Sur le littoral de la baie du Fond-Curé à Terre-de-Haut, entre la Petite-Anse et le Morne Rouge, jadis ombragé de cocotiers et de calpatas tropicaux (cousin créole et déformation nominale du catalpa européen, mais pas exactement de la même branche ! ), il est un petit banc, assoupi sous un raisinier, que la plupart des Saintois (et quelques visiteurs privilégiés) connaissent bien ! Ce petit banc a une histoire que je voudrais vous conter ici.

Parlons d’abord arbres :
1 – les cocotiers
Au milieu des années 90, je plante deux cocotiers, un de chaque côté de la petite maison que je fais construire à l’époque, pour remplacer ceux que j’ai toujours connus là dans mon enfance et à l’ombre desquels j’ai grandi.

Alors qu’ils ont atteint leur taille adulte, deux cyclones successifs, Luis et Marilyn des 10 et 14 septembre 1995 les couchent au sol si bien qu’après leur enlèvement, il ne reste plus aucun arbre debout sur cette portion de la plage. L’année suivante, j’en replante deux autres, mais de nouvelles intempéries les saccagent à leur tour.

2 – Le raisinier bord de mer
C’est alors que mon ami Fernand Bélénus, merveilleux jardinier et défenseur inconditionnel de l’environnement, malheureusement décédé depuis, m’offre quatre petits plants de raisinier bord de mer (cocoloba uvifera) que je laisse grandir à l’abri des prédateurs, avant de me décider à les transplanter.
La veille de cette transplantation, à Pâques 2007, je les sors de leur enclos afin de choisir le plus vigoureux, susceptible de s’enraciner rapidement et de croître paisiblement sous le soleil. Or, au matin de la mise en terre, je découvre (bizarrement sans étonnement !) qu’un individu – sans doute grand amoureux des arbres et profitant vaillamment de la nuit – a, très artistiquement, à la pointe de son canif, écorcé intégralement le tronc de trois d’entre eux, de la base des rameaux à la naissance des racines, les vouant immanquablement au dessèchement et à la mort. N’ayant sans doute pas eu le temps d’achever son œuvre criminelle, ou, au contraire, pris de remords, il m’en laisse, magnanime, un seul totalement intact dans son pot et sa terre de croissance.
C’est ce dernier, sauvé par miracle de la mort, que je plante dans le sable, prenant soin de le protéger de la lame meurtrière du simple d’esprit écorcheur. De mois en mois, ce raisinier prospère à la vitesse grand V, pour devenir, moins de 20 ans plus tard, le bel arbre que nous connaissons aujourd’hui, nous gratifiant de la fraîcheur de son ombre protectrice, particulièrement appréciée.

Installation du petit banc
L’idée du petit banc sous ce raisinier ne me vient pas tout de suite. C’est lorsque feu M. André Bonbon, mon voisin de l’autre côté de la rue, prend sa retraite de marin-pêcheur et qu’il vient s’asseoir tous les jours au soleil, sur un muret face à la mer, pour veiller sur son canot Trévis, que le projet s’impose à moi et voit le jour au début de l’an 2012. Voilà donc 12 ans, cette année 2024 que le petit banc est installé sous le raisinier, sans ancrage en béton… mais son histoire est loin d’être terminée.
Initialement dédié, je l’ai dit, pour le préserver du soleil, à mon voisin pêcheur, inventeur de la drague à lambis et amoureux de son canot, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il a été vite investi (et l’est toujours !) du matin au soir par les nombreux arpenteurs du littoral, baigneurs et baigneuses, de tous âges, arrivant les premiers, en quête d’ombre et d’une station de repos, mais aussi la nuit par des accros, à la bière et autres boissons alcoolisées, à la cigarette et à la Marie-Jeanne bien roulée. Histoire pour votre serviteur non seulement de bénéficier des effluves ad hoc mais de devoir débarrasser la plage au petit jour de déchets de toute nature : bouteilles, cannettes, timbales, mégots, déjections canines, restes de victuailles et de BBQ , en dépit des affiches réitérées invitant au respect et à la propreté des lieux, sachant que les services publics du nettoyage ont déserté depuis longtemps le secteur… et qu’il n’y a aucune poubelle à proximité le long de la plage.
Néanmoins, puisque, selon l’adage, à toute chose malheur est bon, en plus des feuilles à ratisser quotidiennement et de « musiques » tonitruantes le week-end à vous rendre sourd, ces inconvénients sont compensés par le plaisir de rencontres inattendues… Comme celles, parmi d’autres, de l’écrivain Jean Clausel, du violoniste Olivier Darras, du chanteur Joyeux de Cocotier, de l’artiste Alain Joyeux, de groupes musicaux de passage, et de quelques visiteurs privilégiés, amoureux de poésie et d’histoire locale, tels Nadine et Éric, originaires de Lyon, occupants attitrés du petit banc durant leur séjour aux Saintes et devenus par la suite des amis.

Le temps des avatars
1 – Décès de M. André Bonbon
Cependant, ce petit banc tranquille, à l’ombre bienveillante du raisinier, objet de toutes les convoitises, va subir bien des avatars. Il y a d’abord la disparition en 2015 de son principal attributaire, M. André Bonbon pour qui d’abord il a été construit. Triste opportunité pour moi d’apposer une plaque à son nom, comme témoignage de sa présence virtuelle et occasion pour ses filles de venir lui rendre hommage à chaque anniversaire de son décès, par un recueillement et un petit bouquet commémoratif. Merveilleux rituel de piété filiale, conférant à ce modeste lieu face à la mer un caractère quasi sacré.
2 – L’ouragan Maria
Puis le 18 septembre 2017, s’abat sur les Saintes l’ouragan Maria. On connaît les dégâts occasionnés par ce montre météorologique, et pas seulement sur la végétation. Dégâts et témoignages répertoriés par Marijoé Métayer dans son livre MARIA, les Saintois n’oublient pas *., illustré de nombreuses photos des désastres subis. Les Saintois, certes, s’en souviennent encore, mais si, comme certains le croient, les arbres aussi ont une mémoire, notre raisinier ne devrait pas échapper à la règle. D’autant plus qu’il porte encore, 7 ans après, les stigmates des blessures infligées par l’ouragan, Tout comme le petit banc, qu’il a fallu restaurer et, en fin de compte remplacer, tant il a été malmené.
* Éditions Negmawon, novembre 2018


L’après Maria
Après Maria, nous avons, mes amis riverains et moi, débarrassé la plage de ses déchets, remis le sable à niveau, élagué le raisinier et reconstruit un nouveau banc qui remplace aujourd’hui l’ancien, ayant conservé la plaque dédiée à M. André Bonbon. Tout est donc redevenu normal et rentré dans l’ordre !

Lieu de rencontres et de partage
S’il a perdu beaucoup de son lustre des premiers jours, le petit banc à l’ombre du raisinier, continue, vaille que vaille, après maints cyclones et raz de marées successifs, de vivre et d’accueillir nombre de visiteurs, parmi lesquels, avant l’arrivée des touristes, nos retraités matinaux du secteur : Michel Cassin, Louly Appolinaire, Édouard Hoff, Gaby Garçon, Yvon Samson, les frères Bocage, Philippe Lognos… et quelques autres parmi les plus assidus.

Lesquels, comme mes amis Nadine et Éric, en plus de profiter de l’ombre et d’une étape accueillante, bénéficient du cadre idyllique qu’est la baie du Fond-Curé. Regrettant que d’autres petits bancs sous d’autres raisiniers bord de mer ne soient pas installés pour le plaisir de tous, tout au long de ce rivage enchanteur, incomparable bijou et attrait touristique indéniable, trop souvent laissé à l’abandon… mais là est une autre histoire !

Texte et photographies Raymond Joyeux
Publié le vendredi 6 décembre 2024





🏝️
Quel beau récit Raymond et quel bohneur de vous connaître 😁! Ce banc est un lieu précieux pour nous, merci de l’avoir fait naître, vivre et survivre …Amitiés.Nadine et Eric
Bonjour Monsieur Raymond Joyeux,
vous êtes merveilleux de nous rappeler par des petites touches notre attachement aux Saintes.
Merci beaucoup pour votre récit à ce banc de notre plage préférée du centre du Village.
le bonjour à tous nos amis et à bientôt.
Françoise et Habib
En 2015, j’aurais dû le dénicher ce petit banc, si attirant !
Merci Raymond pour cette si jolie histoire…
Vive le petit banc! Sec! A l’ombre du résinier!
Un fervent adepte du comité des poseurs de fesse sur le petit banc!
A la santé de toutes ces paires de fesse!
Merci Raymond!
Merci Raymond, de ton savoir à partager, pour ta poésie et pour toutes tes actions qui nous rappellent que les âmes vivent, bien après l’effacement des écorces corporelles, pour demeurer là où elles ont connu l’amour, la sagesse, et parfois le tourment…