Lettre à Marie-Sylvie Dionne à propos de son livre : Heureusement, j’ai craqué…

L’auteure

Marie-Sylvie Dionne est québécoise. Avec une maîtrise en éducation des adultes et plus de 30 ans en consultation, elle a fondé et dirigé deux entreprises de services conseils, en plus de partager son expertise comme chargée de cours au collégial (enseignement supérieur) et à l’université. Blogueuse pour le Huffington Post durant six ans, elle s’est désormais consacrée à l’écriture et à la création de contenu, inspirée par son parcours de consultante et de formatrice.
Site Internet : https://www.mariesylviedionne.com

L’intrigue

À trente six ans, Stéphanie pensait avoir une vie bien rangée. Jusqu’au jour où tout bascule. Un incident au travail, une ligne franchie, une trahison, une découverte… et son monde s’écroule. En quête de répit, elle accepte une invitation en Guadeloupe. Mais au lieu du refuge espéré, elle se retrouve face à son passé. Coincée sur une île aussi belle que troublante, elle devra affronter ses blessures les plus profondes et dénouer les fils invisibles qui la retiennent captive.

Mon commentaire


Titre et couverture

Ma première impression concerne le titre et la couverture de votre livre. Je trouve que les deux, image et titre, résument et reflètent parfaitement le contenu de l’ouvrage : une marche des ténèbres vers la lumière. Deux éléments qui, du fait de leur chronologie respective, prennent le contrepied du titre comme une sorte de symétrie inversée, l’adverbe Heureusement devant logiquement se situer en fin d’expression puisqu’il qualifie l’état terminal du personnage parvenu à la sortie lumineuse du tunnel. Mais où il est placé sur la page, en tête du titre, il figure aussi comme une prémonition, anticipant le résultat positif de la démarche et du travail accompli par l’héroïne pour se retrouver, tout en renseignant le lecteur sur la fin heureuse de son parcours initiatique. J’ai craqué, expression négative qui symbolise la rupture, spontanée ou réfléchie, d’avec une situation antérieure invivable, est le point de départ, autrement dit le déclenchement de la démarche libératrice qui s’ensuit. 

Ce titre antinomique rappelle celui qu’Albert Camus a donné à son premier roman : La mort heureuse qui était une sorte de brouillon de L’étranger. Deux ouvrages dont le nom du héros, Meursault, est la contraction de mer et soleil. Or Stéphanie, pour se libérer du « lourd nuage » de son passé, de l’emprise mortifère de son ancienne vie, familiale, professionnelle, sociale, à la suite de ce que l’on appelle aujourd’hui un burn-out, est contrainte de quitter son Canada natal pour se rendre justement à la mer et au soleil : la Guadeloupe, les Saintes, la Dominique… et pour finir naviguer sur un voilier entre mer et soleil. La boucle est bouclée.

Étrangement, on trouve dans le roman de Camus un personnage qui s’appelle Raymond dont, à première vue, l’attitude est à l’opposé de celle dévolue au personnage du même nom dans votre récit. Encore que ce point de vue pourrait se discuter, puisque chez Camus, tout comme Raymond Sintès est à l’origine du meurtre commis par Meursault, qui est pour ce dernier une sorte de libération, chez vous, Raymond participe lui aussi, à son échelon, même minimement, à conduire Stéphanie vers sa propre libération, laquelle fait suite à la mort symbolique de sa vie antérieure.

Avec leur similitude d’identité, on peut donc établir un double parallèle entre ces deux personnages. Tout cela, j’imagine, n’est peut-être que pure coïncidence, mais rien n’empêche de le souligner, comme on peut souligner également que sa sœur Brigitte, par son rôle déterminant d’instigatrice du départ de Stéphanie, se rapprocherait davantage du Raymond de Camus puisque liée directement à ce départ ! Le comportement négatif par ailleurs immoral, et particulièrement exécrable envers les femmes, de ce trouble personnage camusien en moins, bien entendu.

Écriture

D’emblée, on peut observer dans votre texte l’usage fréquent de la métaphore. Dès la première ligne, vous parlez de la fenêtre du temps. Puis, plus loin, de la bombe de frustration, de la valeur boursière de ma vie, de lessiver mon esprit, de l’enveloppe de son cœur … Et ainsi, assez souvent, me semble-t-il, dans le cours du récit.

Je suis admiratif de la capacité de certains écrivains et écrivaines à employer naturellement cette figure de style qu’on retrouve fréquemment chez les auteurs antillais. Je pense que je n’ai pas l’imagination suffisamment fertile pour en inventer spontanément. De plus, j’ai un ami poète qui m’a beaucoup influencé en me répétant qu’il fallait bannir la métaphore de ses écrits, tout comme certains méprisent l’usage de l’adjectif. Pourtant je trouve que la métaphore colore joliment l’expression et matérialise la formule par l’image, la rendant plus « parlante ». 

S’il faut faire une comparaison, mon écriture est différente de celle de votre livre sur ce point. Peut-être aussi parce que mes lectures m’ont formaté en ce sens. J’ai rarement trouvé en effet de métaphores chez Modiano, par exemple, ou chez Le Clézio, ou chez aucun autre de mes auteurs habituels dont les énoncés linéaires me conviennent parfaitement. Si bien que, sauf peut-être en poésie où je l’utilise, il m’arrive de trouver mes récits narratifs parfois un peu plats, sans grand relief.

Mais il m’arrive aussi d’être (modérément) agacé de repérer chez les auteurs antillais (Guadeloupe et Martinique – moins chez les Haïtiens) des tournures créoles récurrentes à tout bout de champ. Ils en font parfois un usage tellement abusif que leur style sent la recherche, la posture imposée. Ce qui nuit, à mon sens, à la spontanéité et à l’universalité de leur écriture. Faire constamment, à tout prix, couleur locale enferme selon moi le message dans un contexte géolinguistique réducteur. Dans votre livre, les tournures québécoises existent mais elles sont rares et ne tombent jamais dans l’excès, coloriant au contraire au passage le récit d’un supplément d’originalité, sans jamais s’apparenter à un tic de langage. De ce point de vue, vous n’êtes pas Antillaise !

Ce qui m’a étonné cependant, pour une écrivaine canadienne francophone, c’est de trouver dans la bouche de Charlie, la navigatrice, des bribes de dialogue en anglais. Je comprends fort bien la raison et cela ne me choque pas. Mais si je me réfère au rejet systématique de l’anglais de la part d’un ami canadien (il est natif de Toronto) qui a renié sa langue natale au profit exclusif du français, je pensais que tous les Québécois francophones avaient la même attitude. Partant de cette constatation, vous concernant, je présume que vous ne faites pas partie de ce courant linguistique anglophobe au Québec qui s’inquiète – à juste titre ? – d’un envahissement de la langue de Shakespeare au détriment du français.

Vocabulaire et thème développé

Il n’échappera à aucun lecteur, même ignorant de votre cursus universitaire et de votre profession d’analyste, que votre vocabulaire et votre expression narrative soient constamment imprégnés de termes, de formulations et de procédés d’analyse liés à votre formation et à votre pratique de psychothérapeute. Ce qui est tout à fait normal. Non seulement d’ailleurs au niveau de l’énoncé mais également dans la démarche cathartique entreprise. Par le personnage principal lui-même d’abord, Stéphanie, qui semble être votre double, mais aussi par son amie navigatrice, visiblement férue de connaissances psychanalytiques, et pour finir par le doctèfey dominiquais dont, après tout, c’est disons-le, la spécialité. Je laisse de côté le gadézafè saintois et ses poulets qui n’a qu’un rôle accessoire d’intermédiaire. Encore que ! N’empêche que des lecteurs pointilleux trouveront peut-être excessif, sinon factice, le fait que vous ayez attribué trop facilement et sans doute d’instinct ce don d’analyse à des personnages dont, dans votre roman, ce n’est pas a priori la spécialité. En ce qui me concerne, cette constatation ne me dérange pas particulièrement. Même si je porte un regard plutôt dubitatif quant à l’efficacité et l’intérêt de la tendance très à la mode de la recherche du bien-être à tout prix et des procédés engagés pour y parvenir. J’ai observé cette tendance curieusement chez des amis québécois, toujours à l’affût d’explication à des postures jugées étranges, ou des affects perçus comme perturbés ou négatifs, chez eux comme chez autrui dans le but évident d’en « comprendre » l’origine et les rouages, et d’y porter remède. Ce qui a fait que j’étais enclin à penser que cette recherche d’explication récurrente des attitudes comportementales ou mentales était une spécificité québécoise !

Un concept très prisé aujourd’hui : le développement personnel

Mais en France aussi et aux Antilles, les ouvrages sur ce sujet de la recherche du bonheur individuel, du bien-être et autre développement personnel abondent dans les librairies et beaucoup de leurs auteurs s’improvisent coachs, sans peut-être posséder comme vous les compétences et le bagage requis. Je m’empresse cependant de préciser que votre livre est loin d’entrer dans la catégorie susnommée. C’est avant tout un beau roman qui met en évidence de façon convaincante l’origine et les effets d’une situation initiale traumatisante liée à des rapports souvent familiaux douloureux, profondément enfouis et objet de déni, jusqu’à ce qu’intervienne la rupture bienfaisante et brutale pour un dénouement heureux. Pour un nouvel appareillage en quelque sorte. Ce qui sera fait.

Je suis admiratif du chapitre intitulé La transmission. J’ignore comment vous avez imaginé la mise en scène, les interventions et le jeu de rôle des différents avatars. Je suis tenté de penser que finalement vous avez vous-même vécu cette expérience, ou en avez été le témoin actif, pour si bien la décrire, et que Stéphanie n’est en fait qu’un prête-nom. Dans tous les cas, j’ai beaucoup appris de votre livre, ignorant parfaitement l’existence d’une telle approche finale du sujet. Si tant est qu’elle soit authentique. Ce dont je ne doute pas.

Enfin, en plus de l’ensemble du livre, j’ai beaucoup apprécié le dernier chapitre qui est la synthèse du projet romanesque et espère que vous jugerez de façon bienveillante cette analyse rapide et superficielle de votre ouvrage. Vous demandant de pardonner les incongruités, les oublis, les interprétations approximatives ou fantaisistes de votre intéressant récit et, en fin de compte, de vos intentions d’auteure. 

Et c’est avec le même plaisir et l’enthousiasme que j’ai éprouvés à le découvrir que je conseille aux lectrices et lecteurs de ce blog la lecture de votre ouvrage qu’ils peuvent commander chez leur libraire ou sur n’importe quel site d’expédition. En précisant son titre : Heureusement, j’ai craqué, et le nom de l’auteure : Marie-Sylvie Dionne, aux éditions Libre Rivage février 2025.

                                                                                                         Très amicalement
 Raymond Joyeux
Le 24 avril 2025

Publié par Raymond Joyeux
le Mercredi 21 mai 2025

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