Joyeux Noël à ceux qui sont séparés… et à ceux qui ne le sont pas

L’étau

L’étau de ton absence
emprisonne le métal tendre de ma gorge.
L’étau de ton absence
aux mâchoires de solitude.

Dessin de Jean-Claude Lavaud

Je suis oppressé
et mon sang sourd de tous mes pores
à la fois.

Il ne me reste que le flou souvenir de moi-même
l’ombre d’une pensée moribonde
qui fut tienne
imprégnante et tiède.

Quelle faille nous sépare !
Quelles pages entrouvertes
ne se referment sur nos paroles !

Nous sommes les deux lèvres séparées
de la même bouche jamais complètement fermée.
Toi la supérieure
moi l’inférieure.

Et la langue entre elles deux
c’est notre vie souple et prisonnière
qui se retire ou se présente
selon les circonstances 
la conversation variable de l’existence.

Ô douce lèvre supérieure
quand rejoindras-tu
ta pâle sœur inférieure ?
Quand enfin soudées
formerez-vous le cœur ciselé
de l’amour ?

L’étau de ton absence
enserre le métal tendre de mon larynx.
L’étau de ton absence
aux mâchoires d’exil.

Je suis exsangue
et ma vie répandue dessine
l’empreinte de ta tendresse
viscérale et révoltée.

Dans mon haleine haletante
s’inscrit ton acharnement
à me garder le souffle.

Ô douce lèvre supérieure
quand rejoindras-tu
ta pâle sœur inférieure

pour le seul baiser
qui vaille que la langue
notre vie souple et prisonnière
se sacrifie sur l’autel du silence
dans l’obscurité chaude
de son humide caverne.

Ô l’inexorable étau de ton absence
sur le métal palpitant de ma gorge !
Mâchoires intraitables
qui me tiennent les lèvres ouvertes
sans qu’un seul cri en sorte

dont l’écho te parvienne
dans l’île inaccessible
de ta solitude.

Un poète à la mer. Tableau d’Alain Joyeux

Texte de Raymond Joyeux
Extrait du recueil Indécises saisons (Petits poèmes hallucinés)
Éditions Les Ateliers de la Lucarne
Terre-de-Haut 2016

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3 Responses to Joyeux Noël à ceux qui sont séparés… et à ceux qui ne le sont pas

  1. Avatar de mimi mimi dit :

    Joyeux Noël à tous ceux que j’ai aimé et aime toujours bien qu’éloignée d’eux. Connaissant les Noël antillais je sais que ça va être chô ! Joyeux Noël à tous. ti bo ti bo

  2. Avatar de philosopherunabashedly1db2b42777 philosopherunabashedly1db2b42777 dit :

    Ce poème de jeunesse de Raymond nous rappelle l’importance de son œuvre poétique, plus difficile d’accès que ses récits en prose, mais d’une grande richesse et profondeur. Je vous en propose ci-dessous mon interprétation subjective.

    J’ai la chance d’avoir presque tous les livres publiés par Raymond (à l’exception de ‘’Chronique d’une croisière ordinaire’’). La plupart ne sont plus disponibles en librairie depuis longtemps, mais ils sont petit à petit réédités numériquement par les services de l’Éducation Nationale, pour les élèves et étudiants des Antilles à qui s’adresse tout particulièrement son œuvre romanesque mais également poétique. J’ai rencontré Raymond la première fois à Terre-de-Haut (TDH) en 1997, puis tous les ans à l’occasion de mes vacances de fin d’année à TDH, jusqu’en 2020.

    Raymond Joyeux en quelques dates

    1943, naissance à TDH.

    1943-1953, école primaire à TDH. Son père marin-pêcheur lui fait découvrir la pêche traditionnelle saintoise, la poésie et la politique municipale. Est enfant de chœur à 7 ans.

    1953-1959, collège secondaire au Séminaire du Galion en Guadeloupe, où il découvre la luxuriance de la forêt tropicale chez ses grands-parents à St-Éloi.

    1959-1963, terminale au lycée de Fort de France, puis études en théologie au Grand Séminaire de la Croix Valmer (Var) et en littérature à la Faculté des Lettres Claude Bernard de Lyon.

    1963-1964, service militaire à Lons-le-Saulnier.

    1964-1969, professeur de lettres au collège Jeanne d’Arc de Paray le Mognial. Naissance en 1969 de son fils aîné Alain à Lyon, avec Renée Dumontier

    1970-1975, Directeur du collège Jean Calo à TDH. Conseiller municipal de TDH. Membre de l’équipe de natation de TDH.

    1976-1988, repart à Pointe à Pitre (PTP) et Lyon avec Alain.

    1989-1991, professeur de lettres au collège Massabielle de PTP. Naissance de son 2ième fils Alexandre en 1991 avec Chantal X.

    1965-2000, rédacteur de ‘’l’Étrave’’, ’’l’Iguane’’ et ’’l’œil de l’iguane’’, en opposition au maire de TDH.

    2000, se présente à la Mairie de TDH. Est battu. Joyeux le Cocotier chante plusieurs de ses poèmes.

    2013-2026, fait paraître un blog sur internet contenant des centaines d’informations inédites et très suivies sur TDH.

    Les poèmes de Raymond Joyeux en dates

    1960-1963, ‘’Poèmes de l’Archipel’’, 1ère partie ‘’Sentinelles de ma mémoire’’, publiés en 1986.

    1965-1985 et 2002, ‘’Indécises saisons’’, publiés en 2014.

    1970-1974, ‘’Poèmes de l’Archipel’’, 2ième partie ‘’ L’œil du cyclone’’, publiés en 1986.

    1982-1983, ‘’Hivernages’’, publiés en 1988 puis 1995.

    1989-1990, ‘’Domaine privé maritime’’, publiés en 2004.

    2004, ‘’Le pire est à venir’’, publiés en 2006.

    2007, ‘’Sécheresse’’, publiés en 2008.

    2011, ‘’Saintoises’’, publiés en 2012.

    2017, ‘’Nautiques’’, publiés en 2018.

    Les récits en prose de Raymond Joyeux en dates

    2009, ‘’Fragments d’une enfance Saintoise’’, publiés en 2009 puis 2020.

    2010, ‘’Les Manguiers du Galion’’, publiés en 2010 puis 2021.

    2011, ‘’Chronique d’une croisière ordinaire’’, publié en 2011.

    2021, ‘’Ti-Auril’’, publié en 2023.

    2024, ‘’L’arbre du dromadaire’’, publié en 2024.

    2025, ‘’La malédiction de la Saline’’, à être publié en 2025.

    La beauté et la dureté de la nature à TDH

    En exil en métropole en 1960-1969, Raymond compose ses premiers poèmes en hommage à la beauté de la nature à TDH. Dans ‘’Poèmes de l’Archipel’’, 1ère partie ‘’Sentinelles de ma mémoire’’, il parle de son île-oiseau, sa mer-femme, ses cathédrales sous-marines englouties, du vol majestueux de la frégate, de la mer qui caresse son île-terre de sécheresse. J’ai hâte dit-il de te retrouver mon île !

    Poissons, oiseaux, océan, terre, vent ont tous pour lui une âme, mêlant ainsi subtilement culture animiste locale ancienne et amour de la musique des mots de la langue française.

    Il parle également de la dureté de la vie des marins-pêcheurs Saintois, de leur mort en mer, de leur asservissement à l’administration coloniale.

    De retour à TDH en 1970-1974, il aborde dans ‘’Poèmes de l’Archipel’’, 2ième partie ‘’L’œil du cyclone’’, le thème des ouragans, fréquents à TDH, métaphores des dangers qui guettent les îliens, particulièrement les marins-pêcheurs, et des tempêtes intérieures du poète, sources paradoxales d’espoir et de renouveau, homme-île plongeant dans la mer-utérus.

    Raymond a probablement connu les ouragans Baker (1950), Charly (1952), Betsy (1956), Helena (1963), Cléo (1964), Inez (1966), Hugo (1989), Marilyn (1995), Maria (2017). Il les décrit dans ‘’Ti-Auril’’ avec la précision extraordinaire de celui qui les a vécus de l’intérieur.

    Tous ses poèmes fourmillent de termes d’une grande érudition en botanique et faune tropicales, bateaux à voile anciens et pêche saintoise traditionnelle.

    La découverte de la sexualité

    Dès 1953, il fait parvenir à sa voisine du Séminaire pour filles de Versailles en Guadeloupe ses premiers poèmes, aujourd’hui disparus.

    Dans ‘’Indécises saisons’’, écrits de 1965 à 1985, il donne libre cours à sa passion pour la sexualité, objet de nombreuses métaphores de femme-océan, femme-navire, femme-poisson, femme-île, femme-corail, océan vaginal et utérin, écriture-éjaculation, amours torrides sur la plage ou dans les herbes. Il n’osera publier ces poèmes qu’en 2014, considérés peut-être par lui comme ‘’péchés de chair’’ à cacher à ses anciens maîtres à penser du Séminaire ?

    C’est cette découverte de la sexualité qui a peut-être amené Raymond-Ti-Auril à abandonner aussi facilement à 10 ans sa liberté d’enfant-sauvage dans les mornes de TDH ?

    Le retour aux sources

    Après un nouvel et long exil en Métropole en 1976-1988, il chante son retour définitif à TDH dans ‘’Domaine privé maritime’’, écrit en 1989-1990, la fin de son errance, de sa solitude, le retour de la daurade migratrice enfermée dans la senne des pêcheurs (‘’Hors d’exil’’).

    Il se remémore tous ses précieux souvenirs d’enfance, ses journées et ses nuits passées dans les mornes dans la liberté la plus totale, ses pièges à tourterelles, la brûlure du sel sous ses pieds, sa toupie mal maîtrisée, les coups de baguette de l’institutrice sur les doigts pour cesser de parler créole, la réparation des filets, la fabrication des bateaux avec son père et son grand-père, la pêche à la senne, la pêche à la ligne des thons au carême, la rage des thons pris dans les filets à Grand Ilet, la pêche à la goélette à voile, la pêche à la ligne des daurades et vives, les traversées à la rame de TDH à la Dominique, les casiers d’osier imprégnés d’iode et de sel, les avirons encochés dans les dames de nage, la pêche à la drague, la pêche sous-marine à la fouenne, sa peau tigrée de squale-léopard suite à ses plongées, la navigation la nuit aux étoiles, les risques des écueils, les chants grégoriens en hommage aux marins morts en mer. Il reprend ces thèmes dans ses récifs en prose plus récents (‘’Fragments d’une enfance saintoise’’, ‘’Les manguiers du Galion’’, ‘’Ti-Auril’’, ‘’L’arbre du dromadaire’’).

    Tempêtes intérieures

    Dans ‘’Hivernages’’, écrits en 1982-1983 en exil en Métropole, il évoque également les mensonges, les médisances auxquels il a eu à faire face à ses tentatives de retours à TDH, où il est désormais considéré comme un étranger dans son propre pays, ayant acquis une deuxième culture en Métropole. Des tempêtes intérieures viendra peut-être le renouveau, comme après le passage de l’œil du cyclone ?

    Dans ‘’Le pire est à venir’’ écrit en 2004, le tremblement de terre majeur survenu à TDH est un signe de la colère de la nature devant la méchanceté humaine. Dans ‘’Saintoises’’ et ‘’Nautiques’’, écrits en 2011 et 2017, le pire est déjà là, avec TDH dénaturée par l’appât du gain, le surtourisme, la bétonisation, les politiciens-barracudas, la haine, l’intolérance, la destruction du Pré Cassin, la pollution lumineuse des lampadaires, le remplacement des jeunes Saintois sans maison familiale par de riches retraités métros.

    L’engagement politique

    De 1965 à 2000, Raymond essaie d’insuffler un peu de démocratie et de participation dans la politique municipale via ses feuillets d’opposition, puis son blog à partir de 2013. Mais il se heurte au mur du conservatisme politique de TDH et sa résistance aux idées de la République. La culture politique profonde de TDH est plus proche des modèles antillais de corruption et de dictature (Haiti, Cuba). Même les préfets envoyés de Paris n’osent l’affronter. Des Saintois plus jeunes s’y sont aussi cassé les dents récemment.

  3. Avatar de philosopherunabashedly1db2b42777 philosopherunabashedly1db2b42777 dit :

    Le commentaire précédent était de Michel Duval

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