Lettre ouverte aux élus de la majorité du Conseil municipal
de Terre-de-Haut
Chers amis,
Jamais, jusqu’à mars et juin 2020, une équipe municipale n’avait rassemblé autant de personnalités compétentes et déterminées pour sortir Terre-de-Haut du marasme politique, moral et financier dans lequel l’avaient engluée pendant plus de quarante ans des municipalités successives monolithiques, avides le plus souvent de division, de favoritisme et d’exclusion.
Or, c’était justement pour effacer ces années noires, trop longtemps pénalisantes pour notre communauté, que vous avez uni vos forces et votre enthousiasme, sans arrière-pensée de préséance ou de revendication personnelle. Oubliant, pour certains d’entre vous, vos alliances antérieures, vous avez donné aux yeux de tous l’exemple parfait d’un rassemblement jamais connu aux Saintes, où l’envie de réussir pour notre commune avait prévalu et séduit une large majorité de la population. Et vous avez été élus.
Vous aviez auparavant, les uns et les autres, rallié volontairement une tête de liste estimée que vous connaissiez de longue date. Et pour mieux asseoir votre choix, vous avez, chacun et chacune, rédigé et signé une courte déclaration qui semblait sincère, mettant en avant les qualités du chef d’équipe, ainsi que vos propres dispositions à travailler positivement avec lui pour le bien de notre commune.
Durant la campagne électorale, en plus du travail d’explication et de persuasion accompli sur le terrain par chacun et chacune d’entre vous, vous avez à maintes reprises pris librement la parole pour présenter votre programme et convaincre les électeurs de votre volonté de changer la donne à Terre-de-Haut en instaurant une politique du Mieux vivre ensemble dont le ferment affiché serait l’Union saintoise. À ce moment-là, au-delà des slogans, quels beaux et enthousiastes projets vous aviez alors fusionnés pour faire oublier l’immonde fossé de plusieurs décennies creusé par vos prédécesseurs et que, main dans la main, vous vous apprêtiez à combler !
Au soir du deuxième tour des élections, quelle euphorie a suscitée au sein de la population votre arrivée libératrice à la mairie de notre commune ! Car toutes et tous, nous y avons cru. Vous d’abord bien sûr, les élus, mais surtout nous, vos électeurs, chez qui pleurs de joie, rires et embrassades se mêlaient dans une ambiance de fête et de fraternité retrouvée, effaçant pour longtemps, pensions-nous, toutes les déceptions passées, les désillusions récurrentes des élections précédentes. C’étaient trente longues années de combat enfin récompensées !
Et vous vous êtes mis au travail sans attendre. En peu de semaines, la commune montrait un nouveau visage. L’entretien du bourg jusqu’alors négligé était devenu quotidien et apprécié ; le délicat problème de la circulation, pierre d’achoppement des municipalités précédentes, progressivement résolu ; la réorganisation des services administratifs finalisée ; un calendrier de réalisations à venir dûment chiffrées voyait le jour… Bref, quel exploit vous avez alors accompli en peu de temps pour mettre en état de marche une machine communale délabrée par des années de fonctionnement aberrant, avec, faut-il le rappeler ? des ressources financières réduites à néant ! Car, grâce à vous, en plus de cette dynamique collectivement impulsée – et c’est de loin le miracle le plus important de votre action commune – le budget communal retrouvait peu à peu son équilibre… Tout cela, au grand soulagement d’une majorité de la population qui commençait à percevoir le changement qu’elle attendait, passant outre les critiques des éternels insatisfaits.
Bien sûr, tout ce travail difficile de reconstruction ne s’est pas fait d’un coup de baguette magique, dans des rouages toujours parfaitement huilés. À la longue, des divergences, des frictions, des accrocs, des erreurs, en dépit de la bonne volonté de chacun, étaient devenus inévitables. C’est le lot de toute assemblée humaine en action que le dialogue ne parvient pas toujours à aplanir. Et votre conseil municipal n’a pas fait exception à la règle. Mais ces divergences, au lieu de logiquement s’atténuer, se sont contre toute attente amplifiées au point de devenir ce qu’elles sont aujourd’hui, faisant exploser publiquement votre belle entente et votre complémentarité. Qui aurait pu l’imaginer après seulement 20 mois d’exercice pourtant bien entamé ?
Mon propos n’est pas de donner ici une quelconque leçon. De porter de jugement. D’accuser, d’excuser ou de condamner qui que ce soit. Mais puisque vous m’avez fait collectivement l’honneur de me donner la parole le jour de votre investiture en Mairie, au lendemain de votre élection, je me dois de réagir à la triste réalité d’aujourd’hui. Spectateur atterré de ce qu’il faut bien appeler un désastre, je ne peux que le constater impuissant, comme beaucoup, avec la plus grande amertume. Le spectacle affligeant de la discorde et de l’invective que vous donnez à la population saintoise et à la Guadeloupe toute entière sur les réseaux dits sociaux ou par tout autre moyen public, ne fait pas honneur aux fonctions que vous avez exercées et, surtout, n’est pas digne de ce que les uns et les autres vous êtes foncièrement. J’en suis intimement persuadé.
Certes, vous avez le droit et le devoir d’informer la population de vos désaccords, de vos ressentis, de vos déceptions et, on peut le comprendre aussi, de votre démission, mais sans dépasser la ligne rouge de la bienséance et du respect. Ce qui malheureusement, à ce jour, n’a pas toujours été le cas. À chacun de vous de faire son autocritique, de reconnaître et d’assumer sa responsabilité dans la situation actuelle, sans la rejeter systématiquement sur l’autre.
Mais maintenant que le mal est fait et qu’il semble irréparable, de grâce, ressaisissez-vous. S’il vous plaît, pour vos électeurs, pour l’ensemble de la population, pour l’image de la commune que vous avez eu l’honneur et le privilège de représenter et de servir, pour vous-mêmes en tant que personnes, cessez vos invectives. Les déclarations malveillantes intempestives appellent toujours d’autres déclarations malveillantes et c’est le cercle infernal de la haine qui est enclenché. Vous regretterez peut-être un jour vos écrits ou vos propos excessifs qui, loin d’assainir vos relations, les détériorent un peu plus. En un mot, sans renier forcément vos dissensions, retrouvez la dignité qui doit être la vôtre.
C’est le souhait que je forme au nom de l’amitié et de la considération que je porte à chacune et à chacun d’entre vous. En dépit des circonstances malheureuses que nous déplorons aujourd’hui.
À Terre-de-Haut, le 23 février 2022
Raymond Joyeux