Littérature antillaise : deux publications passionnantes chez CaraïbÉditions

Pour les Antillais et plus globalement les Caribéens, pour tous les lecteurs et toutes les lectrices, créolophones ou non, voici, en ce début d’année, deux ouvrages susceptibles de les intéresser.

1 – Dictionnaire des Caraïbes de Caroline Bourgine


Le premier est de Caroline Bourgine qui vient de publier (mai 2023) chez CaraïbÉditions un Dictionnaire des Caraïbes. Dictionnaire amoureux s’entend, sous-titré : Un itinéraire poétique. Au total, un glossaire alphabétique de 438 entrées, allant de Abolition à Zombi, réparties en 7 thèmes présentés en pages de garde de l’ouvrage.

L’ouvrage

Sous une couverture et une typographie soignées, comme le sont tous les ouvrages de CaraïbÉditions, Caroline Bourgine, pour citer la 4è de couverture, « nous invite en toute subjectivité à circuler à travers les mots, les lieux, les auteurs, les langues et les territoires. L’auteure se plaît à rencontrer le singulier proche et lointain, tout un creuset de mondes brassés par l’histoire, la géographie, l’archéologie, la cuisine, la littérature, la botanique et les musiques. Autant de balises pour entrer dans ce Tout-monde, intime de la relation aux êtres et aux choses, pour entendre une composition poétique sans ordonnance tissée de définitions fragiles et mouvantes. »

Illustrations librement inspirées des pétrographes amérindiens

L’auteure

Diplômée de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris et de l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris (EHESS), Caroline Bourgine dédie sa vie professionnelle depuis 30 ans aux cultures du monde et à la diversité de leurs expressions à travers le journalisme, la production artistique et la réalisation. L’ouverture aux terrains internationaux et aux Outre Mer constitue le cœur de son engagement. (PrésentationWikipédia).

En octobre 2021, elle a publié une étude intitulée Guadeloupéens aux éditions Henry Dougier

Extraits

Les deux extraits suivants de ce dictionnaire amoureux vont sans doute plaire à mes amis Saintois, entre autres, puisqu’ils évoquent ce qu’ils connaissent le mieux : le court-bouillon et le pélican.

Page 106 : Court-bouillon.

Il n’y en a pas deux pareils, clair ou épais, avec ou sans roucou ? Ses multiples préparations sont adaptées à autant de poissons en tenue de fraîcheur : grande gueule, chat, vivaneau, thon, poissons rouges, thazard, dorade….
Un court-bouillon est un secret de famille qui se transmet dans l’intimité d’une cuisine. Il en va de sa réputation !

Secret de famille, sans doute. Aucun Saintois à priori ne dira le contraire. Peut-être tiquera-t-il à propos de la présence ou non du roucou qui donne sa sauce rouge au court-bouillon traditionnel et qu’il conçoit difficilement sans cette épice… sans oublier bien entendu le citron et le piment. De quelque chose à ses yeux d’un peu pâlot, qui ne « pète » pas, d’une élection sans fraude, ne dit-il pas, comme un court-bouillon sans piment ! ?

Page 261 : Pélican, Grand Gosier

Leurs domaines sont les mangroves et les îlets où ils aiment se nicher et se reproduire.
La crête des vagues semble les aimanter lorsqu’ils déploient leurs ailes de toute leur envergure (2 mètres) pour plonger tout entier et saisir leur poisson. Comme une épuisette, ils filtrent l’eau avec leur grand bec et engloutissent leur proie…
Ils prennent un temps infini à lisser leurs ailes grâce à une glande huileuse et cireuse située près de leur croupion.
Non loin des ports de pêche, on peut les approcher ou les voir amerrir sur le pont d’un bateau, ces gigantesques oiseaux, maladroits sur la terre. Le pélican brun des Antilles est une espèce protégée depuis 1989.

Espèce protégée, bien sûr, mais dont la fiente acide sur leurs canots agace fortement certains pêcheurs et plaisanciers qui rêvent parfois en secret de fusil pour les chasser en tirant en l’air… sans les occire, cela va de soi…

Colonie de pélicans à Terre-de-Haut à l’arrivée des pécheurs. Photo Raymond Joyeux

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2Choukamo d’Hector Poullet

Le second ouvrage que je me propose de vous présenter est celui d’Hector Poullet, écrivain guadeloupéen, lexicologue et traducteur en créole de nombreux ouvrages dont les Fables de La Fontaine (Zayann) en collaboration avec Sylviane Telchid et, plus récemment, La Place d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature, Plas-la.

Hector Poullet est également l’auteur, toujours avec Sylviane Telchid, du premier Créole sans peine dans la collection ASSIMIL. Ouvrage qui a été et reste encore pour beaucoup la référence en matière d’apprentissage du créole écrit.

L’ouvrage ci-dessous a été publié, comme celui de Caroline Bourgine, chez CraïbÉditions en septembre 2014. Il a été complété par un second volume intitulé Bikamo Kréyol Gwadloup, en octobre 2017, toujours chez le même éditeur.

« Dans le présent ouvrage, écrit Poullet dans son introduction, j’ai essayé de ne m’encombrer d’aucun a priori sur les origines et la genèse des langues créoles. Sans prétention aucune j’ai établi mon corpus à partir des mots rencontrés quelquefois au hasard de mes lectures, mais aussi pris uniquement dans des ouvrages qui se trouvent dans ma bibliothèque et dont je donne la liste dans la bibliographie… »

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Hésitant sur l’étymologie de certains mots, l’auteur reconnaît ignorer parfois leur origine. Ainsi à la page 113, il avoue à propos du terme Konfedmanti : « Je n’ai trouvé nulle part l’explication possible à l’usage de cette locution qui est employée couramment pour certifier quelque chose. »

Or, pour l’anecdote, possédant l’ouvrage dès sa publication, je me suis permis de téléphoner à l’auteur pour l’informer que j’avais peut-être une explication. Que cette expression serait, selon moi, une déformation guadeloupéenne de celle que nous employons aux Saintes : pwofèt manti qui a le même sens que Konfedmanti, terme inconnu à Terre-de-Haut.

Pwofèt manti, pour signifier que la chose est tellement vraie que si elle ne l’était pas, le prophète aurait menti. Une sorte de renforcement du sens par la négation ! Et j’ai donné à Hector Poullet des exemples d’emplois de cette expression souvent entendue chez ma mère, dans des situations comme celle-ci : Ti-moun lasa, pwofèt manti, i bel menm !

On peut employer également, à la place de pwofèt manti : apa pou di, qui est aussi une négation de renforcement de l’affirmation.. équivalent français de ce n’est pas pour dire.

Hector Poullet a été, je dois le dire, particulièrement accueillant et très intéressé par cette explication… alors même qu’elle n’est peut-être pas la bonne ! N’étant personnellement expert ni à expliquer ni à écrire correctement le créole. Mes amis Jean Samuel Sahaï et Marc-André Bonbon, mes deux professeurs occasionnels, ne diront pas le contraire !

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Voilà, en tous cas, deux ouvrages que, selon que vous soyez Guadeloupéen des Saintes ou du continent, pwofrèt manti ou konfedmanti, vous intéresseront à coup sûr si vous aimez le créole et souhaitez approfondir agréablement vos connaissances de cette langue.

Nous devons ces deux pépites parmi d’autres aux deux auteurs cités, bien sûr, mais aussi à CaraïbÉditions qui se consacre depuis de nombreuses années à nous faire découvrir la littérature caribéenne, sous la férule du très actif et avisé Florent Charbonnier, son directeur. À lui et à ses auteurs, experts en notre admirable langue maternelle – absurdement interdite autrefois à l’école – nous exprimons nos remerciements et souhaitons qu’avec eux l’aventure continue pour notre plus grand plaisir. C’est un peu plat comme compliment, je l’avoue, mais tant pis, ça vient du cœur et je promets de mieux faire la prochaine fois !

À TOUTES ET ÀTOUS, À MES ABONNÉS, LECTEURS ET LECTRICES DE CE BLOG, JE SOUHAITE UNE MERVEILLEUSE ANNÉE 2024, RICHE EN LECTURES ET DÉCOUVERTE DE NOTRE PRÉCIEUX PATRIMOINE CULTUREL ET LINGUISTIQUE.

Publié par Raymond Joyeux
Le 7 janvier 2024


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2 Responses to Littérature antillaise : deux publications passionnantes chez CaraïbÉditions

  1. Avatar de raymondjoyeux raymondjoyeux dit :

    Bonjour à tous,

    Pour les abonnés qui reçoivent directement mes publications par mail, je signale que j’ai commis une erreur en écrivant Hector POULLET avec un seul L. Je m’en suis aperçu trop tard. Depuis, j’ai corrigé et ceux qui vont sur mon site raymondjoyeux.com pour lire l’article, auront la bonne orthographe. Je suis désolé pour cet impair et présente mes excuses à l’intéressé et aux abonnés . Bonne journée à tous et merci pour votre compréhension.

  2. Avatar de Gomez Armand Gomez Armand dit :

    Mon cher Raymond,

    Je te souhaite également une bonne année ainsi que mes meilleurs vœux pour 2024.

    Sympathique découverte que ce « Dictionnaire des Caraïbes » par Caroline Bourgine ! Je le note dans la liste de mes prochains achats « livresques ».

    À très bientôt sur ton blog et bien cordialement.

    Armand Gomez

    PS : as-tu reçu mon mail, envoyé fin décembre 2023 ?

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