Dans la continuité du partage de nos archives communales, voici aujourd’hui un texte publié par l’Association L’œil de l’Iguane il y a exactement trente ans, jour pour jour,
le 14 octobre 1989.
Le contexte :
Les élections municipales, qui ont eu lieu en mars de cette année-là, sont gagnées de justesse par la liste conduite par un certain Robert Joyeux, à la tête de la commune depuis 18 ans.
L’opposition qui a obtenu 48% des voix s’est organisée en association sous le nom de L’œil de l’Iguane, mais n’est pas représentée au CM par la faute d’une loi électorale défavorable à la proportionnelle dans les petites communes.
Le 16 septembre, l’ouragan Hugo dévaste la Guadeloupe.
Sous l’égide de l’opposition, une collecte de vivres et de vêtements est organisée pour les habitants de la Désirade, durement touchés par le cyclone.
Deux navires des compagnies maritimes locales, Déher et Lorgé, acceptent d’acheminer bénévolement les colis à destination.
La commune, de son côté, ne fait aucun geste de solidarité en faveur de nos compatriotes désiradiens.
Pour la troisième fois consécutive, le maire et son conseil siègent en séance secrète, faisant évacuer la salle des délibérations, privant ainsi les administrés de leur droit au débat et à l’information.
Terre-de-Haut :
Une séance très ordinaire du Conseil municipal
Samedi 14 octobre 1989 : session publique du Conseil municipal.
Neuf conseillers sur 15 que comporte l’assemblée communale, plus le maire, sont présents.
18 heures : M. le maire ouvre la séance. Avant d’aborder l’ordre du jour, il fait un tour d’horizon de l’actualité saintoise des dernières semaines. Les quatre personnes qui forment le public écoutent stoïquement l’interminable exposé sur l’après-Hugo et la « malhonnêteté des Saintois » toujours prêts, selon lui, à profiter des circonstances pour « se remplir les poches ». (65 déclarations de sinistre).

Place de la mairie 1942 – Photo Catan
Trois-quarts d’heure de considérations vaseuses pour une conclusion laconique mais somme toute vraie : « Terre-de-Haut a peu souffert de l’ouragan ». Merci Saint Robert.
Pas un mot en revanche de l’initiative des jeunes qui, dès le lendemain du cyclone ont organisé une collecte pour nos compatriotes désiradiens. Pas un mot de la générosité de la population après ce drame qui touche toute la Guadeloupe ! L’initiative populaire, la solidarité, ne sont pas des atouts électoraux. Ils n’intéressent donc pas M. le maire ! N’a-t-il pas refusé l’utilisation des panneaux électoraux – toujours en place – pour l’appel à la solidarité ?
Mais nous ne sommes pas au bout de notre étonnement. Deuxième volet des préoccupations municipales : des tracts récents dénonçant la passivité des conseillers municipaux et des méthodes de travail surprenantes du CM. Celui-ci affectionnerait, semble-t-il, les réunions secrètes et les comités restreints. M. le maire se défend vigoureusement de ces « accusations mensongères » et vitupère contre ces « petits oisifs » qui n’ont d’autres visées que de prolonger outrageusement la campagne électorale, de saborder l’action municipale et de diviser un conseil si parfaitement uni autour de sa rayonnante autorité ! Bref, plus d’une heure après l’ouverture de la séance, l’ordre du jour n’est toujours pas abordé. Le public, impatient mais attentif, s’est enrichi d’une unité. Cinq personnes désormais le composent. Autant dire la foule !
19h25 : L’auguste monologue s’achève enfin. Les questions prévues vont pouvoir être discutées. C’est le soulagement dans l’assemblée… Mais, puisqu’il a la parole, M. le maire la garde et annonce le programme :
- Examen et vote du compte administratif
- Examen et vote du budget supplémentaire
- ZAC du Marigot
- Aides scolaires
- Révision TLE
- Affaire S.M.
Médusé, le public n’en croit pas ses oreilles lorsqu’il comprend qu’aucune de ces questions ne sera débattue en séance plénière.

Place et mairie de TDH années 50-60 – Archives R.Joyeux
Abusant en effet d’un article explicite du code des communes, le maire déclare la séance secrète et ordonne l’évacuation de la salle. Personne ne bouge. Le vrai débat peut alors commencer : celui de la parole libérée, de la démocratie directe et du droit de la population d’assister librement aux délibération du C.M.
L’assistance refusant d’obtempérer exige des explications : Si un maire peut déclarer secrète à tout moment et sur n’importe quel sujet une séance publique du CM, que devient le droit fondamental des citoyens ? Exiger le respect de la loi est une chose mais l’appliquer soi-même en est sans doute une autre !
M. le maire sait-il que (selon le code des communes), « Le C.M. ne peut systématiquement siéger en comité secret sans risquer une sanction du Tribunal administratif » ? D’ailleurs a-t-il informé la population de la tenue de cette séance et de son ordre du jour comme le lui commande expressément ce même Code communal ? Les délibérations de son conseil sont-elles régulièrement et règlementairement affichées ? Non, bien sûr. Détails que tout cela !
– Qu’avez-vous donc à cacher ? interpelle un assistant !
– Absolument rien, répond le maire, mais c’est une question de principe…
Une question de principe en effet que de vouloir écarter systématiquement la population de ses propres affaires !
Une question de principe que de bafouer le droit à l’information.
Une question de principe que de se livrer bassement et pour la 3ème fois consécutive à la provocation.
Le souci de ne pas répondre à cette provocation a raison de la résistance du public qui accepte finalement d’évacuer la salle.
Il est 20h 30. Le voile du secret tombe une nouvelle fois sur la démocratie…
Voilà le lamentable spectacle auquel se livrent depuis les dernières élections les élus de la commune de Terre-de-Haut. On n’a vraiment pas envie de rire…
Mais il paraît que cette affaire n’est pas close. À suivre donc, M. le maire, et à la prochaine séance…
L’Œil de l’Iguane
P.S. : Ce texte, reproduit ici dans son intégralité, provient des archives personnelles de Raymond Joyeux
Commentaires :
1 – J’avoue avoir été présent dans le public ce jour-là à la mairie de TDH, comme les précédentes fois après les élections de mars 1989.
2 – 30 ans plus tard, découragé par les pratiques récurrentes, à mes yeux peu orthodoxes de la classe politique saintoise, je me suis éloigné définitivement de cette sphère de dirigeants toxiques dont certains ont eu à faire avec la justice et condamnés.
3 – Les démocrates de TDH ont nourri beaucoup d’espoir lors de l’éviction du précédent maire et de l’élection du nouveau.
4 – Quelque chose a-t-il vraiment changé depuis 1989 ? La réponse nous est (partiellement) donnée par Mme Daniele Hayet dont je me permets de vous proposer le commentaire suivant, daté du 8 septembre 2019, à lire sur le compte Facebook de l’intéressée en cliquant sur le lien ci-dessous :