On ne connait pas le nombre exact de ces « prises » involontaires mais il semble bien que ce soit très important …

    • raymondjoyeux dit :

      Remarque pertinente. C’est en effet le danger des folles et trémails. Me rendant aux Saintes ce Week-end, j’interrogerai des pêcheurs utilisant cette technique et saurai peut-être ce qu’il en est. Je vous apporterai la réponse à mon retour à Pointe-à-Pitre.

  2. Alain Joyeux dit :

    Merci pour cet article fort instructif.

    A propos, je salue la variété des rubriques de ce blog, qui offre la possibilité d’échanges sur de nombreux sujets. Puisque la transdisciplinarité est ici à l’honneur (vie locale, littérature, arts, zoologie…), je me permets un commentaire un peu « décalé » sur le lambi:

    Après l’œil du tigre…l’énigmatique regard du lambi :

    Si le lambi fait la joie des gastronomes, s’il suscite l’admiration pour l’esthétique de sa coquille et pour l’harmonie colorée de sa nacre délicate, l’œil attentif remarquera peut-être le détail suivant sur le corps vivant de l’animal : l’étonnante physionomie de la tête (mais est-ce vraiment la tête?): deux petites billes noires et une sorte d’appendice font inévitablement penser à un « visage »: un « regard » et une sorte de nez… Un enfant me l’a un jour fait remarquer et « l’expression » qui se dégage est très troublante.

    Nos amis bretons pourront se référer à une certaine similitude de « faciès » chez la bernique (le fameux « chapeau chinois » que l’on trouve agrippé sur les rochers) idem pour les Méditerranéens chez le gastéropode marin de la même famille qu’est l’arapède (bernique en plus petit). En effet, depuis ma « rencontre » avec le lambi, je fus curieux de rendre visite à d’autres coquillages !

    Cette physionomie commune étonnante peut rappeler certains personnages « imaginaires » de dessins animés , souvent placides et tranquilles (à l’image de notre lambi caribéen), personnages que l’on peut trouver par exemple dans les films du célèbre créateur japonais Hayao Miyazaki (Mon voisin Totoro, Le voyage de Chihiro…).

    Si vous n’avez pas encore remarqué ce détail anatomique du lambi, je vous invite à la plus grande attention la prochaine fois que vous aurez l’occasion de tenir l’animal « en frais » dans vos mains avant de le « battre » et de le passer à la casserole ! S’il reste encore un peu d’enfance en vous, vous serez inévitablement touchés par son étrange « regard » !

    « La beauté est dans l’œil de celui qui regarde » nous dit Oscar Wilde… mais il est aussi parfois dans l’œil de celui qui nous regarde, fût-il animal, de milieu et de mœurs aussi éloignés de nous que peut l’être un lambi!

    L’écrivain-poète Christian Bobin illustre aussi parfaitement le sentiment qui peut naître lors de notre rencontre, à la frontière des mondes, avec ce « géant escargot d’océan », je cite:
    « Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner. »

    Je vous promets que, dès je pourrais à nouveau en voir un de près, je peindrais alors un portrait de l’ami-lambi !

    Raymond, si tu peux m’envoyer une photo en gros plan * de ce détail anatomique, je pourrais alors commencer à m’exercer depuis la métropôle-nord (car ma mémoire est imprécise)!
    Merci
    * (ou un autre lecteur-photographe de ce blog)

  3. raymondjoyeux dit :

    Beau texte, belle sensibilité, beau témoignage. Autant de « beautés » qui plairont sans doute à nos amis lecteurs et qui susciteront, je l’espère, d’autres commentaires aussi intéressants. Merci Alain.

  4. cathy voglimacci dit :

    Moi, plus largement, je vous remercie Raymond Joyeux pour vos chroniques qui nous « tirent vers le haut », j’aime les Saintes, toute métropolitaine que je suis, j’y ai vécu les meilleures choses et les pires de mon existence et l’œil intelligent, poétique et éclairé que vous portez me confortent dans mes choix, j’espère avoir un jour l’occasion d’en parler plus avant avec vous.

  5. Alain Joyeux dit :

    J’entends la mer:

    Enfantement subtropique
    l’in-spire du lambi
    Commémore l’écho-
    >dance galactique

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