La chronique du jardinier, séquence 6

Derniers jour de septembre

Jeudi 25

Atmosphère d’hiver toute la journée avec grisaille intégrale et basse température. J’en profite pour arracher tuteurs et pieds de tomates mis en terre le premier mai, voilà bientôt cinq mois. Avec pincement au cœur et remerciement intérieur pour leur floraison et leur généreuse productivité.

Trois récipients bien garnis : une cagette pour les vertes, une autre pour les mûres, un seau pour les irrécupérables. Superbe récole gâchée en partie par les aléas climatiques successifs : canicule intense, pluie persistante, humidité et grande fraîcheur nocturne. C’est notre ami François, amateur de confitures en tous genres, qui bénéficiera des vertes. Les irrécupérables alimenteront le compost et ce qui restera des mûres finira en coulis. Les pieds séchés seront brûlés et enrichiront le potager en cendres. Rien n’est donc jamais tout à fait perdu, la boucle est bouclée.

Après-midi, le maire M. Louis Accary me transmet ad domo la feuille d’inscription pour le repas des aînés fixé au dimanche 12 octobre. Eh oui, à partir de 70 ans vous êtes hissés au rang des aîné.e.s de la commune. Une belle tradition qui perdure depuis plus de trente ans, occasion de rencontres, de cohésion sociale et de convivialité ! Je termine la chronique de notre sortie de mercredi au Cadran de Saint-Christophe et la publie sur ce blog pour la satisfaction des participants et autres amateurs de curiosités originales…


Vendredi 26

Petite pluie au départ pour notre rendez-vous au restaurant du pont levant à Montceau-les-Mines avec nos amis de Sivignon et d’Évelle en Côte d’Or. Sympathique rencontre suivie d’une visite à Emmaüs. Retour en ville et pause dans un bar face à la capitainerie où nous croisons Madame la maire. Avant éventuelle publication, je confie le manuscrit de La malédiction de la Saline pour relecture et commentaires à Chantal d’Évelle, l’illustratrice du conte La petite fée de l’arc-en-ciel, publié ici même en son intégralité. Merveilleuses retrouvailles sans pluie avec nos amis, et peut-être un dernier repas à venir avant notre départ en novembre, nous l’espérons vivement. 

Pont levant sur le Canal du Centre. Ph. R. Joyeux

Samedi 27

Brouillard au lever. Il faudra attendre midi et demi pour qu’il se dissipe et laisse la place à la lumière. La température est plus douce aujourd’hui, mais le poêle est toujours allumé à l’intérieur. Heureux cependant de retrouver un peu de chaleur après une semaine de froidure. J’en profite pour désherber la plate-bande des tomates… sous le soleil, coiffé de mon chapeau. 

Dimanche 28

Pas plus de six degrés ce matin au réveil avec ciel bleu, sans vent. Le poêle est éteint mais le thermomètre intérieur indique 20°. Premier réflexe : ranimer le feu. Je profite de cette accalmie météo pour bêcher le carré aux tomates. Le sol est meuble et le travail se fait sans gros efforts. Envisager de semer du trèfle ou poser un film de protection. C’est à réfléchir. Le trèfle nécessitera de bêcher la terre à nouveau au printemps pour l’enfouir avant plantation. Le film empêchera la terre de respirer. Dilemme.
Après-midi désherbage des rangs de poireaux.
À 17 heures, nous partons pour une marche en passant par l’ancienne maison de nos voisins et amis du Bessay. Passage acrobatique entre les ornières boueuses du chemin des haies récemment taillées, saccagées par le boyeur. Popeye a jappé comme d’habitude au portail du voisin Pierre. De gros oiseaux noirs sillonnent le ciel en patrouilleurs.
Je pense à ce haïku du poète japonais Bashô :

«Sur une branche morte
Un corbeau s’est posé
Soir d’automne. »



Lundi 29

La température a baissé de deux degrés dans la maison, passant de 22 à 19. Le brouillard est plus dense aujourd’hui. Tout est mouillé à l’extérieur comme s’il avait plu. Même ma brouette-pluviomètre, que j’avais vidée presque pleine la veille, témoigne de l’intensité de la rosée, cette manne pour les orties et autres plantes dites sauvages, plus épanouies, plus touffues et vigoureuses que jamais.

Il a fallu attendre 14 h pour voir enfin un rayon du parcimonieux dieu Râ. Et dire que depuis 8 heures du matin, sans se montrer, il se pavane en nous narguant au-dessus de sa coupole brumeuse, avare de ses bienfaits. Mais ne soyons pas injuste, pendant plus d’un mois, il nous a octroyé sans discontinuer ses prodigalités. Avec un thermostat parfois au plus haut. Le jardinier jamais satisfait oublie qu’il n’est pas maître des horloges météorologiques! Maître des horloges, formule vaseuse de certains de nos dirigeants qu’ils proclament pour signifier que ce sont eux qui décident des opportunités. Des dieux omnipotents, quoi ! au mépris de leurs sujets. Avant de répondre à l’invitation à dîner de nos voisins, nous recevons l’élagueur pour un devis d’intervention sur les espaces verts.

Mardi 30

Toujours ce sacré brouillard au lever en ce denier jour de septembre. L’humidité s’est installée qui glace les os et la tête. Aucune envie de chausser les bottes et de se rendre au potager avant l’apparition d’un petit rayon réconfortant. À moins d’être un écrivain face à sa page blanche, au chaud devant le poêle, en attente d’inspiration, la matinée jusqu’à 14h est fichue.

Fin d’après-midi, profitant d’un soleil à demi voilé qui hésite à se montrer, je m’apprête à sortir enfin de la maison pour une marche en solitaire de 45 minutes autour du quartier. Les champs qui ont retrouvé leur verdure habituelle s’étendent à perte de vue, compartimentés par leurs piquets d’acacia, leurs clôtures de barbelés ou leurs haies de charmille. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Même pas troublé par un meuglement, j’observe une vache limousine, toutes mamelles dehors, et un taureau de la même race qui m’observe en ruminant, semblant perdu dans ses pensées.

Je ne serais pas étonné que ce soit ce type d’atmosphère qui aura inspiré à Baudelaire son Invitation au voyage. Tout concorde : la douceur, les soleils mouillés, les ciels brouillés, les rares fleurs qui mêlent leurs odeurs aux vagues senteurs de l’ambre, les soleils couchants qui revêtent les champs, le monde qui s’endort dans une chaude lumière. Fin septembre en Bourgogne, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté...

La campagne en automne

C’est l’automne, la campagne de jour en jour se flétrit
l’émeraude limpide de la rivière froide chatoie
j’ai amarré ma jonque près d’un bourg barbare,
et choisi une maison dans un village de Ch’u
les jujubes sont mûrs, je laisse les gens les gauler
les tournesols sont secs, je vais moi-même les déterrer
la nourriture dans mon assiette de vieillard,
je la partage avec les poissons de la rivière.


Tu Fu
poète taoïste (712-770
)

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Texte et illustrations de l’auteur.

Publié par Raymond Joyeux
le mercredi 1er octobre 2025

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1 Response to La chronique du jardinier, séquence 6

  1. Avatar de strangerkawaii60a76f6f1f strangerkawaii60a76f6f1f dit :

    Coucou belle promenade en charolais avec tes mots , merci De notre côté hier les petites routes de la châtaigneraie pas loin de Conques , plaisir de l’automne Je vous embrasse, bon retour

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